Seconde Carrière 

Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs



Ce mois-ci :

-  Aide aux Profs félicitée pour son dispositif d’aide aux secondes carrières par Josette Théophile, DGRH de l’Education nationale,

-       Aide aux Profs a été sollicitée pour contribuer avec de nombreuses organisations de rayonnement national à la réflexion de Europe Ecologie le 7 mai 2011 en vue de la conception de leur programme présidentiel pour 2012,

-   Aide aux Profs attire l’attention sur un dysfonctionnement majeur dans la politique de formation : le Congé de Formation Professionnelle devient très difficile à obtenir,

-       Aide aux Profs a attiré l’attention des services de la DGRH sur le cumul d’activités accessoires, dans le cadre de l’auto-entreprise,

-       Bruno André Burel est notre invité du mois, avec un parcours de carrière très diversifié, au service du bien être des autres.



Le 12 avril 2011, Josette Théophile a félicité Aide aux Profs pour son action lors de l’interview que nous lui avons consacrée

Notre dispositif précurseur dans l’information et l’accompagnement des secondes carrières des enseignants est enfin reconnu de manière explicite par l’Education nationale, après 58 mois de travail intensif.

Précurseur en juillet 2006, notre dispositif a évolué en parallèle de la mission seconde carrière née en août 2006, et qui s’est progressivement mise en place entre 2006 et 2009 sans qu’aucun résultat concret ne soit diffusé par l’Education nationale, prouvant alors que la mobilité hors de la classe était encore un tabou.


Notre ténacité à interpeller sur le web l’Education nationale, grâce au soutien constant du Café Pédagogique,  en publiant des parcours de carrière d’anciens enseignants, certains devenus IA-IPR ou recteurs, voire conseillers de ministre, a-t-il fini par faire réfléchir l’Institution sur l’importance de relancer un dispositif en berne avant sa nomination ? Nous en sommes convaincus, notre persévérance dans l’action a fini par franchir les frontières invisibles entre le web et les esprits de ceux dotés du pouvoir de décision, qui, nous n’en doutons plus, se sont inspirés régulièrement des idées que nous avons diffusées depuis 5 ans sur notre portail.


En effet, nommée le 30 septembre 2009, Josette Théophile aura mis entre autres en application les trois propositions – synthèses et constats de nombreux rapports parus depuis 1998 - de l’ouvrage Enseignant… et après ? paru fin août 2009 :


-       Développer l’accueil des enseignants souhaitant réaliser une reconversion, en leur proposant des formes d’accompagnement de leurs projets : c’est fait, puisque le réseau des 30 académies comprend 75 Conseillers Mobilité Carrière, réunis régulièrement en séminaires avec ateliers d’échanges de pratique, comme nous l’avions préconisé lors de notre première rencontre avec la DGRH le 20 avril 2010 ;

-       Développer une Gestion Personnalisée des Parcours de Carrière des Professeurs (GPPCP), avec la délégation de GRH vers chaque chef d’établissement, idée que nous avions aussi développée le 20 avril 2010 dans un argumentaire remis à Josette Théophile. Ce document comprenait aussi l’idée d’un portefeuille de compétences pour assurer un suivi exhaustif et qualitatif de l’investissement pédagogique et extra-professionnel de chaque enseignant, afin de mieux le valoriser en terme de promotions : le 31 mars 2011, le BOEN n°13 met en place notre idée ;

-       Accorder le DIF aux enseignants afin de faciliter leurs reconversions professionnelles : depuis la rentrée 2010, c’est effectif, même si les chiffres nous déçoivent : Josette Théophile nos indique lors de son interview qu’entre la rentrée scolaire 2010 et le 31 mars 2011, « 435 demandes de DIF pour les 30 académies, dont 79 ont été accordées et 177 sont en cours d’examen ». Pour 930 000 enseignants, c’est un effort de formation infinitésimal, et rapporté au nombre des candidats au DIF, à peine 18,2% en auront bénéficié pour l’instant, ce qui en dit long entre les bonnes intentions affichées par les textes et le montant du budget que l’Education nationale peut réellement y consacrer.


