Seconde Carrière 

Par François Jarraud


Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs


Ce mois-ci :

-       Le 17 juin, le Conseil Constitutionnel a statué sur le recours que plusieurs syndicats de fonctionnaires avaient formulé contre l’application de la loi du 3 août 2009 : c’est désormais le « feu vert » qui est donné aux restructurations tous azimuts dans la Fonction Publique,

-       Jean-Michel Patron, enseignant d’anglais passionné, a créé ETUDEO et COURS-TOUJOURS, qui l’entraînent peu à peu dans une seconde carrière créative et entrepreneuriale.



Le Conseil Constitutionnel, en déclarant la loi sur les parcours de mobilité interministériels conforme à la constitution, donne le feu vert au plan social de l’Etat, alors que le chômage en France dépasse les 10%


Le temps semblait suspendu depuis le décret d’application du 25 novembre 2010 pour l’application de la loi du 3 août 2009 sur les « parcours de mobilité interministériels » en raison de la date limite du 16 janvier 2011 pour déposer un recours en annulation de la loi devant le Conseil d’Etat, ce qu’a fait la FSU le 14 janvier 2011. Maintenant que le Conseil Constitutionnel a déclaré cette loi conforme à la constitution, que va-t-il se passer ?

-       Dans les années 2011 à 2013, François Baroin le Ministre du Budget et l’ancien Ministre du Travail Georges Tron ont annoncé que l’Etat allait réaliser 10 milliards d’économies…sur quelques 600 opérateurs de l’Etat parmi les 800 qui existent (EP, EPA, EPST, EPSCP). L’Etat dispose depuis près d’un an de toute une batterie d’outils pour faciliter la mobilité professionnelle de ceux qu’il choisira de déplacer. Jamais sous la Ve République n’aura eu lieu un tel « plan social », dans la logique du non renouvellement d’un fonctionnaire sur deux, et dans le contexte d’un endettement qui s’accroît et inquiète depuis peu la Cour des Comptes. Alors qu’en parallèle la baisse du chômage se fait attendre…atteignant toujours plus de 10% de la population active en France, et plus de 23% chez les jeunes de 15 à 24 ans. La préservation de l’emploi fait-elle encore partie des priorités sociales du Gouvernement ? Les économies réalisées à l’occasion des départs massifs en retraite des fonctionnaires permettront-elles de conserver la qualité du service public à la population, alors qu’ici et là (à la Poste, dans les Hôpitaux,…) les compressions d’effectifs commencent nettement à se ressentir ?

-       Ainsi, des opérateurs comme l’ONISEP, qui annonçait des fusions de CIO fin 2010, ou comme le CNDP, qui augmente ses effectifs au Futuroscope tout en les diminuant dans les CRDP et en supprimant peu à peu des CDDP qui ne sont pas des entités juridiques, vont-ils pouvoir supprimer les emplois en détachement qu’ils recèlent encore…puisqu’en 2005, le rapport n°2215 préconisait d’en faire l’économie ! D’autres opérateurs de l’Etat vont certainement poursuivre le dégraissage de leurs effectifs en saisissant l’opportunité que vient de leur offrir la décision du Conseil Constitutionnel, et ce au détriment de l’équilibre familial des personnes. Que devient le droit de l’individu de rester sur son poste ? dans la région qu’il aime ? Mais où est donc passée la promesse d’une seconde carrière pour les enseignants ? Est-on entré dans une logique de « la Fonction Publique, tu l’aimes ou tu la quittes » ?

-       L’effort le plus important va être réalisé par l’Education nationale, qui recèle encore près de 15 000 emplois en détachement, dont environ 4500 de postes administratifs occupés par des enseignants, qui donc n’y enseignent pas, mais y ont une charge de travail plus ou moins lourde. Il y a lieu de croire qu’en 2013, si le cours des choses n’a pas changé en mai 2012, l’EN aura supprimé en son sein la majorité des postes actuels de « secondes carrières » dont elle s’est toujours bien gardé de faire la promotion, prouvant ainsi que le déploiement du dispositif de »conseillers mobilité carrière » ne répond en fait qu’au souci de renouveler le personnel d’encadrement, puisque les « viviers » d’enseignants candidats à une seconde carrière se voient invariablement proposer de devenir chef d’établissement ou inspecteur, ou de changer de discipline…

-       Alors que tout est prêt pour restructurer, « moderniser », supprimer des services voire des Etablissements Publics entiers, un problème majeur demeure : le nombre de corps est toujours très important dans la Fonction Publique, et les passerelles entre les corps n’existent toujours pas, puisqu’en-dehors des concours internes, puisque les détachements sont progressivement supprimés, l’Etat n’a rien inventé d’autre ! Combien de temps prendra la conception de procédures de VAE, de VAP, pour faciliter les migrations professionnelles d’un poste d’enseignant vers un poste administratif, d’un poste administratif d’un ministère vers un autre, à niveau de qualification égal ? Est-ce le premier souci de ceux qui ont mis en place les « plateformes de GRH » ?

