Le choc du 21 avril est formidable. Il ébranle dans ses profondeurs nos institutions et notre pays. Depuis ce triste jour se succèdent analyses et éditoriaux qui ne cherchent pas seulement à expliquer le succès du Front National mais aussi à désigner les coupables.
Or, à chaque fois que la France vacille, c’est l’école qui est rendue responsable. La presse se fait largement écho de ces accusations. Ainsi Le Monde du 29 avril publie plusieurs pamphlets contre l’école. Pour Robert Redeker, professeur de philosophie, l’école n’est plus « qu’un lieu de vie » qui « se refuse à fabriquer des animaux politiques ». Jean-Pierre Rioux, inspecteur général, dénonce une école primaire « devenue un jardin d’enfants » qui « clochardise » les gosses; un collège qui est « un hangar à tous vents de l’égalitarisme roublard », et l’enseignement professionnel qui « sent la poubelle ».
Les enseignants de base ne sont pas forcément plus tendres. Les listes de discussion ont véhiculé des accusations : « la gent enseignante n’a-t-elle pas formé ces esprits capables de voter (Le Pen) ? » demande l’un. « Quelle est notre part dans ce désastre » se demande l’autre.
Pourtant l’analyse du vote montre que les jeunes ne sont pas les seuls électeurs de Le Pen. Certes 20% des 18-24 ans ont choisi le candidat de l’extrême-droite (sondage CSA-TMO sortie des urnes). Mais 19% des 35-44 ans en ont fait autant, 19% des 45-64 ans et 18% des autres catégories (1). Autant dire que l’électorat de Le Pen ne s’identifie pas à une tranche d’âge et que les personnes qui ont fréquenté la même école que nos pamphlétaires ne sont pas à l’abri d’un vote F.N.
Pour autant l’électorat F.N. a bien des caractères culturels particuliers. Pascal Perrineau (2), constatant que la localisation des votes Le Pen correspondait à celle des « non » au référendum sur Maastricht, a défini « un clivage entre partisans d’une société ouverte et partisans d’une société fermée ». C’est bien aussi ce que reflètent les propos de Le Pen. Autrement dit, la coupure culturelle n’est peut-être pas tant à chercher entre des niveaux éducatifs différents, comme le font nos pamphlétaires, qu’entre des repères culturels différents. Quels pourraient-ils être pour l’électorat Le Pen ? La sécurité, l’ordre, l’effort, la virilité, la tradition, l’autorité, le repli sur le national, la fermeture aux autres, l’inégalité, l’élitisme.
Ce n’est pas en réclamant le retour de l’autorité traditionnelle à l’école, en justifiant l’élitisme, en mythifiant la tradition, en condamnant ce qui est ludique, en repoussant les technologies modernes et même… la télévision, que l’on combattra les idées du Front national. La condamnation des TICE, élément d’une fatwa générale sur les méthodes actives, participe à l’enfermement dans l’espace hexagonal. Ce que permet Internet c’est justement l’ouverture sur les autres cultures, la découverte d’autres valeurs, la confrontation avec les étranges étrangers.
On ne défendra pas la démocratie en rétablissant l’école fantasmée de la IIIème République. Rappelons-nous que celle-ci a sombré dans Vichy après l’avoir préparé. On ne la défendra pas en fermant l’école au monde moderne et aux grands courants culturels qui balaient le monde.
Si l’instruction est nécessaire à la démocratie, l’éducation aux valeurs démocratiques l’est tout autant. Nous n’avons d’autre choix que de construire une école plus démocratique, plus respectueuse de l’enfant, c’est à dire plus savante sur l’enfant et plus pédagogue. Et la mobilisation des enseignants qui a suivi le 21 avril montre qu’ils s’y attellent. Non, décidément, l’école n’est pas responsable.
François Jarraud
1- A l’exception des plus de 75 ans où le score de Le Pen tombe à 13%. http://www.csa-tmo.fr/fra/dataset/data2002/opi20020421b.htm
2- Dans Le Monde du 27 avril.