Un condensé de l’argumentaire remis le 20 avril 2010 à Josette Théophile :

http://www.aideauxprofs.org/Index.asp?affich[...]


Le portefeuille de compétences de l’enseignant :

http://www.aideauxprofs.org/Index.asp?affiche=[...]


Interview de Josette Théophile :

http://www.aideauxprofs.org/index.asp?affiche=N[...]



A ce jour, les deux-tiers des idées fortes que nous développions depuis 2009 ont été mises en place par l’Education nationale, confortant notre dispositif dans son rôle de Think Tank sur les secondes carrières des enseignants.

Nous espérons que le mouvement en profondeur engagé par Josette Théophile sera poursuivi avec les moyens nécessaires dans les années à venir, après son départ en retraite. Depuis son arrivée à la DGRH, nous avons remarqué un fort remaniement sur les différents postes clés, du rarement vu depuis plusieurs décennies, soit la création d’une nouvelle équipe pour prolonger cet exploit, en 18 mois, d’avoir conçu les bases d’une nouvelle forme de GRH pour plus d’un million de personnes. Josette Théophile a reçu le trophée en 2008 de la meilleure DRH de France, elle confirme allègrement son efficacité dans sa dernière aventure professionnelle, la plus prestigieuse.



Le 13 avril 2011, Aide aux Profs a été sollicitée pour contribuer à la réflexion d’Europe Ecologie le 7 mai à Lille

Le 7 mai 2011 se déroulera la convention Education d'Europe Ecologie-Les Verts à Lille, et Aide aux Profs a été sollicitée pour être représentée parmi les nombreuses organisations nationales (mouvements pédagogiques et d’éducation, syndicats, fédérations de parents d’élèves, organisations de jeunes, professionnels du champ de l’éducation, collectivités…) qui ont été contactées pour participer à ce travail commun lors des Tables Rondes qui y seront organisées.

Ce sera aussi pour nous l'occasion de nouvelles rencontres avec des acteurs de premier plan.
Nous avons décidé de contribuer sur les sujets en lien avec tout ce qui touche aux conditions de travail, de formation et d'évolution professionnelle des enseignants, en regard de notre longue expérience sur ces questions essentielles, afin que notre degré d’expertise puisse servir cette réflexion.

 

Le 15 avril 2011, Aide aux Profs a adressé un argumentaire à Josette Théophile sur le dispositif d’obtention du CFP

En 5 années d’accueil à distance d’enseignants nous confiant leurs difficultés, réalisant pour un millier d’entre eux des pré-bilans de carrière très riches d’enseignements, Aide aux Profs a pu cibler un dysfonctionnement majeur dans le domaine de l’accessibilité des enseignants au dispositif de Congé de Formation Professionnelle (CFP).


Les enseignants sont de plus en plus nombreux à demander un CFP alors que les moyens diminuent : cela se ressent fortement sur le terrain et dans les pré-bilans, très représentatifs du mode de fonctionnement de chaque académie, de chaque IA en la matière.

Ainsi, alors qu’à partir de 3 ans d’ancienneté l’enseignant peut demander à bénéficier d’un CFP, il n’a quasiment aucune chance de l’obtenir dès la 1re demande (un exploit), le minimum de demandes consécutives constaté étant de 3 années de demandes consécutives. Les grandes académies présentent des fourchettes d’obtention bien supérieures :

-       Pour Versailles, il faut compter entre 5 et 7 ans en moyenne pour l’obtention d’un CFP, la fourchette allant de 3 à 14 années de demandes consécutives ;

-       Pour Créteil, il faut compter entre 5 et 7 ans en moyenne, la fourchette allant de 3 ans à plus de 18 ans d’attente (comment un enseignant motivé par sa reconversion peut-il attendre 18 ans le formation qui l’intéresse sans trouver de solution de rechange ?) ;

-       Pour Paris, la moyenne qui nous est rapportée se situe entre 5 et 8 ans, avec des attentes parfois de 12 à 14 ans ;