-       Comment les réseaux de conseillers mobilité carrière vont-ils pouvoir réellement proposer des emplois à ceux qui auront perdu le leur alors que la suppression de postes surpassera celle des créations ? Nous allons assister au « jeu du bouchon », au « jeu des chaises », avec des gagnants et des perdants, des fonctionnaires incités à démissionner, ou poussés vers leur retraite avant l’heure, tandis que d’autres devront vendre leur logement pour déménager afin de conserver leur poste. Dans les deux années qui viennent, des centaines de milliers de fonctionnaires seront affectés par la mise en œuvre de la loi du 3 août 2009, avec la généralisation de l’individualisme, puisque les hauts fonctionnaires ont vu leurs primes augmentées afin de leur donner moins mauvaise conscience de se prêter à ce « vaste jeu de quilles »…

Comment « survivre et s’adapter » dans ces conditions ?

Aide aux Profs conseille à tous les enseignants qui aspirent à une reconversion professionnelle de ne pas attendre d’être découragés, usés, fatigués, pour s’y atteler : anticipez…n’attendez pas le dernier moment si vous songez ne serait-ce qu’une fois à votre reconversion. Attendre, c’est se fermer peu à peu des ouvertures, des possibilités. Plus le temps passe, plus vous vieillissez, et moins vous intéresserez un éventuel recruteur, même si vous êtes motivé, car vous lui reviendrez « trop cher », puisque vous n’accepterez pas de voir baisser votre rémunération. Voilà le dilemme que rencontrent ceux qui réfléchissent pour la première fois à leur reconversion après 45-50 ans, donc après 15 à 20 ans d’enseignement.

Notre expérience de 5 ans d’accompagnement de projets montre que ceux qui réussissent le mieux leur départ de l’enseignement, en moins de 18 mois, ont entre 30 et 45 ans, avec 3 à 15 ans d’ancienneté. Les secondes carrières en détachement, bien que temporaires, sont souvent longues pour ceux qui choisissent cette voie, mais la suppression massive des emplois en détachement risque de les écourter dans de nombreux cas. Quitter la classe après 15 à 20 ans de carrière et plus de 45 ans est synonyme de galère, de préjudice financier à l’heure de la retraite : peut-être est-ce pour cette raison que l’EN a placé la barre à 15 ans d’ancienneté pour pouvoir prétendre à une seconde carrière ? Moins de 5% des 200 enseignants de plus de 45 ans que nous aurons accompagnés depuis 2006 a changé radicalement de métier, ce chiffre nous alarme, en songeant à l’allongement de la carrière et à la pénibilité des fins de carrière. Le Gouvernement a-t-il anticipé les conséquences prévisibles de ses décisions actuelles ?

Pour en savoir plus :

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constit[...]

http://eco.rue89.com/2010/08/18/les-jeunes-face-au-cho[...]

http://infos.emploipublic.fr/2011/06/14/comment-reussi[...]



Jean-Michel Patron, enseignant d’anglais passionné, a créé ETUDEO et COURS-TOUJOURS, qui l’entraînent vers une seconde carrière motivante


Quel a été le parcours de carrière de Jean-Michel, et pourquoi avoir choisi d’enseigner ?

