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Par François Jarraud

La publication du livre de Jean-Louis Auduc, « Agir en fonctionnaire de l’Etat, Capes Agrégation » (Hachette 2011) est l’occasion d’interroger l’épreuve la plus contestée des nouveaux concours. Instituée à l’occasion de la réforme de la formation des enseignants, l’épreuve  » Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » est présente dans tous les concours d’enseignement. Pour autant elle est vivement critiquée à la fois parce que « non scientifique » pour des masters disciplinaires et parce que perçue comme formaliste. Directeur adjoint d’IUFM, Jean-Louis Auduc décrypte les attentes de l’institution et nous guide dans un apprentissage qu’il perçoit comme libérateur.

Le cahier des charges de la formation des maîtres la définit à la fois en termes de capacités, d’attitudes et de compétences. Par exemple, l’enseignant doit connaître « les valeurs de la République et les textes qui les fondent : liberté, égalité, fraternité ; laïcité » touc omme  » le système éducatif, ses acteurs et les dispositifs spécifiques ». Il doit être capable « de repérer les signes traduisant des difficultés spécifiques des élèves dans le domaine de la santé, des comportements à risques, de la grande pauvreté ou de la maltraitance ; de contribuer, en coopérant avec des partenaires internes ou externes à l’institution, à la résolution des difficultés spécifiques des élèves ; de se faire respecter et d’utiliser la sanction avec discernement et dans le respect du droit ». Au niveau des attitudes, cela le conduit à « respecter dans sa pratique quotidienne les règles de déontologie liées à l’exercice du métier de professeur dans le cadre du service public d’éducation nationale ; à respecter les élèves et leurs parents ».

Pour Jean-Louis Auduc, bien loin d’enfermer le futur enseignant dans des postures ou une morale étriquée, l’épreuve est l’occasion d’exercer sa liberté. « S’il ne veut pas être manipulé par les « buzz » médiatiques, l’enseignant doit connaître ce que sont les principes qui régissent le service public d’éducation où il va exercer et qui doivent lui permettre d’éclairer les décisions qu’il prendra lorsqu’un cas précis se posera ».

En 300 pages son ouvrage propose une préparation ordonnée et progressive aux différentes questions de l’épreuve : la connaissance du système éducatif français en 62 fiches suivies de 12 questions de concours précises où ces connaissances peuvent être mise sen action.

Mais écoutons Jean-Louis Auduc.

L’épreuve « agir en fonctionnaire de l’état » a mauvaise presse. Pourtant il se trouve que de nombreux corps professionnels ont des codes éthiques. Le corps enseignant n’en a pas. Pensez vous que cette épreuve puisse y remédier et qu’un tel code soit nécessaire ?

L’épreuve orale « Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » a, dans un contexte marqué par le démantèlement des IUFM et la mise à mal de la formation professionnelle des enseignants, beaucoup inquiété. Certains ont pensé qu’il s’agissait là de formater les enseignants plutôt que de les former.

Pourtant, je crois indispensable qu’à l’occasion de leur recrutement et sans rien aliéner de leur liberté pédagogique, les enseignants connaissent l’état du système éducatif et aient réfléchi sur les conditions d’exercice de leur métier. Cela leur évitera d’être de simples exécutants ignorants de ce qui se passe en amont et en aval de leur niveau d’exercice.

