Table ronde de conclusion : "Et le "Tous Capables" ?" 

Par Françoise Solliec

Soutien scolaire, accompagnement scolaire, accompagnement à la scolarité, aide aux devoirs, réussite éducative… Est-on en mesure aujourd’hui de voir clair dans l’empilement des dispositifs et de tirer des leçons des quelques évaluations existantes ? Comment mieux travailler avec les accompagnateurs ? Quelques questions auxquelles les intervenants à la table ronde « Quel avenir pour l’accompagnement ? », qui clôturait les rencontres de Saint-Denis, ont tenté d’apporter des réponses.


Bruno Suchaut : l’évaluation des politiques d’accompagnement
Bruno SuchautTous ces dispositifs se placent au centre d’une école en pleine transformation (temps et rythme scolaire, évolutions des programmes, relations avec les partenaires), dans un contexte général de baisse de qualité des apprentissages, évaluée sur 7 ans au travers des enquêtes internationales Pirls et Pisa, mais aussi sans doute confirmée par une enquête de la DEPP qui a fait reprendre en 2007 des questionnaires posés aux élèves en 1987. Cette baisse, qui porte surtout sur une compréhension de l’écrit, pose clairement la question de l’utilisation et l’efficience des moyens attribués (qui se situent dans la moyenne des pays de l’OCDE).
Il faut cependant noter que cette baisse de performances est due à l’augmentation de la proportion d’élèves faibles, dont le niveau de compétences est bas. Si l’on regarde les résultats des seuls élèves à l’heure ou en avance, la France se place alors très honorablement. Notre système éducatif renforce donc les différences d’acquisitions des élèves tout au long de leur parcours. Il est pourtant plutôt équitable (un tronc commun long, une ségrégation jusqu’à maintenant limitée) et le collège unique est une structure favorable à l’élévation du niveau moyen et au lissage des inégalités.
Il faut aussi noter un échec relatif des mesures institutionnelles de lutte contre l’échec scolaire, qu’on parle de la politique des ZEP, de la politique des cycles en primaire ou des dispositifs d’aide. Les effets moyens en sont quasi-nuls mais, à une échelle plus locale, on peut repérer des effets parfois efficaces, parfois destructeurs.
Pourquoi cet échec ?
Pour Bruno Suchaut, la raison première en est la défaillance du pilotage dans le suivi des mesures (mise en place des projets d’école ou de la politique de cycles par exemple), ainsi que le manque de cohérence et de lisibilité des mesures. Il estime aussi que trop peu d’évaluations ont été réalisées.

Quelques facteurs d’efficacité ont pourtant été repérés : l’importance d’une direction forte et d’un climat discipliné dans l’établissement ou l’école ; l’importance d’un centrage sur les savoirs de base et d’une gestion rigoureuse des activités ; l’importance enfin d’avoir des attentes élevées vis-à-vis des élèves.
En ce qui concerne le manque d’évaluations, Bruno Suchaut souligne que l’objet à évaluer est multiforme et qu’il est difficile de lui appliquer une démarche classique d’expérimentation (on ne peut pas vraiment définir de population témoin). Par ailleurs, les mesures prises ne peuvent avoir d’effets qu’à moyen ou long terme. La salle
Concernant les dispositifs d’aides (plus d’une cinquantaine évalués par l’IREDU), les effets sont également contrastés : les élèves qui les ont fréquenté peuvent certas avoir un meilleur comportement et un meilleur rapport à l’école, mais montrent peu de progrès au niveau des résultats scolaires. Les groupes qui travaillent le plus efficacement accueillent un nombre suffisant d’élèves volontaires, de niveaux hétérogènes, plutôt dans les activités de groupe qu’en soutien individuel. Le travail y est centré sur les activités scolaires et les parents s’y impliquent fortement.
En conclusion, Bruno Suchaut estime que cette démarche d’accompagnement répond à une nécessité sociale, qu’il est important d’expérimenter de nouvelles formes d’aide aux élèves dans et hors l’école, mais qu’il y a un réel danger d’empilement des dispositifs et qu’il faut être vigilant sur le ciblage des populations auxquelles on s’adresse.


