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Le numérique, une chance pour l'école ? 



Quelles seront les prochaines étapes du numérique dans l'enseignement ? Trois spécialistes du numérique éducatif, Joël Boissière, Caisse des dépôts, Simon Fau, consultant, et Francesc Pedro, analyste OCDE, tentent de répondre à cette question dans un petit livre qui est aussi une excellente synthèse sur la situation française. "Face à ce qui pourrait être perçu comme une frénésie, il ne s'agit ni d'entretenir la fascination, ni d'effrayer en développant le sentiment que nous ne pourrions rien faire". Cette voie raisonnable, fruit de l'expérience, invite nettement à s'emparer du numérique dans l'enseignement. Car au bout du compte, la réponse à la question c'est l'apparition d'un nouveau paradigme scolaire.


 La première partie du livre décrit le lent passage au numérique du système éducatif français. Le livre fourmille d'indications que l'on trouve rarement, tel le graphique ci-dessous qui illustre à lui tout seul les résistances du système éducatif français et son retard vis-à-vis des voisins. Sont passés en revue les questions d'infrastructure, un domaine que la Caisse des dépôts connait parfaitement, de services, d'usages. Avec de bonnes questions comme celle de l'efficacité du numérique dans le système éducatif.


Dans une seconde partie l'ouvrage montre comment le numérique est porté dans l'éducation. Il identifie les acteurs nationaux et internationaux, le défi envoyé aux Etats et les différentes politiques numériques. Si la France est en queue de peloton pour l'admission des portables dans les salles de classe en Europe, elle l'est aussi pour le pourcentage d'enseignants formés à l'usage pédagogique du numérique. Seules la Turquie et le Luxembourg font moins bien... Les auteurs, qui conseillent ces politiques, essaient de définir des facteurs de succès des stratégies de modernisation de l'école, d'où émergent l'importance du soutien accordé aux enseignants et le rôle du leadership. Mais les cadres de l'éducation nationale sont-ils réellement formés à penser l'intégration du numérique ?


La dernière partie tente d'imaginer la façon dont le numérique va changer l'École. Les auteurs analysent lucidement les promesses des Moocs, des flipped classrooms. Ils posent la question de l'apprentissage du numérique à l'école, de la place des communautés enseignantes nées sur Internet. Ils montrent que l'on peut utiliser le numérique pour lutter contre les inégalités, les handicaps. Et que le numérique peut même venir à bout de l'école caserne.


Sans imposer des propositions, le livre emmène le lecteur dans l'univers du numérique éducatif et le laisse riche d'informations et de projets. C'est que tout reste à faire et la route est longue...


François Jarraud


Joël Boissière, Simon Fau, Francesc Pedró, Le numérique Une chance pour l'école, Armand Colin, ISBN 9782200279844


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http://www.armand-colin.com/livre/457662/le-numerique.php



J. Boissière, S Fau et F Pedro : "Le numérique est aussi l’occasion de repenser en profondeur les mécanismes de transmission des savoirs"

La "stratégie numérique" de V. Peillon va-t-elle désembourber le char du numérique éducatif en France ? Les trois auteurs répondent aussi aux questions sur les avancées réelles du numérique, la place des ENT et le retard français lu à travers le cas des pays qui ont réussi leur transition numérique.


Vous êtes des acteurs et des observateurs du numérique éducatif. On sait que la France est en queue de peloton pour les usages du numérique en classe. Peut-on identifier les freins ?


Nous avons souhaité dans notre livre adopter une démarche comparative internationale afin de prendre du recul sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. La mesure des usages en classe ne fait pas tout le numérique à l’école, et beaucoup reste à dire sur la façon dont elle est effectuée. Pour autant, le constat n’est pas contestable. Les freins limitant le développement du numérique dans l’éducation sont nombreux… Mais le frein le plus important pour la France est certainement le découpage complexe des compétences et la multiplicité des acteurs, notamment au niveau du primaire, qui se traduit par un émiettement de l’action publique et rend difficile la mise en place de politiques numériques cohérentes. La question de la formation, notamment continue, des enseignants au et par le numérique est encore très prégnante (ce sont toujours les cordonniers les plus mal chaussés !). Enfin la question de l’évaluation est essentielle (au Danemark les élèves ont droit à Internet au moment du bac).