-       Pour de petites académies comme Rouen, le délai d’obtention est situé entre 3 et 7 ans ;

-       Etc…


Dans le traitement des demandes des enseignants, nous constatons des pratiques diverses selon les académies :

-       « 5 points » à « 10 points » attribués à la demande de chaque enseignant chaque année. Le fait de ne pas renouveler sa demande remet le compteur à « zéro ». Ainsi, ceux qui l’obtiennent par la persévérance ont bénéficié en fait du découragement de ceux que cette procédure a frustrés, voire déprimés entre temps ;

-       De nombreuses académies fractionnent les CFP à plein temps sous forme de mi-temps : ainsi est-il possible artificiellement de « servir » plus de monde ;

-       La majorité des académies privilégie les projets de nature à préparer un concours interne de l’Education nationale, qui conduit la formation professionnelle de ses agents à évoluer en circuit fermé ;

-       Quelques académies que nous ne citerons pas utilisent le CFP pour des enseignants en fin de CLM ou de CLD  et qui sont souvent proche de leur retraite et qui, sans cela, seraient placés en disponibilité d’office : c’est humain de leur part, mais cela dénature l’objectif du CFP qui est de se former ;

-       De rares académies accordent le CFP dès la 1re année de demande pour des projets dûment motivés de reconversion professionnelle : Créteil notamment est en pointe dans ce domaine : bravo.


Quelles sont les préconisations d’Aide aux Profs pour diminuer le temps d’attente pour obtenir un CFP ?

-       Attribuer le CFP « au mois le mois », voire précisément en fonction de la durée exacte de la formation, et non par année scolaire. Puisque l’Education nationale prouve qu’elle est capable de concevoir un dispositif de remplacement d’enseignants pour de courtes durées, elle est en mesure de concevoir des CFP sur un à plusieurs mois dans l’année : cela se pratique déjà dans les IA pour les professeurs des écoles, mais cela est très peu pratiqué pour les professeurs de collège et de lycée dans le 2nd degré ;

-       Réserver le CFP aux formations qui exigent d’être présent à la formation. L’enseignement à distance s’étant beaucoup développé ces dernières années, de nombreuses formations dispensées sous forme de PDF à distance ne nécessitent pas de placer une personne à plein temps en CFP ;

-       De placer la possibilité d’obtenir un CFP après 5 ans d’ancienneté et non 3 ans, car il faut au moins 4 ans pour qu’un enseignant se forme de manière efficace en concevant toutes ses préparations de cours, et de le limiter à 20 ans d’ancienneté, car tous les retours des pré-bilans indiquent à 90% qu’à partir de 50 ans, les enseignants ne souhaitent pas reprendre de formation, qui exige une énergie qu’ils n’ont plus à ce niveau. Ainsi, en redéfinissant une fourchette plus étroite et plus en phase avec l’adéquation âge du demandeur/réalisation de l’objectif, un plus grande nombre d’enseignants pourra obtenir satisfaction ;

-       De remettre le compteur à « zéro » au bout de 5 ans révolus, au niveau des « points » attribués dans le suivi d’une même demande consécutive, car il nous semble inconcevable qu’un enseignant n’ait pas de lui-même trouvé une solution de rechange durant ces 5 longues années pour amorcer son projet professionnel, soit sur ses temps libres, soit en prenant un temps partiel. Nous avons émis une exception pour les enseignants célibataires ou chargés de famille et disposant d’un seul salaire.

-       De tenir compte de l’investissement du professeur dans son établissement, à travers l’étude, lors de la demande, de son portefeuille de compétences : ainsi, le CFP pourrait valoriser les efforts de l’enseignant au service de la réussite de ses élèves.

Ainsi, au lieu de laisser le CFP dans l’indifférence générale se languir avec des délais d’obtention qui deviennent ubuesques et démoralisants pour le plus grand nombre, nous pensons que ce cadrage permettrait de redonner des chances de formation à ceux dont la motivation est réelle, car c’est le paramètre le plus important à détecter par le CMC. La motivation est le principal facteur d’efficience.