De ce point de vue, je crois que la circulaire du 23 mai 1997 sur les missions de l’enseignant garde sa pleine actualité : « Aujourd’hui, l’enseignant doit exercer sa responsabilité dans le système éducatif au fonctionnement duquel il contribue, dans sa classe où il construit des situations d’enseignement, dans un établissement scolaire dont il est un des acteurs. Travailler ensemble autrement, afin que fonctionnent efficacement les établissements, passe par la claire conscience de ce qu’est aujourd’hui le métier de chacun : enseigner, c’est exercer dans des établissements scolaires aux caractéristiques fort variables, selon le public accueilli, l’implantation, la taille et les formations offertes. La mission est tout à la fois d’instruire les jeunes, de contribuer à leur éducation et à leur insertion sociale et professionnelle, de les aider à construire leur autonomie et à élaborer un projet personnel. Pour exercer son métier à part entière au sein d’une équipe et ne pas être un simple exécutant, l’enseignant doit connaître le fonctionnement général du système éducatif et son évolution. »

Je pense qu’il faudra un jour un code de déontologie pour les enseignants. Celui-ci ne doit pas être imposé. Dans les professions non codifiées par une déontologie, le droit commun, pénal et civil, s’applique seul. S’il s’agit de plus d’une profession publique, le droit administratif s’applique également. Ainsi, pour illustrer ce propos, un professeur qui frappe un élève et le blesse est-il susceptible d’une part d’être poursuivi devant une juridiction pénale pour coups et blessures, et d’autre part d’être l’objet de procédures disciplinaires définies par son statut. Mais, pour toutes les situations professionnelles où le droit ne dit rien, et où néanmoins l’avenir d’un ou de plusieurs élèves est en jeu, alors c’est l’éthique qui « recommande », ou bien la morale qui « commande ». C’est alors l’examen, au cas par cas, de l’ensemble des composantes de la situation qui va permettre de réfléchir, d’avancer, et de prendre une décision.

Ces composantes étant nombreuses, on peut en pratique chercher à en structurer l’analyse par les questions suivantes :

– Quelles sont les finalités présentes dans la situation (enseignement, éducation, formation professionnelle…) ?

– Quelles sont les valeurs sollicitées par la situation (liberté, égalité, solidarité, laïcité, justice, dignité, tolérance, obéissance, respect de l’autre, exigence de vérité…) ?

– Quels sont les sujets concernés par la situation (élèves, parents, professeurs, établissement, institution, société…) ? Qu’est-ce qui est bon, ou mauvais, pour chacun d’entre eux ?

– Quels sont les contradictions, les tensions qui apparaissent entre sujets, finalités et valeurs dans cette recherche d’une « bonne » solution ?

– Quel choix puis-je décider d’opérer, en toute conscience, et alors au nom de quelle priorité, de quelle urgence, ou du respect de quel équilibre entre ces tensions ?

Peut-être que l’épreuve mise en place fera à terme avancer la réflexion…

Agir en fonctionnaire implique une connaissance très approfondie du système éducatif. Votre ouvrage y consacre près de 240 pages. Est-ce vraiment une culture assimilable par un jeune candidat au concours ? Dans cette épreuve quelle est la part de la connaissance des textes et celle de leur application concrète dans un cas précis ?

Le système éducatif français est complexe. Il est souvent difficile d’accès dans son ensemble pour les familles, et ce d’autant plus qu’en dehors de leur niveau d’exercice, les enseignants sont souvent très ignorants de son organisation réelle.

Il ne s’agit pas de transformer avec cette épreuve, les enseignants en « spécialistes » du système éducatif, mais de les inciter à s’intéresser à l’ensemble du fonctionnement de l’institution où ils vont exercer.

C’est pourquoi, j’ai regroupé la présentation autour de 62 fiches thématiques qui, je l’espère, pourront leur être utiles pendant toute leur carrière.

Par contre, connaitre les principes, les valeurs qui définissent les missions du service public d’éducation, et leurs différents textes d’application dans la pratique me semblent indispensables aujourd’hui encore plus qu’il y a quelques semaines quand j’entends des approximations, des contre-vérités autour par exemple du contenu de la loi de 1905 ou de la laïcité.

S’il ne veut pas être manipulé par les « buzz » médiatiques, l’enseignant doit connaître ce que sont les principes qui régissent le service public d’éducation où il va exercer et qui doivent lui permettre d’éclairer les décisions qu’il prendra lorsqu’un cas précis se posera.