Est-ce que c'est "rentable" scolairement d'investir dans le numérique quand on est un acteur local ?


Beaucoup ont cherché à établir des corrélations entre le numérique et les résultats scolaires pour montrer la « rentabilité » de tels investissements. C’est de fait très compliqué. Car d’une part la technologie en elle-même n’est rien. Elle n’est rendue efficace qu’avec une pratique d’enseignement adaptée. D’autre part, les méthodes d’évaluation traditionnelles des élèves ne prennent que peu ou pas en compte – et c’est le cas en France - les compétences et les apports liés au numérique.


Pour autant, nombreux sont les acteurs locaux qui, de par le monde, investissent dans le numérique éducatif et, de fait, certains programmes comme les écoles éloignées en réseau au Québec ont des résultats avérés pour les élèves, les familles et, au delà, pour l’aménagement du territoire. Bien entendu, il existe également des contre-exemples. Nous avons souhaité écrire ce livre pour donner des clés à tous ceux qui souhaitent comprendre comment le numérique peut apporter des solutions à l’école.


Après tout, que peut-on attendre du développement du numérique dans l'école ? Une meilleure lutte contre les inégalités ou des inégalités nouvelles ? Plus d'efficacité ? Moins de coûts ?


La lutte contre les inégalités est un élément essentiel du développement du numérique à l’école. En effet, dans un contexte de quasi généralisation du numérique chez les jeunes, les établissements scolaires restent le dernier rempart contre les deux fractures numériques ; la fracture d’accès qui est d’autant plus grave qu’elle est résiduelle (ainsi tous les enfants doivent avoir accès au numérique à l’école dès le plus jeune âge), mais surtout la fracture d’usage (l’utilisation éducative et intelligente du numérique étant essentiellement le fait des enfants des familles favorisées). Les études européennes les plus récentes montrent – aux dires même des élèves - que l’école a un rôle fondamental dans la confiance qu’ils ont dans leurs compétences à utiliser le numérique. Par ailleurs, le numérique permet de surmonter des difficultés qui sont mal adressées pour l’instant (comme les enfants ayant des difficultés d’apprentissage, ou les « décrocheurs »). Enfin, il nous semble que le numérique est aussi l’occasion de repenser en profondeur les mécanismes de transmission des savoirs. Nous avons essayé de lister quelques modèles émergents pour repenser les lieux d’accès à la connaissance, la pédagogie, ou même inventer des établissements qui sortent du modèle de l’école « caserne » du 19ème siècle.


Quelles avancées avez vous constaté en France ces dernières années ?


Ce qui a radicalement changé, c’est le contexte. Les enfants passent plus de temps devant les écrans qu’à l’école. Penser le numérique comme un support au développement des enfants est plus que jamais essentiel. Le problème de la France, comme des autres pays, n’est pas que l’on n’a pas avancé, mais que la déferlante numérique dans la vie privée et professionnelle a complètement changé la donne en quelques années, sans que l’école ait eu les moyens de mettre cette déferlante à son service.


La France a choisi de développer depuis plus de 10 ans des ENT. Est ce une réussite ? Un des défauts reproches aux ENT c'est leur ignorance des acteurs de terrain. Quelle place pour eux dans la diffusion du numérique ?


Le concept d’ENT, prolongement numérique de l’établissement à l’accès sécurisé, sans publicité, et sans exploitation commerciale des données personnelles est porteur. En France, leur déploiement dans le secondaire est quasiment achevé et on peut parler à ce titre de réussite. Pour autant, les usages, qui sont globalement en constante progression, sont très inégaux d’un endroit à l’autre.