Pour en savoir plus sur le CFP :

http://www.education.gouv.fr/cid1104/la-formation-c[...]



Aide aux Profs préconise le cumul d’activités accessoires au titre de l’auto-entreprise

Sur les 1200 enseignants qui nous ont contactés depuis la naissance du dispositif d’auto-entreprise le 1er janvier 2009, plus de 30% émet le souhait de créer son auto-entreprise comme forme de reconversion ou de complément de revenus à l’aube d’un départ en retraite fréquemment prématuré (les enseignants qui nous ont contactés partent entre 2 à 5 ans avant la date à laquelle ils pourraient bénéficier d’une pension à taux plein, ce qui nous inquiète beaucoup par rapport à la réforme des retraites de 2010 qui a encore allongé la carrière de 2 années).

Aussi, puisque l’Education nationale supprime plus facilement (MAD, RASED, détachements actuellement dans certains EPA et EPN) qu’elle ne crée de supports budgétaires pour faciliter les secondes carrières pour les enseignants, nous avons proposé le 13 avril 2011 à Monsieur Louis Masliah (Chargé de mission à la DGRH) et à Madame Josette Théophile (DGRH) de faciliter l’accès des enseignants qui le souhaitent au cumul d’activités accessoires (moins de 6h par semaine) au titre de l’auto-entreprise de leur choix. Nous avons demandé notamment que la procédure soit simplifiée, allégée, et que la décision soit prise directement par le chef d’établissement, qui émet un avis favorable ou pas. A lui de constater ou pas que l’enseignant s’investit toujours autant dans son métier principal. Si le chef d’établissement n’accède pas à la demande de l’enseignant, alors celui-ci pourrait formuler un recours gracieux auprès de sa cellule RH, le CMC lui portant dans ce cas assistance en analysant sa demande une deuxième fois, l’avis du CMC étant alors déterminant pour l’acceptation ou non du cumul d’activités accessoires au titre de l’auto-entreprise.


Nous constatons en effet que nombreux sont nos contacts de plus de 45 ans qui envisagent cette forme de seconde carrière parallèle à leur métier, leur permettant de s’oxygéner ailleurs, en s’investissant dans une activité rimant avec passion, et pouvant leur apporter un complément de revenus que l’Etat ne leur versera jamais avant plusieurs décennies – restons optimistes – en matière d’augmentation de salaire.


Nous avons enfin préconisé que la DGRH diffuse via I-Prof à tous les enseignants un document de synthèse sur la question, afin de mieux informer les enseignants, les inspecteurs, les chefs d’établissement, les CMC, les services RH, ce qui permettrait de faire gagner du temps à tout le monde en réponses écrites ou téléphoniques multi-quotidiennes.



Bruno André Burel (54 ans), un parcours de carrière guidé par la curiosité de la découverte d’autres milieux professionnels

 

Quelles ont été les étapes de votre parcours de carrière ?


« Je quitte l’enseignement général en 1re en 1974 pour m’engager dans une formation de machiniste agricole. Issu du milieu agricole, je m’expatrie pendant 4 ans pour travailler dans des fermes, via un programme européen organisé par Inter-échanges de Léo Lagrange et la Chambre d’Agriculture de Loire-Atlantique. J’ai ainsi pu travailler en Italie, Allemagne, Irlande, Hollande, Grèce, Maroc, ai fait beaucoup de rencontres entre jeunes et multi-langues.

En 1978 je reviens en France pour vivre avec ma compagne que j’avais rencontrée à Berlin. Je dois préciser que mon départ à l’étranger était aussi lié à ma position d’insoumis et d’objecteur de conscience, cause pour laquelle j’ai milité. Je me pose alors la question d’une réorientation professionnelle. Je prépare et décroche le concours d’infirmier de secteur psychiatrique, dont l’avantage est que les études sont payées, et je poursuis trois ans de formation, avant de réaliser une carrière de neuf ans, de 1979 à 1988.