Mais agir en tant que fonctionnaire s’entend il de la même façon quand on est prof d’EPS et de maths, d’anglais et d’histoire-géo ? Dans l’épreuve ce qui compte c’est de bien connaitre les programmes de sa discipline ou de savoir se comporter en éducateur ?

Quelque soit sa discipline d’exercice, l’enseignant aura à agir dans le cadre des valeurs de la République, telles qu’elles sont définies par les textes : liberté, égalité, fraternité ; laïcité ; refus de toutes les discriminations ; égalité entre les hommes et les femmes.

Bien entendu, la mise en pratique de ces valeurs ne sera pas exactement la même selon les programmes des différentes disciplines, mais chacun doit les connaître et s’y référer, que ce soit lors des activités EPS, du cours d’éducation civique ou de la présentation d’une œuvre artistique.

La dimension civique de l’exercice du métier enseignant repose précisément sur la mise en pratique de ces valeurs, c’est ce qu’ont toujours rappelé les textes concernant ce point. Dès 1908, Jean Jaurès l’avait clairement indiqué : « La plus perfide manœuvre des ennemis de l’école publique, c’est de la rappeler à ce qu’ils appellent la neutralité et de la condamner par là à n’avoir ni doctrine, ni pensée, ni efficacité intellectuelle et morale. En fait, il n’y a que le néant qui soit neutre. »

La circulaire du 23 mai 1997 relative aux « missions du professeur exerçant en collège, en lycée d’enseignement général et technologique ou en lycée professionnel » avait bien précisé : « Le professeur participe au service public d’éducation qui s’attache à transmettre les valeurs de la République, notamment l’idéal laïque qui exclut toute discrimination de sexe, de culture ou de religion (….) le professeur aide les jeunes à développer leur esprit critique, à construire leur autonomie et à élaborer un projet personnel. Il se préoccupe également de faire comprendre aux élèves le sens et la portée des valeurs qui sont à la base de nos institutions et de les préparer au plein exercice de la citoyenneté. » Ce, dans la logique du décret du 18 février 1991 : « L’école publique ne privilégie aucune doctrine. Elle ne s’interdit l’étude d’aucun champ du savoir . Guidée par l’esprit de libre examen, elle a pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes lui permettant d’exercer librement ses choix. »

Votre ouvrage présente une douzaine de cas précis qui se réfèrent tous à des situations vécues bien réelles. Par exemple la violence entre élèves dans un couloir. Que doit faire le fonctionnaire professionnel ?

J’ai effectivement choisi d’illustrer la mise en pratique de ces valeurs et les conditions d’exercice variées du métier enseignant en collège et en lycée par une douzaine de situations susceptibles d’intervenir. Il ne s’agit pas d’un livre de recettes infaillibles, mais pour chaque cas, appuyé sur des textes réglementaires ou des récits d’expériences de proposer des pistes de réactions possibles pour permettre à l’enseignant de mieux exercer son métier et ses responsabilités et de lui donner confiance en ses capacités de réaction. Car, devenir enseignant, c’est se placer face à des responsabilités morales, éducatives, pédagogiques, administratives, juridiques.

Exercer ses responsabilités, ce n’est pas, ce n’est supporter tout seul « toute la misère du monde », c’est se mettre en situation de profiter de l’apport professionnel des personnes ressources susceptibles d’apporter leur soutien à la réalisation d’objectifs que l’on s’est fixés dans le contexte d’un établissement.. L’enseignant doit connaître toutes les personnes –ressources susceptibles de l’épauler par leur professionnalité dans l’exercice de son métier.

Chaque étude de cas présente les personnes-ressources susceptibles d’exister dans l’établissement ou son environnement et qu’il peut être nécessaire de contacter pour l’enseignant qui exercera ainsi sa fonction d’aiguilleur vers d’autres professionnels. L’enseignement ne doit pas être un métier solitaire, mais devenir de plus en plus un métier solidaire s’exerçant en équipe de classe, de discipline.