Les facteurs explicatifs sont nombreux, car les ENT, souvent appelés « chaînon manquant » sont le révélateur du fait que les cinq rouages d’une politique numérique éducative (infrastructures, équipement, services numériques et contenus, et conduite du changement) sont bien enchâssés. Les acteurs de terrain ont une place centrale dans la diffusion du numérique. Hélas, il existe très peu d’études pour décrire la place que peut avoir chacun. Nous avons essayé, à partir de nos expériences, de commencer à qualifier ce que nous avons appelé l’accompagnement humain. Il s’agit, à notre sens, désormais de la première brique d’une politique numérique et c’est pour cela que nous avons débuté notre description des composantes du numérique par là.


On a l'exemple de pays qui ont réussi une certaine intégration du numérique dans l'éducation. Je pense à la GB. Que peut-on en tirer ?


La GB a beaucoup investi dans le numérique avec de vrais résultats. Ce pays a su conjuguer une vision, une stratégie, des budgets publics importants, une constance des efforts dans le temps (au moins à moyen terme), de l’évaluation par les usagers et un vrai dialogue entre le secteur public et le secteur privé. Tout cela avec la claire conscience (et c’est aussi le cas aux Etats-Unis aujourd’hui) que le numérique éducatif est non seulement un facteur essentiel de modernisation du pays mais aussi mais aussi une filière industrielle stratégique en pleine croissance. Cependant, il nous semble que, parmi les trois modèles d’organisation du numérique que nous avons décrit, aucun n’émerge comme un modèle meilleur que les autres. Nous avons préféré proposer des grilles méthodologiques pour qualifier des projets qui peuvent avoir un impact.


Vincent Peillon a lancé une "stratégie du numérique" qui vient après de nombreux plans. Est ce vraiment une démarche nouvelle ?


La nouveauté est d’aborder cette thématique par la question de la gouvernance qui est un point dur en France sur les questions numériques. Le service public du numérique est consacré par la loi comme un élément clé de la refondation de l’école. La répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales est clarifiée. La formation initiale des enseignants au et par le numérique est mise en avant. Par ailleurs, le soutien à l’innovation est prolongé que ce soit du côté des enseignants ou du côté des industriels dans le cadre du programme des investissements d’avenir. Reste maintenant à savoir comment le numérique va être intégré dans les programmes. La redéfinition actuelle par le Conseil des programmes du socle commun de connaissances et des programmes qui en découlent, est absolument essentielle à cet égard. Il est donc encore trop tôt pour savoir si la démarche entamée atteindra ses ambitions d’un point de vue numérique.


Propos recueillis par François Jarraud



La transmission au centre des débats du numérique à l'école ?

Quand on écoute attentivement les débats et propos échangés sur l'introduction du numérique en éducation on peut observer qu'au coeur de ces discours se pose toujours la question de la "transmission". Quand on évoque la classe inversée, les MOOCs ou encore le vieil Enseignement Assisté par Ordinateur, on se trouve face à cette question : que signifie transmettre et comment peut-on opérer pour transmettre ? Chaque adulte éducateur a un rêve implicite autour de la transmission de ce qu'il connaît. Qu'il déplore le fossé générationnel ou qu'il s'enthousiasme de la nouvelle génération, il parle de la transmission; un fait qui qualifie la recherche de continuité humaine de ce qui peut être nommé "culture" et parfois abusivement culture numérique.


Avec le développement de toutes les formes de traces, puis de diffusion des traces grâce au numérique, cette persistance a pu, petit à petit devenir de plus en plus importante dans notre vivre ensemble. L'inscription dans la pierre, sous forme de monuments, de sculptures et de textes gravés, est une première tentative pour transmettre au delà du temps présent. Car c'est bien là l'un des fondements de l'humain : dépasser le seul temps présent pour s'engager aussi bien sur le passé que sur l'avenir. L'arrivée du livre, de l'imprimerie, puis du numérique a amplifié ce développement et les possibilités de transmission. Nous passons de plus en plus de temps à transmettre en particulier avec le web 2.0 qui a amplifié le potentiel déjà présent avec les forums et les messageries. Le préfixe trans signifie aussi bien la dimension synchronique, transmettre à tous au delà même de la présence ce que l'on fait lorsque l'on diffuse en ligne des cours, que diachronique, transmettre au delà du temps, dans la durée, lorsque l'on réalise les pages web qui présentent des conférences et colloques passés.