« Après une maîtrise d’anglais à la Sorbonne en 1993, puis une année de service militaire en 1994 qui m’a un peu déconnecté des études universitaires, j’ai été admissible au Capes et à l’agrégation d’anglais en 1995, puis admissible au Capes en 1996, sans décrocher le concours. L’EN m’a alors proposé de devenir enseignant TZR, et pendant 7 ans j’ai en fait été affecté à l’année sur 7 postes différents en région parisienne, avec le statut de Maître Auxiliaire. J’ai voulu faire ce métier par passion de transmettre l’anglais, afin de donner un coup de pied aux vieux systèmes d’enseignement de l’anglais, en privilégiant l’oral. J’ai la passion de communiquer, de faciliter la réussite des élèves, des étudiants, dans l’apprentissage de cette langue. J’apprends aux publics auxquels je m’adresse que l’anglais est plus qu’une langue : c’est un outil qui leur sera utile toute leur vie. Durant mes années d’enseignant j’ai pu accompagner quelques voyages en Angleterre, mais mon activité s’est surtout concentrée dans la recherche de correspondants et les mises en relation entre élèves français et anglais pour faciliter les échanges à ce niveau. Je suis passionné par les langues, puisque je parle aussi allemand et espagnol, et que j’aimerais trouver le temps un jour d’apprendre une langue asiatique !

A partir de 2003 j’ai organisé dans la propriété de mes parents des activités de jeux en anglais, en faisant venir des enseignants américains, anglais, canadiens, que je connaissais. Les élèves versaient 15 € par jour et pouvaient ainsi être en « immersion complète » tout en restant en France, et cela a très bien fonctionné. Auparavant, dans le cadre de l’entreprise en informatique créée par mon frère, j’ai créé une entité, appelée Angloliphant, et les parents m’appelaient pour obtenir des cours dans différentes matières. Cela a été un tel succès, via le bouche-à-oreille et le réseautage, qu’en 2007 j’ai alors créé ETUDEO (http://www.etudeo.fr/v1/), une Sarl, qui fonctionne avec 118 professeurs, certains à plein temps, d’autres en vacations. 30% des professeurs enseignent les langues, 30% les mathématiques, et le reste les autres disciplines. Nous avons même des demandes de cours de cuisine, de guitare, de japonais. »

Quel est le volume d’activité d’ETUDEO aujourd’hui ?

« Nous donnons toutes matières confondues 2500 heures de cours par mois en région parisienne, en Essonne et Yvelines surtout. Les enseignants sont payés 25 € de l’heure pour enseigner à un élève de 3e  et 29 € pour enseigner à un élève de Terminale par les parents et en reversent 20% à ETUDEO qui réalise la mise en relation et le suivi logistique. C’est un système de prestation de services. J’ai souhaité que l’enseignant soit payé un minimum de 20 € de l’heure, soit mieux que dans des grands groupes de soutien scolaire qui dominent le marché pour l’instant. J’emploie des enseignants en activité, mais aussi des retraités de l’enseignement, ou d’anciens ingénieurs, tous sexagénaires, et parfois pour des élèves de 6e ou 5e des jeunes diplômés de niveau Bac, motivés, passionnés par la transmission d’une matière qu’ils aiment, et ainsi le contact est excellent avec les élèves et les parents apprécient beaucoup cette méthode. Sur 118 personnes qui donnent des cours particuliers chez ETUDEO, nous avons une dizaine de profs à plein temps, qui font 35 h par semaine pour un salaire qui peut atteindre 2800 € nets par mois, sans copies à corriger, sans conseils de classe ni conduite de classe, sans bulletins de notes à remplir…de plus en plus d’enseignants préfèrent notre système !

Je viens d’ouvrir notre première boutique à Bures-sur-Yvette (91) à 25 km au Sud-Ouest de Paris. Le Chiffre d’affaires avoisine 625 000 € par an pour 25 000 € de bénéfices environ, qui ne me font pas vivre puisque je réinvestis tout dans l’activité.

Actuellement et depuis peu nous avons élargi notre rayon d’action aux entreprises de plus de 50 salariés pour proposer des stages d’anglais dans le cadre du DIF, ce qui ouvre de très belles perspectives commerciales. J’ai pu à cette occasion créer un premier emploi, une assistante qui réalise l’accueil, la mise en  relation et le suivi des cours effectués »

Mais comment vivez-vous actuellement ?

« Depuis 2004 je suis également devenu correcteur du TCF (test de connaissance de français) au CIEP de Sèvres (92), puis superviseur. Le TCF permet aux étudiants étrangers de venir étudier en France. J’y travaille deux jours par semaine en moyenne, et je suis aussi professeur d’anglais pour des étudiants dans le cadre d’ETUDEO. »

Avez-vous d’autres projets pour l’avenir ?

