Comment améliorer l'Ecole ? 

L'Ecole peut-elle s'améliorer et si oui comment ? Si l'on en croit Anthony S. Bryk, ou encore B Jacob, les tentatives faites pour améliorer les systèmes éducatifs ont surtout apporté des désillusions. Alors que le ministre réunit un "conseil scientifique" censé apporter les  "bonnes pratiques" au soleil du pilotage par les résultats, le débat scientifique est déjà ailleurs. C'etsce que montre la dernière livraison de la revue Education & didactique (volume 11 numéro 2, Presses universitaires de Rennes) qui apporte un éclairage nouveau. Elle fait dialoguer Anthony S Brik ( à travers un texte fondateur traduit en français) avec des chercheurs français et pas des moindres ; D Meuret, P Rayou, A Tiberghien, A tricot, M Toullec-Théry). Le concept de "communauté d'amélioration" introduit par A S Bryk est ici éclairé par l'apport des chercheurs français. Bien loin de la généralisation de "bonnes pratiques" imposées aux établissements, le débat se situe sur l'accompagnement des enseignants ou des communautés enseignantes. Il est vrai qu'on est là à des lieues de la gestion de l'éducation nationale...

 

L'échec de l'evidence based

 

" Un gouffre croît, entre nos aspirations pour nos systèmes éducatifs, qui augmentent rapidement, et ce que les écoles peuvent accomplir au quotidien. L’éducation a besoin d’un paradigme de l’amélioration qui reconnaisse la complexité du travail de l’éducation et la grande variabilité des résultats (outcomes) que nos systèmes produisent actuellement".  Anthony S. Bryk, directeur de la Carnege Foundation for the Advancement of Teaching, est considéré aujourd'hui comme un des esprits qui apportent une lumière nouvelle en éducation. La traduction proposée par Education & didactique est bien venue car elle va faciliter la diffusion de sa pensée.

 

A S Bryk demande pourquoi les tentatives d'améliorer les systèmes éducatifs échouent. Il y a eu pourtant, particulièrement dans les pays anglo-saxons, des tentatives vigoureuses pour améliorer l'efficacité de l'Ecole. A S Bryl évoque la gestion de la performance où des batteries de données doivent inciter à l'amélioration mais en fait ne disent pas par quelles pratiques on peut améliorer l'éducation.

 

Il y a bien sur la pratique fondée sur les preuves, une politique déjà dépassée outre Atlantique mais qui arrive en force ici depuis les élections. Si cette politique définit de "bonnes pratiques" elle ne dit pas " ce qu’il faudrait faire pour que l’intervention fonctionne pour différents sous groupes d’élèves et d’enseignants ou dans différents contextes. Ici, au fond, nous sommes confrontés à la différence entre la connaissance que quelque chose peut fonctionner et la connaissance sur la façon de le faire fonctionner de manière fiable sur des contextes et des populations variés", note A S Bryk.

 

Se focaliser sur l'application

 

A S Bryk invite à se focaliser non sur la pratique mais sur son application. " Ces observations suggèrent que nous accordions plus d’attention aux tâches que les enseignants accomplissent et aux environnements organisationnels qui façonnent la manière dont ce travail est mené. Plutôt que de laisser croire que la voie vers l’amélioration des résultats consiste à ajouter continuellement de nouveaux programmes (de fait « plus de pièces »), cette perspective nous encourage à nous concentrer d’abord sur l’amélioration de notre compréhension des systèmes de travail qui créent des résultats insatisfaisants. Car c’est dans cette capacité à voir le système que les progrès significatifs peuvent s’établir", écrit-il.

 

Des communautés enseignantes en réseau

 

Il introduit un nouveau concept , celui de Networked Improvement Community (NIC) ou communautés d'amélioration en réseau. Des communautés qui utilisent les données pour choisir leur champ d'action et leurs moyens d'action. A l'opposé de l'image de l'enseignant seul dans sa classe, A S Bryk défend l'idée de communautés en réseau. " Si les enseignants se regroupaient dans des réseaux d’amélioration structurés, notre champ démontrerait des capacités extraordinaires pour innover, tester et diffuser rapidement des pratiques efficaces.. Un paradigme de l’amélioration considère la tâche et la complexité organisationnelle comme une  préoccupation centrale. Il reconnaît les exigences élevées imposées aux enseignants, qui cherchent à prendre en compte chaque élève, la dynamique de chaque classe, et les caractéristiques spécifiques de chaque communauté scolaire. Un paradigme de l’amélioration prend également en considération l’importance, pour les enseignants, de développer des processus, des outils, des rôles de travail et des relations, qui soient spécifiques, et qui étayent un travail de qualité dans ces différents contextes", écrit A S Bryk. Ce concept est éclairé par différents chercheurs français. Retenons en deux.