Malheureusement un malentendu, très ancien, a enfermé le terme de transmission dans une représentation dominante qui en a restreint l'effectif fonctionnement : la transmission est perçue le plus souvent comme ce que Shannon avait modélisé (Em - Mess- Rec). La transmission se réduit alors au simple fait que ce qu'on transporte une information et que cela ne peut accepter de distorsion, autrement dit, transmettre serait reproduire. Or l'histoire du vivant nous montre que transmettre s'appuie sur le reproduire mais ne s'y limite pas, en particulier pour ce qui est de l'humain. Le modèle de la transmission scolaire magistro-centrée est le résultat de cette représentation et de l'enfermement de la signification du terme transmission dans un modèle tellement restrictif qu'il freine même tout autre usage du terme. Avec le développement des technologies de l'information et de la communication, la transmission technique s'amplifie. Encore faut-il que les modèles de transmission humaine s'en différencient.


Transmettre suppose une volonté d'instaurer une dynamique de continuité, entre émetteurs et récepteurs, qui doit s'affranchir du temps et de l'espace; les moyens technologiques ne cessent de nous en fournir les moyens de plus en plus aisément. Les spécialistes de la propagande, de la publicité, des techniques d'influence humaine, sont les plus redoutables transmetteurs car ils visent à renforcer l'idée de reproduction, parfois même avec les techniques d'influence. L'enseignant dans sa classe peut très bien porter cette unique vision de la transmission. Or cela ne tient pas très longtemps dès lors que l'on regarde un groupe social ou une classe par exemple. La diversité humaine nous montre que la transmission est quelque chose de complexe et surtout qu'elle ne peut s'affranchir d'un incontournable : celui ou celle à qui elle se destine.


Le monde scolaire se trouve face à un dilemme qu'il a du mal à lever : comment transmettre les savoirs, la culture, la citoyenneté dans un univers dans lequel le numérique a ouvert des brèches. L'enseignant dans sa classe se rend compte des limites du modèle centralisé et massé. Il tente d'endiguer les dérives de certains élèves, mais son autorité peut-être mise à mal. Les responsables des établissements, relayant les règles de l'institution, tentent de maintenir un cadre dont ils savent qu'il est fragile (cf. les règlements intérieurs et les smartphones). La forme scolaire maintient ce cadre et la vision centralisée du pilotage de l'éducation par des lois et règles qui, pour l'instant, tiennent. Mais au quotidien dans la classe, les enseignants sont de plus en plus souvent amenés à "inventer" des réponses nouvelles. Malheureusement il y a une difficulté à passer du niveau de la classe au niveau de l'établissement puis de l'institution. Si l'invention est tolérée, on appelle ça l'innovation, cela permet de contenir les inventeurs dans leur périmètre. Dans le même temps les décideurs développent des politiques d'équipement qui parfois affolent les enseignants et ne s'inscrivent pas dans une vision claire de ce que ça va provoquer en termes de transmission. Car c'est un des effets rarement signalés et finalement importants : les formes de la transmission des connaissances sont fortement liées au contexte matériel et humain dans lesquels elle s'effectue. Les objets numériques, plus que d'autres, surtout s'ils sont mobiles et connectés invitent à repenser justement cette transmission de manière renouvelée par rapport à l'époque des équipements lourds, fixes et non connectés de nombre de salles informatiques anciennes.


Dans un monde peuplé de terminaux mobiles connectés, l'interrogation sur ce que signifie transmettre devient encore plus indispensable qu'auparavant. Les cadres formels de l’école n'ont pas encore évolué alors que le contexte général est en pleine évolution. Au sein même de la famille, on est obligé de repenser la transmission et surtout ce qui en est le fondement : la culture de l'apprendre que chaque éducateur propose aux enfants dont il a la charge.


Bruno Devauchelle


Retrouvez les chroniques de B. Devauchelle

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2012_BDevauchelle.aspx



Les « serious games »: Jouer pour comprendre ?