Etre enseignant, c’est prendre en permanence des milliers de petites décisions en toute autonomie, en toute responsabilité. Pour donner les possibilités à l’enseignant d’oser, d’être un concepteur qui s’assume comme décideur, il faut que l’enseignant se trouve en situation de confiance de la part de sa hiérarchie. S’il ne l’est pas, il ne sera pas mis en situation de faire des choix dictés par la particularité du moment, du public concerné. Il risque de n’être qu’un répétiteur.

Permettre à l’enseignant de s’assumer comme décideur, donc de prendre des risques, c’est lui reconnaître la possibilité d’un droit à l’erreur, notamment dans ses premières années de carrière. C’est une des conditions d’une véritable expérimentation innovante évaluable. Pour oser prendre des risques en établissement scolaire, il faut que l’Institution au niveau local, rectoral ou national vous offre des sécurités. Il faut pouvoir à des moments expérimenter et se tromper en se sentant en sécurité, en confiance pour mieux améliorer ses pratiques dans l’intérêt des élèves.

Mais sur le terrain on a toujours à gérer sa part d’émotion, celle qui vient de « soi » ? Cela relève-t-il d’un livre ?

J’ai essayé avec cet ouvrage de tirer profit de l’existence de cette épreuve orale pour faire réfléchir par cet ouvrage les futurs enseignants, voire les enseignants en poste sur leurs responsabilités éducatives, non pour les culpabiliser, mais pour leur donner confiance dans l’exercice de leur métier.

Chacun réagira en fonction de ses expériences, de sa personnalité. Mais je pense que réfléchir des la formation initiale des enseignants aux responsabilités qui seront les siennes peut lui mettre d’être mieux en confiance pour exercer son métier, ce qui sera utile pour un meilleur fonctionnement du système éducatif et une meilleure réussite des élèves, car je suis assez d’accord avec ce qu’écrivait un rapport de l’inspection générale, il y a quelques années : « Il est fréquent , entre école et collège, entre collège et lycée, que les maîtres de niveau supérieur affichent une défiance ouverte par rapport aux avis des maîtres du niveau inférieur et les ignorent, cela même quand existe une cité scolaire qui devrait permettre des transmissions plus faciles. (…) Il est légitime de se demander si cette réticence à ce qu’existent et transitent des traces des scolarités individuelles ne serait pas d’abord l’écho d’un manque de confiance d’une profession en elle-même. » ( Rapport inspection générale 2005 sur l’évaluation des acquis des élèves )

Il y a des cas tout à fait intéressants par exemple l’installation d ‘un ENT. En quoi cela affecte-t-il le fonctionnaire ?

Dans le cadre des compétences professionnelles d’un enseignant définies par l’arrêté du 12 mai 2010, il est indiqué « Le professeur est conduit ….à respecter et faire respecter (…) les charges d’usage des ressources et des espaces communs ;… à respecter , à sensibiliser et faire respecter les droits et devoirs en matière d’usage du numérique dans la société de l’information »

L’installation d’un ENT peut changer les relations entre l’enseignant, ses élèves et leurs familles. Le professeur peut ainsi :

• renseigner le cahier de texte, n’importe quand, depuis la salle des professeurs ou de chez lui

• compléter rapidement par simple copier-coller le cahier de texte des autres classes de même niveau ;

• conserver le contenu de son cahier de texte d’une année sur l’autre ;

• créer des liens vers des animations ou des simulations voire des vidéos présentes sur les sites éducatifs, sans nécessairement avoir à télécharger ces ressources.

L’ENT peut être une occasion unique de formaliser le travail collaboratif qui depuis des années est allé de soubresaut en soubresaut, de le rendre efficace en établissant des ponts disciplinaires transposables d’une classe à une autre, d’un établissement à un autre.

