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Qui sait vraiment que 2016 est l’année de la Marseillaise à l’école ? Dans l’histoire de l’Ecole, la Marseillaise tient une place à part. Inscrit au programme dès les débuts de l’école républicaine, l’enseignement de la Marseillaise symbolise l’objectif intégrationniste d’une Ecole chargée de fabriquer la nation. Un excellent article de François Durpaire publié dans Recherches en éducation n°26, fait le point sur son apprentissage aujourd’hui. « La Marseillaise dit quelque chose de la fin d’une certaine école fondée sur la transmission verticale d’une socialisation nationale ».

Est-il un jour où la Marseillaise n’est pas médiatiquement brandie pour montrer l’intégration ou le refus d’intégration ? Des footballeurs aux enfants des cités, la chanter est devenu un test symbolique de l’état de la nation française. Et, à chaque fois, c’est l’Ecole qui est mise en demeure de régler une question de société par l’enseignement systématique du chant national. « Le recours à La Marseillaise, dans une société pluriculturelle, est devenu l’une des solutions invoquées au problème de la citoyenneté », écrit François Durpaire dans un article de Recherche sen éducation n°26.

2016, l’Année de la Marseillaise

Pour connaitre la place de la Marseillaise dans l’Ecole, inutile d’aller chercher loin. Une circulaire publiée en février 2016 fait de cette année celle de la Marseillaise à l’école. « L’École doit permettre le partage des principes et valeurs de la République que sont la laïcité, la liberté, l’égalité, la fraternité et le refus de toutes les discriminations. Dans un contexte de réaffirmation de ces valeurs (Grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République – annonce des 11 mesures du 22 janvier 2015), le Président de la République a souhaité faire de 2016, l’année de La Marseillaise », annonce le B.O.

Mais qu’en est-il vraiment ? La Marseillaise est-elle vraiment enseignée par l’école ? Et si oui, comment ? Comment les enseignants voient-ils cet enseignement ?

On ne devrait pas se poser ces questions. En principe, la Marseillaise fait partie des apprentissages de base à l’école depuis longtemps. F Durpaire rappelle la place que les pères fondateurs ont donné à l’Ecole pour construire la nation française. Il rappelle aussi la circulaire de 1985 (Chevènement) qui réaffirme son enseignement obligatoire. Ce texte est renouvelé d’une nouvelle obligation en 2005 dans le cadre de la loi Fillon. Puis, en 2011, la circulaire de rentrée rappelle son caractère obligatoire avant que la circulaire de 2016 remette cela sur le tapis. A chaque fois, l’Education nationale sert d’exutoire à une campagne médiatique qui a son origine loin de l’Ecole. Par exemple en 2011, ce sont des sifflets lors de l’hymne national lors d’un match de football qui valent cette piqure de rappel.

Fracture ethnique sur la Marseillaise

François Durpaire a réalisé deux enquêtes de taille modeste mais qui portent un éclairage intéressant sur la place de la Marseillaise dans l’école aujourd’hui et sur une évolution de la conception politiquement intégratrice que l’on voudrait lui assigner.

La première enquête porte sur 354 élèves d’un lycée professionnel et technologique francilien. Ils sont interrogés sur leur connaissance de l’hymne national. Il s’avère que 20% des élèves ayant un parent ou grand parent étranger affirment ne pas connaitre la Marseillaise contre 3% des élèves n’ayant pas de parent étranger.

L’Ecole joue un rôle mineur dans la connaissance de l’hymne national

Interrogés sur la façon dont ils ont appris la Marseillaise, seulement 28% des élèves affirment que c’est par l’école. Pour 44% c’est par les manifestations sportives. Un taux qui monte à 80% pour les jeunes qui ont un parent ou grand parent étranger.

Parmi ceux qui ont appris l’hymne national à l’école c’est le plus souvent au primaire (77%), contre 21% au collège et 2% au lycée. La moitié parle d’un apprentissage purement formel sans apprentissage de sa signification.

Est-il intéressant d’apprendre la Marseillaise ? Selon l’enquête 77% des jeunes n’ayant pas de parent étranger jugent que oui alors que c’est seulement 48% de ceux ayant un parent étranger. Pour F Durpaire, la fracture ethnique est bien là.  » Une différenciation ethnique apparaît également sur les raisons de l’apprendre. Pour ceux qui ont un parent étranger, 72,4% évoquent « la culture générale » et 24% « se sentir français » (alors que les résultats sont respectivement de 59,6% et de 46% pour les élèves n’ayant aucun ascendant étranger) ».

Ce que montre cette enquête, pour F Durpaire, c’est que l’Ecole joue « une place mineure » dans l’apprentissage de l’hymne national alors qu’elle pourrait transmettre cet enseignement à tous. Surtout,  » plutôt que de reprocher aux élèves leur défaut d’intégration (leur intégrabilité), ne faudrait-il pas s’interroger sur la capacité ou la volonté de socialisation nationale de l’institution scolaire elle-même ?’

Des enseignants qui choisissent une citoyenneté critique

D’où l’idée d’interroger les enseignants. F Durpaire a sollicité 6 professeurs d’histoire-géographie du secondaire et 6 professeurs des écoles sur cet enseignement d e la Marseillaise. L’échantillon est faible mais il a valeur indicatrice faite de mieux.

La plupart reconnaissent enseigner très peu la Marseillaise. Ils évoquent le risque d’instrumentalisation politique du texte ou leur gêne d’enseigner un chant qui appelle au meurtre.  » La majorité des enseignants évoquent la nécessité d’enseigner le texte dans un cadre disciplinaire qui invite à la contextualisation : « Quand je le fais avec les quatrièmes, où on la remet vraiment bien dans le contexte : on regarde les cinq couplets principaux, on va dire. Quand je fais avec les troisièmes, on est plus sur « comment c’est reçu dans le monde », par rapport par exemple au moment de la Place Tian’anmen les étudiants chinois chantaient la Marseillaise, et qu’est-ce que ça symbolise etc. « , évoque une enseignante.

Pour François Durpaire,  » la discipline historique est vue par la plupart des enseignants comme un moyen de contenir les dérives nationalistes. Dans ce contexte, l’appropriation de la Marseillaise serait perçue comme une forme de propagande ». Autrement dit , c’est l’éthique disciplinaire qui bloque l’apprentissage voulu par l’Etat.  » L’école est perçue comme essentielle pour installer une citoyenneté critique, aux antipodes de l’idée d’appropriation.. La très grande majorité des enseignants interrogés disent enseigner l’hymne de manière purement factuelle (le mot revient dans dix des douze entretiens). Aucun de manière à faire obtenir l’adhésion à un collectif ».

La fin d’une certaine école ?

« Au final », note F Durpaire, « l’analyse des entretiens des enseignants permet de dégager une cohérence avec les résultats des questionnaires des élèves. C’est en grande partie parce que les enseignants ont une approche très peu coordonnée de cet enseignement que les élèves ont des difficultés à en percevoir le sens civique ».

Autre conclusion, les  » affirmations institutionnelles ne sont pas intégrées dans la professionnalité enseignante, pour qui, par exemple, l’histoire ne saurait être confondue avec une « mémoire nationale » ».

« La Marseillaise », conclue F Durpaire, « dit quelque chose de la fin d’une certaine école fondée sur la transmission verticale d’une socialisation nationale ». L’écart entre les discours des politiques et l’éthique et les pratiques des enseignants , qui existe depuis au moins les années 1970, est bien là, Année de la Marseillaise, ou pas.

François Jarraud

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