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Deux coordinatrices ZEP font part de leurs inquiétudes devant la nouvelle politique d’éducation prioritaire mise enplace par G. de Robien. Les sources et la chronologie Décembre 2005 Le 13 décembre 2005 de nouvelles dispositions concernant l’Education Prioritaire étaient annoncées parmi lesquelles une révision de la carte des ZEP/REP. La classification ZEP/REP et Etablissements dits Sensibles laissait place à une nouvelle classification dont l’objectif annoncé était de cibler les moyens sur un nombre restreint d’établissements. Trois catégories étaient alors définies : Janvier 2006 Le ministre indique qu’aucun établissement ne sortira dans l’immédiat du dispositif REP. Il confirme cette annonce le 8 février. La lettre flash du 14 février 2006 précise : « Aucun établissement ne sortira du dispositif d’Education Prioritaire à la rentrée 2006. Les établissements qui sortiront progressivement, à partir de la rentrée 2007, de l’Education Prioritaire sont ceux qui ont vu leurs résultats scolaires et leur environnement s’améliorer. » Février 2006 Les mesures de ce nouveau dispositif sont détaillées. Mars 2006 La circulaire 2006-058 du 30/03/06 ne fait plus état de la classification EP1, EP2, EP3. Il n’est plus question que de deux catégories de réseaux : les 249 réseaux dits « ambition réussite » et les autres dits « de réussite scolaire ». Quelques commentaires à propos de ces dispositions Une vraie fausse augmentation des moyens : 1- Les moyens réellement supplémentaires sont les suivants : – ce qui concerne directement les élèves : 1000 enseignants expérimentés supplémentaires et 3000 assistants pédagogiques seront affectés dans les réseaux « ambition réussite » dès la rentrée 2006, – ce qui concerne les enseignants : Une fois de plus, la question pourtant essentielle de la stabilisation des équipes éducatives dans les établissements de l’Education Prioritaire fait l’objet d’une « stratégie de la périphérie ». Des mesures spécifiques concernent la gestion des carrières – l’accès à la hors classe sera facilité pour les enseignants des réseaux « ambition réussite ». La sortie de l’Education Prioritaire pour les enseignants est aménagée – diverses dispositions sont relatives à la mobilité des enseignants des REP « ambition réussite ». On peut donc partir plus facilement… ce qui est probablement une façon innovante de renouveler l’approche de la gestion des ressources humaines… Et si, enfin, l’on se préoccupait du coeur du problème ? Ce ne sont pas les enseignants de l’Education Prioritaire qui doivent être traités différemment, ce sont les services qui doivent être définis autrement pour attirer ou maintenir le plus longtemps possible des enseignants motivés et impliqués en nombre suffisant. S’engager dans des projets innovants, travailler dans des conditions plus favorables notamment en termes d’effectifs dans les classes, définir des services qui incluent le travail en équipe et l’institutionnalisent pour permettre la pérennité des dispositifs au-delà des mouvements de personnel, bénéficier d’une priorité d’accès à la formation continue avec le renfort d’un corps de remplacement lui aussi formé … voilà quelques exemples de mesures depuis longtemps revendiquées. Les établissements des réseaux « de réussite scolaire » ne se voient attribuer aucun moyen supplémentaire et la classification « sensible » qui recouvrait elle aussi des difficultés et des moyens spécifiques n’est plus mentionnée alors même que les établissements dits sensibles n’ont pas tous été labellisés « ambition réussite » ce qui est le cas par exemple pour le département du Rhône des REP Casarès à Rillieux, Valdo et Noirettes à Vaulx-en-Velin, Eluard et Michelet à Vénissieux… En somme, 249 REP « ambition réussite » jouent malgré eux le rôle de l’arbre qui cache la forêt. 2 – Le contexte Cette nouvelle « relance » de l’Education Prioritaire s’inscrit dans un contexte de baisse globale des moyens dans l’Education Nationale : le nombre de postes aux concours est en forte baisse, une demi-heure sur l’heure dite non affectée a été supprimée dans la Dotation Horaire Globale de tous les collèges de France pour toutes les divisions de cinquième et quatrième, suppression qui doit permettre justement l’affectation des 1000 enseignants expérimentés supplémentaires dans les 249 réseaux « ambition réussite » dont les établissements ont eux-mêmes perdu cette demi-heure tout comme l’ensemble des collèges de l’Education Prioritaire donc. … Quel est exactement