La mise en place d’un ENT part du principe que l’école ne s’arrête pas aux murs de l’établissement, il faut dès lors veiller à ce que chacun puisse s’approprier l’outil selon ses besoins et ses méthodes de travail.

Cependant, rien ne remplacera les contacts humains réguliers entre l’équipe de direction, les enseignants, les élèves de l’établissement et leur famille. C’est la base même de la confiance qui permet un fonctionnement harmonieux. Il est des besoins qui peuvent être mieux et plus facilement remplis : Besoins d’informations vers un public ciblé, besoins d’animation et de préparation de réunions, de voyages… . Comme beaucoup d’outils, il ne sera vraiment utile que si les acteurs se l’approprient, tant au niveau de l’émetteur que du récepteur.

Un autre point chaud c’est la laïcité. Comment la gérer dans sa classe ?

Il est important d’évoquer la question de la laïcité, car ce mot est aujourd’hui devenu un slogan avec souvent l’oubli de ce qu’elle signifie en terme de valeurs et de pratiques.

Comme je l’avais déjà fait dans l’ouvrage écrit en 2006 avec Jacqueline Costa-Lascoux « La laïcité à l’école : un principe, une éthique, une pédagogie », j’aborde dans l’ouvrage successivement la laïcité des collèges et les lycées, les obligations de laïcité des élèves , les obligations de laïcité des personnels et des exemples de situations concernant les pratiques de laïcité dans la classe : absences systématiques certains jours, contestation des programmes , refus de visites de certains monuments avec comme pour chaque étude de cas des pistes de réactions possibles des enseignants appuyés sur des textes réglementaires existant ou sur des expériences vécues, notamment pour bien différencier ce qui ressort du cultuel et du culturel. Il est donc important d’expliquer à l’élève que c’est en tant que patrimoine culturel que sont visités lors de sorties pédagogiques des lieux servant ou ayant servi a des cultes d’hier ou d’aujourd’hui.

Le classement d’un certain nombre de ces lieux de cultes comme « monuments historiques » en France ou encore mieux comme « Patrimoine mondial de l’humanité » par l’UNESCO atteste clairement de leur caractère culturel.

On peut à cette occasion rappeler que dès 1853, une mosquée était en France classée comme « monument historique » à une époque où le nombre d’édifices classés était faible. Il faut aussi savoir que, saisi par la Société orientale de France, le gouvernement en 1847 avait répondu « Il n’est pas douteux que le principe de la liberté de culte écrit dans la Charte ne donne aux français professant le mahométisme le droit de jouir en France de la même liberté et de la même protection pour l’exercice de leur culte que les français des autres religions. »

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Il est également utile de rappeler que la laïcité n’est pas l’anti religion. La laïcité, pierre angulaire du pacte républicain, repose sur trois valeurs indissociables qui permettent la coexistence des religions, car le cadre juridique et politique de la laïcité n’est pas une machine de guerre contre les religions:

– La liberté de conscience : elle permet à chaque citoyen de choisir sa vie spirituelle ou religieuse. Il n’y a pas de croyance obligée, pas de croyance interdite. La liberté de conscience, c’est la possibilité pour chacun de croire ou de ne pas croire, de pouvoir vivre avec une religion ou sans, de pouvoir même en changer s’il le souhaite

– La liberté de culte permet à toutes les religions l’extériorisation, l’association et la poursuite en commun de buts spirituels. Ainsi comprise, la laïcité s’interdit toute approche antireligieuse.

– L’égalité en droit des options spirituelles et religieuses prohibe toute discrimination ou contrainte et garantit que l’Etat ne privilégie aucune option.. Elle implique l’égalité de tous les hommes quelle que soit leur option spirituelle, qu’il croit ou ne croit pas en un Dieu.

Pas plus qu’il ne défend un dogme religieux, l’Etat laïque ne promeut une conviction athée ou agnostique.