D’où viennent les « jeux sérieux » ? Quels sont leurs usages ? Comment les sauvegarder ? La BnF organise une série de manifestations autour de cette nouvelle forme d’apprentissage. En clôture, une après-midi d’étude, centrée sur les sujets de société, a réuni le 5 février concepteurs de jeux, enseignants-chercheurs et experts de la BnF pour analyser ce phénomène en plein essor, de l’école au travail, de la formation professionnelle à l’éveil à la citoyenneté.


Mission inédite : conserver un média singulier et éphémère


« Il arrive au législateur d’être visionnaire. Avec l’instauration du dépôt légal pour les logiciels et les jeux vidéo en 1992, nous avons un exemple qui oblige la Bibliothèque nationale de France depuis son ouverture en 1994 à relever le défi » souligne Christophe Gauthier, directeur du département audiovisuel. Ainsi la BnF est-elle une des rares bibliothèques patrimoniales au monde qui recense et collecte les « serious games ». Cette obligation implique plusieurs missions pour l’établissement public : asseoir la légitimité de ces nouveaux « objets » par leur entrée dans le champ patrimonial ; appréhender leurs modèles économiques en évolution ; interroger les mutations des métiers induits par ces productions, y compris les métiers de bibliothécaires ; mettre à la disposition du public des « objets » qui ne durent pas et qui changent vite de supports comme de contenus ! En bref, proposer à tous des outils de compréhension et d’appropriation de nouvelles formes de la culture de masse.


Nommer et raconter l’histoire des « jeux sérieux »


Outre les questions de terminologie et de néologie exposées par Aurélia Rostaing de la BnF, le recensement et l’examen des titres reçus permet de remonter aux sources des « jeux sérieux » et à leur préhistoire, comme l’explique Elodie Betrand en charge de ces questions. Selon elle, l’intérêt du monde éducatif pour les possibilités des jeux vidéo remonte au début des années 70 avec la première console, l’Odyssey de Magnavox, offrant aux enfants la possibilité de reconnaître les animaux dans « Fun Zoo » ou les différentes parties du corps humain avec « Simon says ». En France, l’année 1985 a vu fleurir ce genre de productions avec l’édition de programmes ludiques utilisables par les enseignants, au moment du lancement du plan Informatique pour tous : « Feu vert, le village de la prévention rurale », « Cap sur l’aluminium » co-édité par le CNDP et la chambre syndicale de l’aluminium.


Julian Alvarez, membre du Play Research Lab, laboratoire Recherche et développement en ludologie (Université Lille 1 et Chambre de commerce et d’industrie du Grand Hainaut), situe la véritable naissance du « serious game », à la croisée du jeu et de l’application utilitaire, avec le lancement en 2002 par l’armée américaine de « America’s army » destiné aux soldats. Loin de cette « vocation » initiale, le terme s’est répandu pour désigner « un jeu avec des règles et des objectifs pour informer et apprendre, un artefact numérique ou non visant un marché s’écartant du pur divertissement ». Les avancées technologiques permettent régulièrement de renforcer les atouts spécifiques de ce médium dans l’acquisition de connaissances. En plus des jeux sérieux strictement pédagogiques (« Eonautes , le Français langue étrangère, jeu d’aventures par immersion, 2012, par exemple), Julian Alvarez recense différentes catégories : des jeux pour véhiculer des messages à tendance humanitaire, (« Darfour is dying », 2006), éducative (« Mobiclic », code de la route), sanitaire ( « Happy night », contre la consommation excessive d’alcool, 2008, ou « Times out », gestion individuelle du diabète) ; d’autres « serious games » à fonction d’entraînement physique, cérébral… ; d’autres encore propres à favoriser l’échange de données scientifiques entre chercheurs.