 

L'échec éclairant de l'EBLI

 

Denis Meuret apporte une contribution appréciable en partageant avec les lecteurs les résultats d'une expérimentation d'apprentissage de la lecture basée sur les preuves, le programme américain Evidence Based Literacy Instruction (EBLI) . Evalué par B Jacob en 2017, ce programme basé sur une littérature scientifique et des méthodes "prouvées" s'est révélé très décevant. B Jacob n'observe aucune différence entre les compétences en lecture es élèves ayant bénéficié du programme et les autres alors même que les enseignants étaient incités à l'efficacité par des évaluations rigoureuses accompagnées de promotions ou sanctions.

 

Ce que montre ce travail, comme d'autres avant lui, c'est l'inefficacité de ces démarches. D Meuret évoque une tempête sur l'océan. A la surface on a l'impression de vigoureux changements, mais sous la surface de l'eau c'est calme plat. Les enseignants qui ont suivi EBLI en pensent beaucoup de bien mais leurs pratiques en fait ont peu changé. Une situation qui  n'est pas sans nous rappeler la mésaventure survenue à La main à la pâte en France.

 

D Meuret souligne le fait que cela soutient la position d'A S Bryk. " Si une politique donnée n’est pas efficace, ce peut être en effet qu’elle est mauvaise, mais aussi qu’elle a été mal mise en oeuvre (de façon maladroite ou pas assez résolue)". Suite à ces résultats EBLI a augmenté son tutorat des enseignants mais il n'ets pas certain que cela marche.

 

D Meuret voit dans cet exemple la preuve que la communauté NIC n epeut pas seule garantir l'amélioration de l'enseignement. Pour D Meuret si on veut que des changements s'opèrent il faut gérer l'amélioration. " Pour que les acteurs prennent en charge l’amélioration des établissements, il ne suffit pas de l’espérer, il faut l’organiser, d’une part en créant des routines sur la mesure des progrès des élèves qui libèrent de l’attention (et du temps) pour traiter la question de l’amélioration, d’autre part à travers des réseaux nationaux (Networked Improvement Communities), chacun dévolu au traitement d’un problème particulier (selected problems)". Mais là on risque de retrouver la question de l'implication...

 

Les limites des communautés

 

Patrick Rayou apporte un autre éclairage venu de ses observations des communautés d'enseignants qui se sont crées dans les établissements prioritaires. Pour lui, "ces auto-prescriptions, en quelque sorte horizontales, réinterprètent les demandes de l’institution éducative et de ses usagers et suscitent ainsi la fabrication de succédanés" avec souvent un décalage vers le bas dans les exigences. P Rayou ne croit pas plus aux injonctions descendantes, d'ailleurs souvent  accompagnées d'aucun moyen d'application. " Structurer des communautés d’enseignants en réseaux pour développer plus rapidement les capacités à améliorer les résultats de l’école semble une idée bien plus féconde que les pratiques ordinaires d’injonctions formelles descendantes ou informelles ascendantes. Mais emprunter cette pose simultanément la question de la construction de ces réseaux et celle de la nature des savoirs qui y circulent et s’y développent. Car il ne suffit pas d’être engagés et unis dans l’action pour échapper à des échanges de savoirs qui visent plus les avantages d’un groupe, que son aptitude à agir sur les situations au bénéfice de ceux dont il a la charge", écrit-il. C'est tout le rapport entre les communautés et leur accompagnement, entre recherche et enseignants, qui doit être travaillé.

 

Alors que JM Blanquer va présenter le 10 janvier un conseil scientifique tout bardé d'assurances et de "bonnes pratiques", la réflexion de la recherche nous invite à nous intéresser sur l'accompagnement plus que sur la pratique scientifique et à en mesurer la complexité. Car enseigner est toujours affaire de contexte, d'environnement, des hasards propres aux aventures humaines.