l’équivalent en postes de cette suppression ? D’autres postes budgétaires ont-ils été mis à contribution dans ce « redéploiement » ? Les budgets « colles » des classes préparatoires aux grandes écoles des lycées prestigieux par exemple ? Puisque, après tout, ils permettent la mise en oeuvre d’une individualisation désormais érigée en voie de salut… La lettre flash du 14 février prétendait que les moyens affectés à l’Education Prioritaire seraient à la rentrée 2006 en hausse puisque 18 nouveaux collèges seraient labellisés « ambition réussite ». N’oublions pas cependant, au gré des variations de la nomenclature nouvelle, que la sortie du dispositif de l’Education Prioritaire a été envisagée pour 100 à 150 REP «qui ont vu leurs résultats scolaires et leur environnement s’améliorer » sans autre précision quant aux critères d’évaluation ou à l’ampleur des changements en question. Les remous provoqués par cette perspective expliquent en grande partie ce qui est peut-être davantage un renoncement provisoire qu’un abandon pur et simple. Qui peut exclure que ce qui a été annoncé en décembre, écarté en janvier, partiellement réactualisé en février, éludé en mars ne soit remis à l’honneur … en septembre. Le Monde du dimanche 7, lundi 8 mai 2006 confirmait d’ailleurs notre inquiétude en réaffirmant que « les réseaux dits de «réussite scolaire » conservent leurs moyens, au moins pour l’année 2006/2007. Une partie d’entre eux quitteront néanmoins le dispositif d’ici trois ans… » À plusieurs reprises, des voix de divers horizons, parfois fort bien intentionnées, ont exprimé leurs doutes au sujet de l’efficacité de la politique de l’Education Prioritaire dans son ensemble. Elles ont prôné la révision de la carte des ZEP/REP, le recentrage des moyens et se sont émues à juste titre de l’extension du dispositif depuis sa création – 362 ZEP en 1982, 911 ZEP/REP en 2005. Mais une fois de plus, la logique comptable ne peut seule prévaloir dans ce domaine. Il y aurait beaucoup à faire et réformer sur le terrain de l’Education Prioritaire, mais quoi ? Peut-on décider que le nombre d’établissements classés ZEP/REP est trop important sans s’interroger sur les phénomènes de ségrégation sociale, urbaine, scolaire qui ont conduit à cette extension ni sur la paupérisation croissante d’une part de la population ? Un déplacement du débat Les discussions sur la classification EP1, EP2, EP3 se sont développées à partir de décembre nous noyant sous leur lot de légitimes « éberluements », d’inquiétudes et d’interrogations : Pendant ce temps, l’attention de tous était polarisée sur les critères d’un tel classement au détriment du débat aux enjeux autrement plus importants dont le journal Libération s’était fait l’écho en septembre 2005. En effet, sous un titre provoquant et peu nuancé « ZEP, le bide scolaire », Libération évoquait notamment « le leurre des moyens supplémentaires » dans les zones d’éducation prioritaire. Pour mémoire : « le bilan est sans appel : l’état n’a pas mis le paquet. Le surcoût de masse salariale n’est ainsi que de 8% par élève de ZEP. Ces enseignants étant en moyenne beaucoup plus jeunes que la moyenne – donc moins bien payés – l’INSEE estime que « les salaires moins élevés de ces professeurs compensent probablement, en partie, le surcoût des ZEP résultant des postes supplémentaires et crédits indemnitaires » L’effort budgétaire correspond donc bien à une hausse du nombre de profs. Mais ce gain est minime : en moyenne, une classe de ZEP compte deux élèves de moins qu’une classe hors ZEP. Dit autrement : les ZEP offrent des conditions d’enseignement à peine meilleures, pour un coût pratiquement nul. De fait l’Etat dépense plus pour les collèges ou les lycées privilégiés qui attirent les enseignants en milieu ou fin de carrière ». Et comme toujours, s’il est bon d’envisager tout dispositif dans ce qu’il présente, il n’est pas inutile de le passer au crible de ce qu’il omet : Un dispositif peut-être … une politique de réduction des inégalités scolaires et un projet ambitieux pour l’école, sûrement pas. La circulaire de mars redécouvre trop souvent l’existant. Par exemple : « Pour l’ensemble de l’Education Prioritaire, il convient qu’un collège devienne l’unité de référence d’un réseau qu’il crée avec les écoles élémentaires et maternelles d’où proviennent ses élèves. » Ou encore « La dynamique de projet demeure au coeur de l’éducation prioritaire et trouve sa cohérence dans les contrats passés avec les autorités académiques. Elle est formalisée dans les réseaux « ambition réussite » par un « contrat ambition réussite » et dans les réseaux « de réussite scolaire » par un contrat « d’Objectifs scolaires ». Ces contrats se substituent aux actuels contrats de réussite scolaire… » Tandis que l’on rebaptise avec dextérité, on innove peu sur le plan pédagogique. Les écoles maternelles et élémentaires apparaissent comme le parent pauvre de ce dispositif et les premiers destinataires d’un discours injonctif qui a choisi comme terrain de manoeuvre la délicate question de la lecture. Certaines mesures généralisent des pratiques développées depuis longtemps en zone d’éducation prioritaire. C’est le cas par exemple des rencontres trimestrielles avec les parents préconisées par la même circulaire : « Des rencontres trimestrielles avec les parents permettront de faire le point sur la situation de leur enfant et de les informer des actions de soutien personnalisé. À cette occasion, les livrets et les bulletins scolaires leur seront remis en main propre par un enseignant de la classe afin d’avoir un échange sur les progrès de leur enfant ou ses difficultés. » On ne peut que se féliciter d’une telle mesure parce qu’il y avait longtemps que la place des familles n’avait pas été aussi fortement réaffirmée, et parce que cette mesure, à condition d’être intelligemment mise en oeuvre, peut concourir à l’existence effective d’une relation de confiance et d’un partenariat de co-éducation entre la famille et les équipes éducatives. Certains dont les signataires de ce texte font partie ont pensé que les zones d’Education Prioritaire étaient également un lieu d’innovation parmi d’autres et pouvaient alimenter la réflexion et la nécessaire évolution de l’institution tout entière. Dans cette optique, les innovations rendues indispensables par les difficultés rencontrées sur le terrain devançaient en quelque sorte des évolutions de toutes les façons inéluctables et souhaitables et les publics scolaires des zones difficiles engageaient des remises en question qui touchaient à des questions fondamentales sur le sens des apprentissages, la nature de la relation élève/enseignant et les termes de la relation éducative. Enfin, et c’est essentiel, il faut revenir aux fondements de l’Education Prioritaire pour comprendre les enjeux sous-jacents à tout cela… En 1981, le ministre Alain Savary invite les enseignants des zones défavorisées à bâtir des projets inter degrés et partenariaux pour sortir du cercle infernal de difficultés diverses qui se renforçaient les unes les autres et empêchaient la réussite scolaire. Le pari était qu’avec de l’énergie et de l’imagination, en mettant les parents d’élèves, les collectivités locales et les autres services publics à contribution, les équipes éducatives sortiraient en quelques années ces zones de leur situation. Certes il n’en a pas été ainsi, mais il s’agissait d’un langage nouveau et d’un dispositif en décalage avec l’égalité territoriale qui prévalait jusqu’alors, même si cette égalité n’était pas appliquée réellement. L’Education Nationale estimait avoir une responsabilité particulière d’adaptation dans certains territoires. Les Zones d’Education Prioritaire devaient contribuer à corriger les inégalités « par le renforcement sélectif de l’action éducative dans les zones où le taux d’échec scolaire est le plus élevé ». À travers cette logique de zone dont elles se revendiquaient se jouait la reconnaissance par l’institution du fait que les élèves, en raison de leurs origines sociales et culturelles ne sont pas égaux face à l’école, qu’il existe des difficultés d’apprentissage spécifiques quand on appartient à certains groupes sociaux et qu’il incombe à l’Education Nationale de prendre en compte cette réalité au nom même de la mission de service public qui est la sienne. On se dispensera ici du compte exact des occurrences du terme « individualiser » dans le discours du ministre du 8 février 2006 et dans l’énoncé des décisions elles-mêmes. On ne se livrera pas davantage à cet exercice avec les textes relatifs au parcours de réussite éducative mis en place dans le cadre du plan de cohésion sociale. On prétend aider les individus alors qu’on leur renvoie la responsabilité de leur échec. Tandis que les craintes de ceux qui pensaient assister à un jeu de chaises musicales sur le chapitre des moyens entre le Plan Borloo et les autres dispositifs existants se confirment, c’est l’orchestration, pas même soigneuse, du manque d’ambition pour l’école qui prévaut. |
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