La neutralité du pouvoir politique implique que le pouvoir politique reconnaît ses limites en s’abstenant de toute immixtion dans le domaine spirituel ou religieux. Pour que chaque citoyen puisse se reconnaître dans la République, elle soustrait le pouvoir politique à l’influence dominante de toute option spirituelle ou religieuse, afin que chacun puisse vivre ensemble. Cette conception implique également que toutes les religions respectent les lois de l’Etat et ne considèrent pas qu’elles ont un « droit de veto » sur les décisions prises par celui-ci. La laïcité suppose l’indépendance du pouvoir politique et des différentes options spirituelles ou religieuses. Celles-ci n’ont pas d’emprise sur l’Etat et ce dernier n’en a pas sur elles. De même, le spirituel et le religieux doivent s’interdire toute emprise sur l’Etat et renoncer à leur dimension politique. La laïcité est incompatible avec toute conception de la religion qui souhaiterait régenter, au nom des principes supposés de celle-ci, le système social ou l’ordre politique.

L’état-civil est un symbole de la laïcité. Le premier texte qui peut permettre d’expliquer , y compris à de jeunes élèves, la laïcité est celui concernant l’Etat-civil mis en place pendant la Révolution française. Le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative laïcise l’état civil et le mariage. La citoyenneté n’est plus liée à la religion. Avec ce texte qui organise l’inscription obligatoire à la mairie à l’occasion de la naissance, du mariage, et de du décès au lieu de l’inscription sur les registres paroissiaux qui deviennent facultatifs, chacun peut vivre, s’il le souhaite, en athée . C’est selon Jaurès « la laïcisation des bases de la vie ». Il y a avec la création de l’Etat-civil prééminence de l’Etat sur toute autre structure.

Conformément aux trois principes de la laïcité exprimés plus haut :

La neutralité, l’impartialité de l’Etat permet à chacun d’avoir la garantie de son nom , de son prénom, de son mariage, en dehors de toute croyance ;

La liberté de conscience est garantie par le fait que chacun après la déclaration de naissance, le mariage, le décès peut aller accomplir les cérémonies religieuses qu’il peut souhaiter ;mais, celles-ci viendront toujours en second. On ne peut se marier à l’Eglise , au temple, à la synagogue, à la mosquée, à la pagode qu’après s’être marié à la mairie. Un mariage seulement religieux n’est pas reconnu comme mariage.

L’égalité en droit de toutes les croyances ou non croyance est garantie par le fait que l’Etat ne se soucie pas de la cérémonie du culte ou de l’absence de cérémonie qui pourra suivre l’acte accompli à la mairie.

L’Etat-civil permet donc de vivre en athée comme de vivre avec sa foi.

L’école doit se vivre et se comporter comme avec tous ses acteurs comme un espace laïque de savoir et de citoyenneté. A l’école, comme ailleurs, les croyances religieuses de chacun sont affaire de conscience individuelle et relèvent donc de la liberté de chacun. Mais, à l’école où se retrouvent tous les jeunes sans aucune discrimination, l’exercice de la liberté de conscience impose que l’ensemble de la communauté mette en avant ce qui unit tous les élèves et non ce qui peut les diviser.

En Angleterre le code éthique des enseignants inclut la vie privée. L’enseignant doit en gros en permanence être respectable c’est a dire par exemple bien gérer sa page Facebook. La situation est elle identique en France ?

La notion d’éthique mérité d’être précisée. Si l’on prend la définition du dictionnaire Le Robert, l’éthique, c’est « la science de la morale, l’art de diriger la conduite, ce qui concerne la morale ». Quand à « la morale », dans le même dictionnaire, elle est « la science du bien et du mal ; la théorie de l’action humaine en tant qu’elle est soumise au devoir et a pour but le bien. »

Aucune société civilisée ne peut survivre sans se fonder sur un certain nombre de repères éthiques communs, avec notamment l’affirmation de quelques valeurs essentielles (par exemple liberté, justice, respect de l’autre personne, etc.), un certain nombre d’interdits et un certain nombre d’exigences couramment admises, telle les discriminations attentatoires à la liberté et au respect de l’autre. Si les repères éthiques communs s’effacent, le monde commun se fragmente, la violence privée devient l’ultime arbitre.