 

François Jarraud

 

Education & didactique

Résultats décevants pour les Maisons pour la science

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 09 janvier 2018.

Commentaires

  • caroudel, le 09/01/2018 à 10:17
    On parle des maîtres, des autorités, des programmes, des évaluations, des formations des maîtres (lesquelles?), des plans d'amélioration, des structures, du nombre d'élèves par classe, etc. 
    A aucun moment il n'est question de l'élève. Ce serait peut-être vital de commencer par connaître comment et dans quelles conditions il peut apprendre. Ce qui se passe dans la tête des élèves devrait être la base de toute pédagogie. Ceux qui s'y sont risqués avec plus ou moins de succès ont été classés "pédagogistes" (Freinet, Montessori et autres novateurs) et rien n'a changé. 
    Et ce qui se passe dans la tête de l'élève n'est pas que médical, il est social, anthropologique, historique,  local, etc. En une vie d'élève, il devrait réécrire toute l'histoire du monde !
    Quel programme prend en compte ces données qui devraient conduire à fournir les marches "pédagogiques" adaptées pour que les enfants deviennent non seulement des "savants" mais en même temps des adultes ? Par exemple qu'ils aillent au moins voter et sachent utiliser leur cerveau pour vivre en bonne intelligence avec toute la société ?
    Mais ce programme là est jugé trop dangereux par les institutions qui ne sont plus totalement au service du citoyen...
    Combien un Piaget qui a pris le temps d'observer et d'interpréter est beaucoup plus important, moins pour les résultats, même s'ils sont déjà époustouflants, que par la prise de conscience de la façon dont on doit observer l'enfant pour l'aider, combien ce Piaget a beaucoup plus apporté que les images médicales, ces dernières ne faisant parfois que confirmer le connu.  
    On a tellement mal compris la formule : l'enfant au centre ou peut-être n'a-t-on pas voulu y souscrire !




  • bdevauchelle, le 09/01/2018 à 10:04
    Ce travail de recherche est intéressant, mais pas vraiment étonnant. Il y a près de 20 années que Claude Bastien explorait cette question de la contextualisation des activités d'enseignement et d'apprentissage. 
    Même Stanislas Dehaene reconnaît cette nécessaire prise en compte, comme cela a été récemment rapporté sur les réseaux sociaux.
    Plus généralement il y a deux illusions importantes : celui de la transposabilité du  laboratoire à la salle de classe et celui de la généralisabilité des pratiques considérées comme "bonne" ou "innovante". Ces illusions sont portées par la "forme médiatique" qui repose sur l'information éphémère, constamment renouvelée et accrocheuse. Pourquoi parler de forme médiatique ? Parce qu'à l'instar de la forme sociale ou de la forme scolaire, les formes médiatiques (qui ne sont pas réservées aux seuls professionnels) sont largement partagées dans la société et façonnent aussi les pratiques occasionnelles voire amateurs.
    J'avais évoqué en 1995 "l'écart d'innovation personnel" comme très variable d'un individu à l'autre. J'ai récemment évoqué, dans la suite de Norbert Alter, la notion d'innovation ordinaire, mais pour en faire une modalité très partagée dans une communauté professionnelle comme celle des enseignants. J'ai essayé de montrer que l'évolution des pratiques des enseignants dans le domaine du numérique relève justement de cette contextualisation qui inclut aussi bien les paramètres matériels qu'humains. Malheureusement à regarder ce qui est "exceptionnel" on oublie de regarder ce qui est "ordinaire" c'est à dire ce qui est le plus partagé au sein d'une communauté. Ce que ces travaux suggèrent en matière de communauté est pourtant une réalité du quotidien : elle commence à la salle des profs et se poursuit au delà des lieux institutionnels dans les espaces privés et familiaux. Certes les communautés en ligne ou associatives ont élargi l'horizon individuel, mais là aussi, elles plafonnent en nombre et en qualité.
    Il est temps de revenir à la question fondamentale des "communautés d'intérêt" des communautés de "besoin" comme coeur de l'évolution des pratiques.
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