1988, c’est l’année où je décide de devenir instituteur, car mon diplôme d’infirmier psychiatrique me donne l’équivalent d’un Bac+2, le niveau alors requis pour me présenter au concours, que j’obtiens. La formation était alors rémunérée. Je pensais à ce métier depuis mon adolescence. Je regardais de temps en temps les passerelles qui pouvaient m’y conduire. J’avais aussi pensé à tenter l’Ecole des Cadres de santé.

Même si le milieu scolaire ne m’a jamais plu quand j’étais élève, car je trouvais la pédagogie nulle car principalement fondée sur la connaissance scolaire stricte et l’autorité du maître. J’ai toujours apprécié l’Ecole comme lieu d’acquisition de connaissances ouvertes, cela a toujours été mon moteur. Quand je suis devenu instituteur, je me suis investi dans des stages de pédagogie Freinet. Mon premier poste s’est déroulé en deux décharges de direction et avec une décharge d’enseignant IMF durant mon année de stage en 1991. Ensuite, de 1992 à 1996 je suis devenu titulaire dans une école primaire de Grand Quevilly (76), et je me suis beaucoup investi dans la pédagogie Freinet, et j’ai par ailleurs continué mon engagement au Mouvement pour une alternative non violente (MAN).

J’ai aussi participé à la conception d’un Institut de Formation sur la résolution non violente des conflits, situé à Val-de-Reuil (27). En 1995, je réussi le concours interne de Professeurs des écoles. Entre 1996 et 1998 je migre vers une autre école à Petit Quevilly (76) mais comme je dénonce des pratiques incorrectes et fautives du directeur, l’IA me demande de partir pour que l’école retrouve son calme. L’institution scolaire n’a pas l’habitude de désavouer sa propre hiérarchie mais une année plus tard j’ai su que ce directeur a été promptement remercié pour la qualité de ses services.

En parallèle, j’ai été très investi au niveau associatif, comme président d’une association de parents d’une Ecole de Musique, et responsable de groupe des Eclaireurs et Eclaireuses De France (EEDF). En octobre 1999, alors en poste sur la commune de Sotteville les Rouen (76), je décide de devenir maître formateur mais cela reste en projet car un mois après, l’IA Adjoint m’appelle et me demande de créer et de coordonner une classe relais sur l’agglomération d’Elbeuf (76). Un challenge intéressant qui me motive. Il fallait être convaincant pour implanter ce projet attendu mais reçu aussi comme « une patate chaude » dans les mains des principaux de collèges ou de celles des maires. J’ai alors pu quitter ma classe en cours d’année, en janvier 2000. Dans le cadre d’ateliers pratiqués sur l’ensemble du collège, j’ai animé un atelier de fusées à eau mais en mars 2002, lors d’une séance d’essai, une des fusées m’a percuté gravement un œil. Cet accident du travail me place deux ans en congé de longue maladie, et en 2003-2004, prêt pour un projet de reconversion professionnelle, je prépare un Master de Droit et Politiques Sociales. Je passe le concours d’entrée  l’Ecole nationale de la santé publique de Rennes pour lequel je suis seulement admissible. Je me rapproche alors de l’OCCE, de la Ligue de l’Enseignement puis de la Jeunesse au Plein Air (La JPA) pour qui aujourd’hui j’occupe un poste de délégué national au service juridique. Je me suis particulièrement spécialisé sur la réglementation des accueils collectifs des mineurs dans les centres de loisirs et de vacances. J’occupe cet emploi depuis la rentrée 2004, d’abord en situation de « mise à disposition » puis en détachement depuis 2006. »


Quelles compétences pensez-vous avoir acquis quand vous étiez enseignant ?


« Celles du champ pédagogique. L’enseignant est acteur de la vie, ma devise est « on n’est pas là pour faire chier les gamins, l’école doit être un bon souvenir d’enfance ». J’ai toujours eu la volonté d’intéresser les enfants, cela a été mon fil de conduite. Je me suis aussi fait beaucoup plaisir.  C’est un choix pédagogique insuffisant mais motivant qui doit être compléter par des références, des modèles de courants pédagogiques qui ont l’intérêt de mettre l’enfant acteurs de ses apprentissages. J’ajoute aussi la compétence sociale. Etre en lien avec les familles, les associations du quartier, les services municipaux, les services sociaux… »


Que pensez-vous de la réaction de l’Education nationale par rapport aux « désobéisseurs » ?