Diversification des applications, de la formation à l’information


Selon une étude récente du Play Research Lab, dans les années 2000, l’éducation représentait 65,8% de la part des domaines couverts par les « serious games » tandis qu’aujourd’hui l’éducation représente 25,7% des domaines concernés (santé, environnement, humanitaire, formation, information…). Un phénomène en plein essor encore à la recherche de modèles économiques tant il parait difficile de comparer le mode de financement d’un « serious game comme « Invaders » vantant les mérites d’une boisson américaine et celui de « Food force », le jeu de simulation d’une famine sur une ile déserte causée par la faim et une guerre civile, destiné aux 8-14 ans, crée en 2006 par le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies et présenté par Agathe Visier du bureau France.


L’atelier « formation professionnelle », organisé par le lab BnF, fait la démonstration d’autres usages des serious games : « Rescue Sim », simulation en 3D d’une situation d’urgence (l’incendie dans un centre commercial) pour la formation des pompiers, « I-care », programme porté par l’université de Toulon avec Airbus Europter, application avec interface de vol, 3D en temps réel pour préparer les pilotes d’hélicoptère à gérer crashs et crises, « Ambassador », présentation ludique et interactive -en 5 langues-des métiers aux nouveaux arrivants dans l’entreprise Suez Environnement.


« News games » et citoyenneté


L’essor des « serious games » interroge aussi les voies d’accès à l’information et ouvre des pistes inédites selon les jeunes créateurs et diffuseurs en ligne venus témoigner de leur expérience. Eric Brown, co-fondateur du studio américain Impactgames, explique la conception de « peacemaker », un jeu de simulation, sensé, non violent et innovant pour choisir la paix entre Israël et la Palestine, élaboré après consultation d’experts des deux pays, notamment. Ce créateur insiste sur les témoignages recueillis chez les joueurs (y compris dans les deux pays concernés), leur compréhension nouvelle des enjeux du conflit, du rôle de la censure et du caractère inconfortable de la vérité… Alexander Knetig, chargé de programmes web pour Arte France, partage les mêmes exigences dans l’élaboration de « news games », lesquels, selon lui, peuvent mettre au jour des mécanismes socio-économiques et politiques. Il détaille la conception du jeu documentaire au cœur de l’industrie pétrolière, tourné par David Dufresne au Canada à Fort McMurray, 3ème réserve mondiale de l’or noir. Dans cette ville où il suffit de brûler le sable pour en tirer le pétrole, provoquant un désastre écologique, des milliers de gens affluent dans l’espoir de faire fortune. Le jeu, intitulé « Fort Mc Money », dont le deuxième épisode vient d’être mis en ligne, confronte le joueur à des situations et des personnages réels et à des choix « qui vont déterminer son expérience » de la réalité et sa prise de conscience. Comme Florent Maurin, journaliste et concepteur de news games (« Primaires à gauche », récemment, « Municipali » aujourd’hui, pour le site du quotidien Le Monde), cette nouvelle génération met l’information au cœur du métier avec l’ambition de développer l’esprit critique en utilisant la dimension ludique et la longue durée propres aux « serious games » : il s’agit, selon eux, d’inventer « une grammaire de l’interactivité », applicable à d’autres domaines.


La richesse du débat donne, en effet, un aperçu de tous les prolongements éducatifs de ces jeux en devenir. Certains comparent d’ailleurs l’expérience des serious games aux travaux pratiques, compléments indispensables aux formes d’expression et de communication linéaires. Le foisonnement des questions suscitées conduit à s’interroger sur les modes de diffusion des jeux sérieux après leur première exploitation puisqu’il s’agit de créations qui meurent.


D’où le rôle important de la BnF en matière de recensement, de conservation (au-delà des questions de confidentialité et de concurrence économique) et d’exposition en direction du public le plus large afin que les idées originales dans ce domaine ne soient pas perdues et nourrissent la conception des futurs jeux sérieux.


Samra Bonvoisin


Des jeux sérieux pour l'éducation nationale

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/pages/2011/11/0711201[...]

Un avenir pour l'École ?

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/04/18_JeuxS[...]

Enseigner avec le jeu

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/93_Doss[...]

Les jeux sérieux permettent-ils d'apprendre ?

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/04/18_Jeu[...]



Sur le site du Café



Par fjarraud , le vendredi 21 février 2014.

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