Par Marie Fontana-Viala et François Gadeyne
Une traduction du « Petit manuel de campagne » (Commentariolum petitionis) de Quintus Cicéron vient de paraître, chez Rivage, coll. Petite bibliothèque. Une autre traduction est également disponible, aux éditions Arléa. Mais il est possible de aussi de lire une traduction en ligne, sur le site mediterranees.net.
On peut lire en ligne, en latin, le Commentariolum petitionis, dans The Latin Library.
Il ne faut pas perdre de vue que Cicéron, à qui son frère Quintus adresse ce vademecum du candidat, est un « homme nouveau », c’est-à-dire qu’aucun de ses ascendants ne s’est illustré par l’accession au consulat. La « rupture » n’était pas un thème cher aux Romains… Nous l’est-il davantage ?
Nous relèverons quelques éléments intéressants, à situer dans le contexte de 63 avant J-C – et à transposer, éventuellement, à notre vie politique française…
1. Cicéron étant un «homme nouveau», il n’a pour lui que son mérite et son éloquence. Il va devoir affronter bien des candidats jaloux de son élévation.
2. Il faut avoir des amis ! «Rien ne seconde plus efficacement un homme nouveau que l’assentiment des nobles»…
3. Le métier d’avocat a attiré à Cicéron une clientèle reconnaissante, sur laquelle il doit pouvoir s’appuyer…
4. il ne faut pas hésiter à combler ses amis de bienfaits, et à leur en promettre davantage : «ceux que vous attache l’espérance sont, de tous, les plus zélés et les plus actifs»… Il est bon de donner des espérances à ses propres ennemis… Laisser de côté, en revanche, les «êtres sans crédit, ou même odieux dans leurs tribus» !
5. Parmi les faveurs que le candidat accorde à ceux dont il sollicite les suffrages, la plus précieuse est l’amitié : «Ils vous désireront pour ami, dès qu’ils croiront que vous désirez leur amitié». Le secret est de flatter l’amour-propre des uns et des autres…
6. Il est préférable d’avoir, pour concurrents, des « nobles » (de nos jours, nous dirions qu’ils font partie du « système »), mais qui ont moins de mérite que soi.
7. Quintus n’hésite pas à dénoncer les vices de la vie privée des adversaires de son frère… De telles révélations mériteraient à coup sûr la Une du Canard enchaîné !
8. Pour devenir populaire, le bon candidat doit faire mine de se pencher avec bonté sur le sort de ses concitoyens : «Faites d’abord éclater le soin de bien connaître vos concitoyens, perfectionnez cette connaissance pour en faire chaque jour avec eux plus d’usage ; rien, suivant moi, ne leur sera plus agréable et ne vous rendra plus populaire.» L’essentiel de notre actuelle campagne électorale ne va-t-elle pas dans ce sens ? «Les hommes, surtout quand ils s’adressent à un candidat, veulent non seulement que l’on s’engage à les satisfaire, mais que l’on s’y engage en leur témoignant autant de zèle que de considération.»…
9. Faut-il reculer devant l’hypocrisie ? Bien au contraire : «Gagnez sur vous de paraître agir naturellement dans ce qui est le plus éloigné de votre naturel»… Il faut avoir l’air d’aimer ses électeurs ! «On est plus sensible aux paroles et aux manières, qu’au service même et à la réalité. […] Tels sont les hommes ; tous aiment mieux un mensonge qu’un refus»…
10. Il convient de soigner avant tout sa réputation : que faire sans le fameux « on-dit ».
Selon Quintus, le monde politique romain est un monde sans pitié, dans lequel l’arme la plus redoutable est… l’éloquence. Voilà qui donne à penser !