« Je respecte là une démarche salutaire pour l’avenir de l’école. L’enseignant n’est pas qu’un simple agent exécutant, il a face à lui des publics variés, et il a besoin de réfléchir à sa pratique, et de se remettre régulièrement en question. Il interroge le présent et l’avenir que l’école prépare à nos enfants. A l’opposé, l’Education nationale est complètement à côté de la plaque, elle arbore une attitude autoritaire en qualifiant ces enseignants investis dans leur pédagogie, différente, de « désobéisseurs » au sens premier du terme. L’Education nationale a là l’occasion de réfléchir au sens de l’engagement moral et politique des enseignants, c’est là tout l’enjeu de l’action d’Alain Refalo. La désobéissance civile est un acte moral et non violent. »


Quelles compétences vous semblent les plus utiles pour s’adapter ailleurs ?


« Parallèlement à mon activité professionnelle, j’ai toujours eu des engagements ailleurs, cela a été des échanges dans les deux sens, car j’étais prof et administrateur d’une association de prévention spécialisée. Donc j’ai acquis des connaissances et des expériences utiles que j’ai pu réinvestir en classe dans ma pédagogie et mon ouverture aux parents. Je pouvais être ainsi dans l’Ecole, et en dehors de l’Ecole. Quand on débute par une formation d’agriculteur « à pied d’œuvre», on apprend à tout faire, que ce soit la technique, la conduite d’engin, le commercial, le relationnel, la gestion, la comptabilité, j’ai bénéficié dès le départ d’une formation « informelle » généraliste qui m’a rendu adaptable ailleurs, ce fut une très bonne école.


Organiser des camps d’été pour des jeunes ou partir régulièrement en classes de découvertes sont des occasions en or pour maîtriser la conduite d’un projet. Ce sont de fortes expériences de prise de responsabilité et d’analyse de risques utiles dans beaucoup de situations.

Toute ma vie j’ai développé une curiosité pour apprendre, en me disant « rien en soi n’est inatteignable ». Je n’ai jamais ressenti de rejet en allant voir ailleurs. A La Jeunesse au Plein Air, je me suis adapté à des situations nouvelles comme me confronter à des connaissances juridiques spécifiques, la coordination entre plusieurs associations et au travail de « brainstorming » d’un comité de rédaction. J’ai apprécié de me former à l’écriture d’articles journalistiques et spécialisés. J’y ai construis également de bonnes relations professionnelles.

Il est bénéfique d’aider les enseignants à prendre conscience des compétences développées dans son métier. Par exemple, l’enseignant est en capacité de parler en public, avec un niveau de langage qu’il sait adapter. Il a des capacités à anticiper, à préparer, il y a peu de métiers où l’on exige autant de préparation. Chaque prof doit anticiper, sinon il lui est difficile de travailler correctement. »


Comment l’Education nationale pourrait-elle valoriser, selon vous, les compétences développées par un enseignant en détachement ?


« Généralement, les institutions ne valorisent pas les personnes ni les parcours. Quand l’institution est intéressée, parfois ça marche, mais actuellement il y a un contexte qui conduit à considérer que la place des profs est uniquement face aux élèves, et que le reste passe bien après. Je suis très déçu à ce niveau. L’institution se fiche de mes compétences pour former des enseignants par exemple, alors que je m’en sens capable. L’Education nationale est administrativement incapable de reconnaître que j’ai une expérience de neuf ans en secteur psychiatrique par exemple, car si je veux travailler dans l’Education nationale dans ce domaine, mon expérience ne compte pas, il est obligé que je repasse un concours. Et si je vais vers le secteur public, je ne suis pas reconnu, même avec un Master.