Il ne revient pas à l’école publique de former à une morale particulière. Sa tache consiste à développer ce qu’on pourrait appeler une culture éthique et peut notamment se caractériser par les approches suivantes :

apprendre à discerner en toute action, à côté des critères notamment techniques, scientifiques, économiques, etc…, un enjeu éthique impliquant une appréciation de valeur ;

apprendre à situer le jugement personnel de valeur comme expression de la dignité inhérente à toute personne humaine et à sa liberté ;

apprendre à se positionner soi-même par rapport à des valeurs essentielles et reconnaître le droit d’expression d’autrui ;

apprendre la nécessité d’assumer les engagements découlant des options éthiques.

Idéalement, un enseignant est porteur d’une éthique professionnelle, d’une éthique de la responsabilité qui guide son action dans la classe en liant justesse et justice dans ses actes, en particulier dans ses pratiques d’évaluation, qui le place en situation de conjuguer sa liberté pédagogique avec le respect des orientations du projet de l’établissement conçu en cohérence avec la politique de l’institution.

C’est au nom de cette éthique professionnelle que l’enseignant peut se sentir en capacité d’oser prendre des risques pour adapter son enseignement aux réalités du terrain et mieux mettre les élèves en situation d’apprentissage, et leur permettre de construire leur réussite. Cette responsabilité, assumée devant les élèves et leurs familles, le professeur l’exerce en choisissant sa pédagogie et ses procédures d’évaluation.

Il faut permettre à l’enseignant de « penser le local », la politique de l’établissement, en ayant présent à l’esprit la politique nationale de l’institution à laquelle il appartient : le service public de l’éducation nationale qui doit assurer une même qualité d’enseignement sur tout le territoire, dans le respect de programmes et de règlements nationaux.

L’éthique, c’est également :

– L’absence d’écart entre le faire et le dire

– Le respect du droit écrit et non des « coutumes »

– La cohérence de tous les adultes d’un établissement autour d’un même projet et des mêmes valeurs et de mêmes seuils de tolérance.

Finalement l’épreuve ne pose-t-elle pas la question de l’existence ou non d’un corps enseignant ?

Avec le démantèlement des IUFM, nous assistons à une fragmentation de la formation des maîtres. Au lieu de structures uniques académiques pour la formation de tous les enseignants avec un cahier des charges précis, on se retrouve avec des formations très différentes selon les niveaux d’enseignement, les politiques académiques ou départementales, les politiques d’établissement…..

Cela risque rapidement d’entraîner la fin chez les enseignants d’un sentiment commun d’appartenance à un service public laïque nationale. Elle risque de favoriser l’individualisme, le repli local, plutôt que l’action pour une même qualité d’enseignement sur tout le territoire national. Cette fragmentation n’aura pas que des conséquences pour les enseignants, elle risque de toucher de plein fouet les structures associatives, syndicales, mutualistes liées à l’éducation nationale.

C’est pourquoi, malgré les critiques qu’on peut lui faire, je pense qu’il faut se saisir de cette épreuve pour en faire une épreuve permettant de montrer au futur enseignant qu’il va appartenir à un corps avec des règles, des valeurs, une histoire, des missions données par la nation. Si on ne le fait, on facilitera l’éclatement de la profession et son émiettement.

Jean-Louis Auduc

Jean-Louis Auduc, Agir en fonctionnaire d l’Etat et de façon éthique et responsable, Hachette, collection Objectif concours, Capes, agrégation, Hachette , 2011.

Pour commander :

http://www.eleves.hachette-education.com/pi/fiche.php?idArticle=382056