Les écrans..., de l'école, à l'école. 

L'omniprésence des écrans dans le quotidien inquiète autant, voire davantage aujourd'hui qu'il y a trente-cinq ans lors de la généralisation des écrans de télévision à domicile. Entre les opérations de sevrage numérique (10 jours sans écrans, les rapports de l'académie des sages...) ou encore les travaux (ô combien violents) de certains chercheurs, on ne compte pas le nombre de mises en alerte Or les écrans continuent de se multiplier chaque jour, à chaque instant, en tout lieu.

 

L'école n'échappe pas non plus à cette envie d'écrans, comme on peut le comprendre au travers des stratégies numériques en cours. Mais pour l'école, on objectera qu'il s'agit d'éduquer, donc pour la bonne cause. Tandis qu'en dehors on évoquera plus facilement les dérives, voire les addictions, terme trop souvent employé en dehors de tout cadre d'analyse de la réalité des pratiques, en particulier de celles des spécialistes de ces comportements faisant l'objet de traitements médicaux.

 

Nous ne sommes pas tous en addiction devant les écrans, mais nous sommes tous en train de nous confronter à la construction d'un environnement personnel d'écrans de toutes natures mais dont la tendance à la convergence est forte. C'est un des éléments clés des développements actuels, les écrans se multiplient, mais tous doivent de plus en plus souvent nous ramener à des activités identiques ou proches. L'exemple des phablettes après celui des smartphones illustre cette convergence des usages : quand je suis devant n'importe quel écran, je dois m'y retrouver, autrement dit je dois me retrouver... dans un univers familier et continu. Professionnel ou non, l'écran doit m'offrir un regard sur mon univers de vie. On retrouve derrière ces écrans la montée en puissance du questionnement vie privée/vie publique i.e. vie personnelle/vie professionnelle.

 

Et l'apprentissage ? Dans son article "Nouveaux écrans du savoir ou nouveaux écrans au savoir ? in Apprendre avec le multimédia. Où en est-on ?"  (1997 Paris : Retz) Geneviève Jacquinot aborde un autre aspect de la multiplication des écrans qui concerne directement l'enseignement/apprentissage : favorisent-ils ou freinent-ils l'apprentissage, par la médiation qu'ils opèrent entre le sujet et le savoir ? Bien évidemment, parler des écrans ce n'est pas ignorer ce qui est derrière, mais c'est utiliser la surface visible pour y associer ce qui se passe "au travers". Si convergence il y a entre les différents écrans, d'un utilisateur à l'autre, ce qui passe au travers des écrans est bien différent. Car si les écrans se multiplient, ils deviennent les surfaces de projection/exposition de chacun de nous. C'est ce qui est assez déroutant c'est lorsqu'on accède à l'écran de quelqu'un d'autre (en utilisant la machine personnelle de celui-ci). On découvre alors cette progressive personnalisation qu'effectue chaque usager. A force d'usage, l'ordinateur (qui finalement est derrière tous ces écrans, quelle qu'en soit la taille) qui semble neutre est polyvalent devient progressivement un intermédiaire entre la personne et sa "projection numérique".

 

Les écrans de l'école sont-ils porteur de la "projection numérique" de chaque élève ? Si l'écran est partagé, il est le plus polyvalent et le moins personnalisé possible autrement que par l'institution qui le gère (fonds d'écrans, applications installées, documents, filtres). Mais s'il est connecté à un serveur (proche ou distant) alors il peut y avoir une personnalisation partielle, mais sous contrôle. Car l'un des problèmes essentiels du monde scolaire est le "contrôle" de l'activité de l'élève. Avec ou sans écran, l'enseignant doit capter l'attention de l'élève dont il espère qu'il va apprendre. Les mentions, fréquentes sur les bulletins scolaires, qui parlent de manque d'attention sont souvent le reflet que des écrans qui se dressent devant l'élève qui apprend. Marcel Pagnol nous avait montré les écrans que constituent les fenêtres de la classe ainsi que l'imagination de l'enfant. Aujourd'hui les fenêtres sont dans les poches et constituent de nouveaux échappatoires du quotidien.

 

Les nombreuses interdictions de téléphone portable (cf. texte de loi sur les écoles et collège sur le sujet) inscrites dans les règlements intérieurs sont bien souvent contournées par les élèves. La multiplication des écrans permet de plus en plus facilement ces échappées. Du coup le contrôle de la classe ne peut plus s'évaluer sur la simple attention vers le professeur, mais plutôt vers l'activité donnée à faire à l'élève. Si le problème reste, globalement, circonscrit et maîtrisé à l'école et au collège, il l'est beaucoup moins au delà. Si les lycées et l'enseignement supérieur ou la vie professionnelle sont désormais au centre de ces évolutions, c'est, et pour tous les âges, la vie personnelle, l'espace privé qui est en train d'évoluer. Les sociologues ont bien montré combien les objets de la maison sont porteurs de sens, aussi bien dans leur définition que dans leur emplacement dans l'espace et dans la vie quotidienne. Les écrans à domicile, de plus en plus personnels, (chacun le sien) bouleversent progressivement deux principaux éléments de notre environnement individuel : l'espace personnel d'apprentissage/d'information, l'environnement communicationnel.

 

Les changements que l'on observe dans la vie personnelle ont inévitablement un retentissement sur la vie professionnelle du fait de la nouvelle continuité qu'apportent aussi bien la mobilité des écrans que leur connexion quasi permanente aux réseaux. Le monde scolaire, en multipliant les écrans (tablettes par exemple) invite, sans s'en apercevoir parfois, les élèves à développer cette continuité. Dès qu'il tente de la rompre, les élèves (et les adultes) sont amené à les réinstaurer en utilisant des moyens "non conventionnels" et surtout non autorisés, tant elle devient un mode de vie. Derrière les écrans se cachent bien des secrets qui appartiennent à chacun. Désormais nous emportons nos secrets d'écrans avec nous et dès qu'on ne nous sommes empêchés d'y accéder, nous recherchons au plus vite à les retrouver, connectés, de préférence. Ainsi les écrans numériques connectés nous deviennent tellement ordinaires que nous n'imaginons plus de nous en passer, même dans l'établissement scolaire ou universitaire.

 

Bruno Devauchelle

 

 

Les chroniques de B Devauchelle


Par fjarraud , le vendredi 04 octobre 2013.

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