Si je voulais devenir directeur d’une structure spécialisée de l’Education nationale, il faudrait que je repasse les bons diplômes, c’est figé, il n’y a aucune passerelle…alors que dans le secteur associatif, c’est encore possible. En France, nous vivons dans un centralisme conservateur, et nous avons beaucoup de mal à évoluer sur ce plan. Dans d’autres pays d’Europe, c’est la motivation et le parcours professionnel qui prime, et la formation vient ensuite. En France, c’est plutôt l’inverse…

Actuellement, il est possible de devenir proviseur ou principal par la voie du détachement quand on vient d’une autre administration ou d’une entreprise publique : il suffit d’avoir été chef de service à France Télécom ou ailleurs. Cela prouve bien que l’Education nationale le fait par nécessité car d’une part les besoins sont importants et d’autre part il faut répondre à la reconversion des cadres des entreprises privatisées. Donc là a priori, la passerelle fonctionne mais il faut se poser cette question : que cherche-t-on à produire ? »


Que pensez-vous des possibilités d’évolution professionnelles proposées par l’Education nationale ?


« Luc Chatel se vante de relancer les Ressources Humaines à l’Education nationale, c’est noble mais c’est un professionnel de l’effet d’annonce. Quand un enseignant se pose la question : « est-ce que je peux faire autre chose dans l’Education nationale ou en dehors ? », il faut qu’il se débrouille tout seul le plus souvent, puisque la formation  professionnelle interne est centrée sur le métier, ce qui ne permet pas à un prof de se reconvertir ailleurs.

Actuellement, il y a une vraie volonté de l’Education nationale d’organiser le tassement des carrières en freinant les notes pédagogiques et l’accès à la hors classe de son corps. C’est démotivant. »



Quels sont selon vous les facteurs de réussite d’un projet de mobilité ?


« D’abord, une mise en confiance de soi. Les enseignants qui exercent leur métier perdent leur confiance en eux progressivement, car leur hiérarchie est omniprésente et souvent zélée. Ils sont de simples exécutants, peu valorisés dans leurs compétences. C’est dur de résister à cela. Il faut prendre de la distance par rapport à ce que l’on fait en se disant que ce que je sais faire, je peux aussi aller le faire ailleurs : il faut se projeter mentalement vers autre chose. J’ajouterai, comme dans tout parcours il faut avoir les yeux ailleurs en s’investissant dans d’autres activités en lien ou pas avec son métier. Car c’est aussi ce parcours différent qui pourra être valorisé.

En cela, réaliser un Bilan de Compétences est une bonne idée, un outil de travail, comme un audit personnel. Il permet de connaître ce dont on serait capable de faire, de connaître de multiples passerelles existantes que ne connaissent pas les enseignants et ce dont ils ne sont pas tenus informés par leur administration, notamment l'évolution possible vers les collectivités territoriales ou les associations.

On m’a souvent dit que mon parcours professionnel était le signe d’une instabilité ! On me posait la question « pourquoi voulez-vous changer d’activité ? Vous n’étiez pas bien ? » Effectivement, c’est déjà arrivé que je ne m’y sente plus bien mais l’envie de changer était aussi très forte. Cependant, à une époque où l’on dit aux gens de bouger, c’est paradoxal. Personnellement, je suis curieux de tout, je n’ai jamais voulu faire des études longues mais au bout du compte j’y ai passé beaucoup de temps à me former, et j’ai eu envie de changer, d’avoir plusieurs vies professionnelles. Plusieurs voies sont possibles, la vie est trop courte pour ne pas en essayer plusieurs. Je me fixe toujours des défis à réaliser, à titre personnel, c’est aussi comme cela qu’on entretient sa motivation. »


Que pensez-vous d’une association qui accompagne les enseignants dans leurs changements de carrière ?

« Réaliser un parcours de carrière est légitime, c’est à la société civile d’organiser cette possibilité de faire autre chose et cela tout au long de la vie. Croire que l’institution peut le faire, c’est possible mais croire qu’elle peut tout faire, ce n’est pas souhaitable. Tous les changements institutionnels sont nés de la société civile. La voie associative est la plus adaptée pour mettre efficacement en oeuvre son projet.



Sur le site du Café

Par fjarraud , le dimanche 24 avril 2011.

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