Des « mamans louves » aux « parents vigilants » en passant par SOS-éducation, l’extrême-droite adore s’exhiber comme la protectrice des enfants. C’est même un de ses fonds de commerce pour mobiliser parfois au-delà de ses cercles. Car quel parent résisterait à l’argument de la résistance contre la mise en danger de son enfant ? C’est ainsi que l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité (EVARS) est régulièrement montrée du doigt par ces associations qui fustigent un soi-disant entrisme de l’école dans l’intimité des familles quand elle ne ferait pas la promotion de la perversion.
Mais l’EVARS n’est pas la seule discipline concernée : enseignement de la colonisation, de l’immigration, de l’histoire de l’islam etc, toutes les thématiques chéries par l’extrême-droite sont passées au crible de ces parents qui confondent allègrement la nécessaire coéducation (parents et enseignants) avec la dénonciation des enseignants qualifiés de « militants ».
Ce phénomène n’est pas nouveau. Déjà dans les années 1930, au nom d’une sorte de chasse aux rouges, des enseignants communistes étaient harcelés, sanctionnés, mutés, révoqués, à l’instar de Célestin Freinet par exemple, traqué aussi par l’extrême-droite de Charles Maurras. À cette époque, l’extrême-droite ne faisait pas appel aux « mamans » mais aux pères, leur demandant de protéger leurs enfants en dénonçant les instituteurs-rices trop à gauche.
J’ai déjà longuement écrit sur les menaces de plus en plus nombreuses que l’extrême-droite fait peser sur les enseignants ; mais j’aimerais montrer ici qu’elles n’en sont pas moins dangereuses pour ceux qu’elle prétend protéger, à savoir les enfants.
Enfants tueurs et fanatisés
À Nogent, le 10 juin 2025, un adolescent de 14 ans a poignardé une assistante d’éducation devant son collège à l’occasion d’une fouille de sacs. L’enquête nous a déjà appris que ce garçon s’était déjà distingué par quelques saluts nazis et n’éprouvait aucune empathie ni aucun regret. Quelques semaines plus tôt, une adolescente de 15 ans succombait à la suite de 57 coups de couteaux. Dans la foulée, on apprenait que le jeune meurtrier, 16 ans, était fasciné par Hitler.
Beaucoup de choses ont été dites sur ces crimes d’enfants et on a, à raison, largement évoqué la négligence de la santé mentale des jeunes malgré les incessantes alertes du monde médical, surtout depuis la crise du Covid.
Mais le lien avec le contexte politique a été trop peu fait, à commencer par la fascisation de la société. C’est peut-être le moment de rappeler que l’enfance a toujours été l’une des premières cibles de l’extrême-droite. Car se préoccuper de l’enfance est une manière de se projeter dans l’avenir, donc de se perpétuer. C’est pourquoi l’extrême-droite commence par classer les enfants en deux catégories : les indésirables, et les endoctrinables. Les premiers le sont sur des critères de préférence nationale, donc racistes. Les seconds sont vus comme des cerveaux malléables. En matière de vision de l’enfance, c’est une énorme régression puisqu’il s’agit de la négation de l’enfant comme un être en soi, et dont l’éducation vise l’émancipation, c’est-à-dire la libération de toute forme d’emprise.
L’extrême-droite ne fait pas que nier l’enfance, elle la dénature, et, bien loin de la protéger, elle l’agresse. Pour cela, elle développe des stratégies extrêmes. L’histoire des fascismes ne laisse aucun doute sur le sort fait aux enfants indésirables, ils sont discriminés au mieux, éliminés au pire, et ce, sans pitié. Ce que fait aujourd’hui l’extrême-droite israélienne aux enfants de Gaza. Exterminer des enfants, c’est prendre une assurance sur un avenir épuré de tout peuple indésirable. C’est massacrer l’innocence. Pour cela, il faut d’abord se débarrasser de toute compassion ou empathie.
Les propagandistes d’extrême-droite sur les réseaux sociaux y travaillent jour et nuit. Ceux-là s’adressent aux enfants endoctrinables et surtout aux garçons. Ils leur disent : « Armez-vous, rendez la justice vous-mêmes, éliminez les faibles, soyez des hommes, des vrais, mettez vos couilles sur la table, ne vous laissez pas attendrir par des êtres qui n’en sont pas ». Ils leur disent : « Vous appartenez au camp des puissants, des super-héros, c’est la mission qu’on vous assigne, nettoyer, purifier ». Un phénomène décrit aussi dans la mini-série Adolescence sur Netflix qu’Elisabeth Borne pense désormais utile de montrer dans les écoles.
Des pansements sur une jambe de bois
Il serait trop facile de croire que cette immense mécanique puisse être enrayée par la promotion de Netflix, ou par les interdictions d’écrans ou des réseaux sociaux. Encore pire d’attendre quoi que ce soit des caméras de vidéosurveillance ou des portiques de sécurité. Car quand vous chassez les idées nauséabondes par la porte, elles reviennent par la fenêtre. Or les fenêtres sont grandes ouvertes aujourd’hui et l’air est putrifié par le racisme, le masculinisme, le suprémacisme et toutes autres formes de haines proférées en toute impunité, des chaînes d’information continue au parlement.
Pis, les politiques de jeunesse, sous les mandats d’Emmanuel Macron, sont toutes empreintes d’une phraséologie et d’une idéologie autoritaires qui font volontairement fi du prisme éducatif pour ne se centrer que sur le répressif. Dès lors, les institutions éducatives comme l’école, l’éducation populaire, l’animation, ou encore la protection judiciaire de la jeunesse se sentent bien seules au Front.
Pourtant le défi est gigantesque et mériterait que toute la société soucieuse de la protection des enfants se dresse contre ce kidnapping mortifère ; comme il mériterait aussi qu’un véritable cordon sanitaire soit dressé contre l’idéologie de l’extrême-droite qui ne cesse de pourrir notre présent et noircir notre avenir.
Laurence De Cock