Le point de vue des acteurs de terrain


Lançant la discussion, Patrick Picard, rédacteur au Café pédagogique pointe « qu’il ne suffit pas de mettre en place un dispositif, que ce soit dans ou hors l’Ecole, pour qu¹il marche. Encore faut-il se préoccuper des conditions précises de sa mise en œuvre, et notamment de la question de la formation et de accompagnement des intervenants. Par ailleurs, et c’est pourtant essentiel, on ne voit que peu d’habitudes de travail commun, d’initiatives, de controverses pour dépasser les oppositions ou les fausses unanimités. Pourquoi les collaborations sont-elles si difficiles, sur le terrain ? »



Pour Sylvie Rieunier, représentant les rééducateurs de la FNAREN, professeurs ressources dans un RASED (réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté), il peut être bénéfique d’offrir momentanément à un enfant une structure d’aide extérieure à la classe. On lui montre qu’on s’intéresse personnellement à lui et on lui permet de s’exprimer d’une autre manière.

 
Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp, rappelle la position de son syndicat, « plus de maîtres que de classes », pour que le soutien aux élèves puisse s’effectuer dans l’école. Quand ces conditions sont réalisées dans une école, on observe des formes d’aide multiples. Il n’y a pas forcément un enseignant fléché. Et, pour le moment, personne ne peut dire comment seront précisément utilisées les 2 heures réservées sur le service, à partir de l’an prochain, pour le soutien des élèves en difficulté, les enseignants étant très divisés sur la question, entre ceux qui y voient un espoir de « remédiation » possible, et ceux qui les condamnent, notamment au nom de la stigmatisation des élèves et de la nécessité d’organiser d’abord dans la classe la réponse aux « malentendus scolaires ».
 
Pour Bernard Bier, membre de l’OZP et chargé de mission à l’INJEP, le rapport des IG Anne Armand et Béatrice Gille montre que l’efficacité du dispositif d’accompagnement dépend de la qualité du pilotage. La pluralité des acteurs, tous légitimes, et des partenariats (associations qui refusent de voir leur projet réduit à la « complémentarité » avec l’Ecole, collectivités qui refusent d’être considérées comme de simples financeurs, familles qui réclament une place…) complexifie la coordination qui devrait être dévolue à l’éducation nationale. Il est aussi à noter que si les enfants passent de fait du temps éducatif avec différentes personnes, chacune avec leurs compétences spécifiques, il convient de ne pas oublier le temps qu’ils passent « entre pairs » qui est aussi un temps d’apprentissage.


Michel Ducom, du GFEN
, estime que l’école est mise en concurrence et méprisée. « Je rêvais que les instituteurs de maternelle allaient tous utiliser en casse les œuvres de littérature de jeunesse et Bentolila préconise de faire écrire des textes courts en bon français ». A propos des dispositifs d’aide, on est en plein paradoxe, déclare-t-il. Si les accompagnateurs permettent effectivement aux élèves de réussir, ils risquent de justifier l’échec de l’école. La bonne réponse, c’est de mettre en place des formations des accompagnateurs, qui permettront d’utiliser l’aide puis de l’abandonner et de faire piloter l’école, non par ses échecs, mais par ses réussites.


Jacques Bernardin : l’accompagnement scolaire ne doit pas être un accompagnement à l’exclusion sociale
Jacques BernardinDans son intervention de clôture, Jacques Bernardin, président du GFEN, incitait les participants à se saisir conjointement des diverses actions, dans un contexte de désengagement de l’Etat.
« On valorise aujourd’hui le mérite individuel et l’élargissement de la base de recrutement des élites, et non de la réussite de tous », estime-t-il. Comme l’explique François Dubet, cette promotion de « l’égalité des chances » (thème souvent controveré au cours de ces deux journées) conduit à une injustice sociale, un sentiment d’insuffisance personnelle pour ceux qui sont laissés de côté. « L’accompagnement éducatif scolaire ne doit pas devenir un accompagnement éducatif à l’exclusion sociale » explique-t-il en reprenant la citation de Glasman.
« Tous capables », tel est le slogan du GFEN, mais encore faut-il que le message soit perçu par celui à qui il s’adresse. Les parents restent des partenaires prioritaires, déclare Jacques Bernardin, mais il faut travailler en harmonie avec eux. Quand l’école dénie les parents ou quand les parents dénigrent l’école, c’est l’enfant que cela dessert. Les parents des milieux populaires ont tendance à l’auto dévalorisation, les enseignants en ont souvent une représentation misérabiliste. Allons vers la reconnaissance mutuelle, conclut-il, « on est nombreux à refuser la fatalité et à viser l’émancipation intellectuelle ».




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Par ppicard3 , le mercredi 09 avril 2008.

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