« Oui, je fourmille d’idées, et depuis 2008 notamment, j’ai beaucoup travaillé avec deux de mes anciens étudiants , Antoine Baud et Arnaud Damien, sur un projet vidéo que nous mettons depuis peu en place sur le modèle de « Un gars, une fille » et qui s’appelle « Cours Toujours », afin de dépeindre les nombreuses situations qui se déroulent dans ce cadre, mettant en scène les parents, l’enseignant de cours particuliers, les élèves ou étudiants.

Cela a permis depuis janvier de concrétiser le projet sous la forme du site web www.cours-toujours.fr qui propose une série de divertissements sur les cours particuliers, en anglais, mathématiques, français, français langues étrangères et économie.  Au total nous anticipons un volume de 200 sketches par an, diffusés sur des chaînes locales, comme Télessonne, TVFIL78, peut-être des chaînes nationales, on va voir… Le concept est de mandater une agence, « le partenariat » pour prospecter des annonceurs qui financent la production de chaque vidéo d’une durée de 2 minutes. Cours-Toujours pourrait être une Web TV pour faciliter le lancement d’une marque ; et nous avons déjà cinq annonceurs très intéressés par le projet, c’est opérationnel depuis un mois.  Ces divertissements vont permettre aussi de diffuser des valeurs familiales, d’éducation, et de faire rire. Cours-Toujours se nourrit ainsi de toutes les situations parfois cocasses que nos enseignants rencontrent dans l’exercice de leurs cours particuliers, qui sont donc une source permanente d’inspiration. »

Quelles compétences d’enseignant avez-vous transférées dans cette activité, et lesquelles avez-vous développées ?

« J’ai transféré les compétences de communication, de pédagogie, la patience aussi, l’adaptabilité à une classe, un nouveau public. Je sais maintenant aborder un problème sous plusieurs angles, en ayant acquis un profil structuré, carré, et j’ai appris à recruter, à faire des bilans de compétence aussi. Ce qui est sûr, c’est que e ne retournerais jamais enseigner face à des classes, je préfère nettement mieux la relation privilégiée prof-élève dans le cadre du cours particulier, qui ne génère ni lassitude, ni fatigue, ni démotivation, bien au contraire ! »


Comment percevez-vous le métier d’enseignant aujourd’hui, puisque vous avez « quitté la classe » ?

« C’est un métier très usant, je ne conseillerais à personne d’y rester plus de 10 ans. Dans l’EN, le public auquel on s’adresse ne varie pas. J’ai rencontré beaucoup d’enseignants qui ont chaque année tout le temps le même niveau, des 6e, des 5e…et qui ne savent parler que de leurs élèves, de leurs classes, et qui tournent en rond intellectuellement, qui ne connaissent pas autre chose. Au bout de 7 ans, j’avais fait le tour du métier d’enseignant, cela m’a beaucoup enrichi, mais cela m’a aussi vite calmé par rapport à toutes les utopies que j’avais au départ en y entrant. »

Beaucoup d’enseignants qui envisagent une reconversion songent à créer leur entreprise de cours particuliers : avez-vous des conseils à leur donner à ce niveau ?

« Le marché du soutien scolaire est saturé actuellement. Il faut dès le départ disposer d’un bon réseau, se faire connaître localement, connaître des profs bien placés et compétents, et réaliser dès le départ un travail de qualité, car une famille contente, cela apporte de nouveaux clients, tandis qu’une famille mécontente, cela plombe très rapidement l’activité.

Ensuite, il faut penser à la mise de fond. Un local est important. Pour ma part j’ai investi 8000 € en capital dans la Sarl puis 10 000 € de communication. S’y ajoutent 1000 € de charges de loyers mensuels pour la boutique. En gros, il faut disposer de 30 000 € à 40 000 € pour se lancer en toute sécurité. »

Comment voyez-vous évoluer ETUDEO dans les années à venir ?

« Je pense faire appel à des dizaines de profs pour créer un réseau de franchise. Le franchisé achètera un « ticket d’entrée » d’un certain montant pour pouvoir créer sa boutique dans son département pour devenir chef d’entreprise à son tour. Il bénéficiera de conseils logistiques, d’un business modèle, d’envois de flyers, et développera ensuite son activité en toute autonomie. L’objectif est de permettre à  ETUDEO de rayonner sur toute la France dans quelques années. »


Pour visionner le début de la série des sketches des cours particuliers : www.cours-toujours.fr

Pour en savoir plus sur ETUDEO : http://www.etudeo.fr/v1/



Sur le site du Café

Par fjarraud , le samedi 25 juin 2011.

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