Espaces, locaux, mobilier et numérique 

Dès leur arrivée dans les établissements scolaires, les ordinateurs ont été gênants. En premier lieu "ça coute cher" ! Ensuite ils prennent de la place, il leur faut une salle, équipée d'un nombre de prises électriques et bien évidemment une sécurisation. Petit à petit ils se sont imposés dans les bâtiments, mais le plus souvent dans des espaces bien repérés. L'explosion des parcs informatiques a aussi amené à penser des infrastructures : il a fallu créer des locaux spécialisés, réaliser des chemins pour faire passer les câbles des réseaux, percer les murs, installer des boitiers répartiteurs etc.... Bref les locaux scolaires ont d'abord été transformés pour accepter l'informatique. Même dans les classes primaires, avec l'ordinateur au fond de la classe, il a fallu leur faire une place, prise sur d'autres activités, gênant parfois même le déplacement dans la salle de classe.

 

Les établissements scolaires ont été construits en fonction d'une vision pédagogique bien spécifique. Cette vision s'appuyait principalement sur la transmission magistrale de la parole des maitres, sur le travail d'étude, sur le crayon, le papier et le livre. Au delà il y avait aussi une certaine idée du vivre ensemble, entre soi et en dehors des "bruits du monde", qui, autour d'une cour intérieur, d'un jardin parfois, survivance des cloîtres religieux, ordonne l'espace d'une manière bien particulière. D'ailleurs ces locaux sont parfois simplement des locaux religieux laïcisés ou des établissements scolaires construits selon des plans similaires. Mais c'était sans compter sur le développement de nouveaux moyens de "transmission" qui ont amené une concurrence nouvelle à la forme scolaire et invitent à réfléchir au modèle scolaire et à son environnement architectural.

 

L'éclosion des CDI, successeurs des bibliothèques des établissements scolaires, avait déjà été l'occasion de repenser autrement les locaux de classe et d'étude. On pouvait mettre en contact direct celui qui apprend et les supports du savoir. Une étude promptement vidée de ses bureaux est rapidement devenu un de ces CDI dont l'agencement est très varié selon les établissements, et aussi selon les murs dans lesquels on a installé le CDI. Là aussi l'arrivée de l'informatique a amené à repenser petit à petit l'espace de travail. Selon les cas, ils se sont imposés dans la grande salle du CDI, ou ont été installés dans des petites salles périphériques.

 

L'arrivée de matériels comme les vidéoprojecteurs et les TBI/TNI a aussi apporté son lot de questions pour l'aménagement des locaux. Selon les modèles choisis, la place prise par l'équipement peut être plus ou moins contraignante. Ainsi les premiers modèles étaient-ils faibles en luminosité et imposaient de faire "le noir" au moins partiel. Certains TBI sont en eux-mêmes des meubles lourds imposants, voire gênants. L'arrivée des vidéoprojecteurs à courte focale a changé la donne, certains appareils proposent même que le sol ou les tables soient les écrans de projection. On se rappelle les séances diapos, puis la séance télévision ou cinéma dans des établissements n'ayant pas toujours prévu ces pratiques.

 

Mais tout cela est en train de changer ! La portabilité des matériels, les liaisons sans fil sont les deux premiers facteurs qui vont faire évoluer la question des locaux. Avec les TPMC (Terminaux Personnels Mobiles Connectés) l'informatique s'affranchit des locaux. De là où je me trouve, je veux pouvoir disposer de toutes les ressources dont j'ai besoin : lien avec Internet, accès à l'ENT de l'établissement, outils de productivité, ressources documentaires - numériques de préférence -, possibilité d'afficher le contenu de mon terminal, possibilité de communiquer avec les autres. Autrement dit le problème posé s'est modifié en simplifiant la partie visible (salles, tables, lieux dédiés) pour renforcer la partie cachée (réseaux, serveurs etc...).

 

L'informatique est-elle moins gênante pour autant dans l'espace éducatif et scolaire ? Non car la gène vient justement de cette "omniprésence" des objets numériques et de leurs usages dans l'espace quotidien, personnel, scolaire, professionnel. La connexion permanente est une demande constante. La possibilité d'avoir des sources d'énergie disponible à proximité. Mais ces questions techniques sont assez aisément résolues (la question des liaisons wifi fait encore souvent peur). Par contre la gêne devient davantage "pédagogique". Que font-ils si les élèves utilisent leurs TPMC pendant le temps scolaire ? Certains se sont penchés sur les possibilités d'interdiction, mais ils ont rapidement compris qu'il valait bien mieux accompagner et réfléchir avec les élèves pour définir des cadres d'usages.

 

Si les objets numériques n'interfèrent plus physiquement de manière directe avec l'espace scolaire, ils posent des questions nouvelles dont la plus importante concerne les espaces communs qui permettent aux élèves de "vivre dans l'établissement" en dehors des temps de classe. Non pas qu'ils doivent être réaménagés, mais que leur fonction première peut être transformée par les usages. Ainsi une cour de récréation ou un foyer peuvent rapidement devenir un lieu de recherche documentaire, de travail collaboratif, ou de travail personnel. Autrement dit le numérique permet d'interchanger la destination des locaux, au moins partiellement. La notion de salle de classe elle-même peut perdre de sa définition initiale pour se transformer en espace d'autoformation accompagné ou encore en lieu de recherche documentaire ou d'espace d'entrainement intellectuel.

 

Si l'on en juge par les essais de classe inversée, on s'aperçoit qu'il faut déjà changer la place du mobilier dans les salles pour permettre le travail en groupe et s'interdire les classes en rang d'oignon. La circulation des élèves, des enseignants dans les espaces scolaires sont amenés à évoluer progressivement, pour peu que les modèles pédagogiques aillent vers l'hybridation (même dans l'enseignement scolaire). Mais cela n'est pas vraiment nouveau si l'on regarde l'histoire de la pédagogie. Le numérique ne fait qu'ajouter une nouvelle dimension et en particulier permet désormais de s'affranchir aussi du lieu scolaire lui-même. ENT, cahier de texte numérique, outils de gestion de vie scolaire montrent que désormais l'espace scolaire se défait des limites physiques des locaux disponibles et s'étend là ou les TPMC le permettent.

 

La forme des lieux scolaires peuple l'imaginaire collectif et est au centre de la forme scolaire. Chacun de nous se souvient de ces espaces dans lesquels il revient d'ailleurs, avec émotion lorsque ses enfants y vont. Les rituels n'ont guère changé : les réunions parents profs collectives et individuelles en sont un des symboles forts, les journées de rentrées, etc... Certains établissements ont même réactualisé ces remises de prix transformées en remises de diplômes. Au moment où le numérique laisse envisager un tsunami pour le monde scolaire, si l'on en croit Emmanuel Davidenkoff, il est temps que l'on réfléchisse à la manière dont on va vivre dans les locaux scolaires dans les vingt prochaines années. Les universités y sont déjà directement confrontées. Jusqu'à présent la plupart d'entre elles avaient traité cette question par le mépris. Désormais avec les Moocs, les ressources numériques en ligne et l'usage généralisé des TPMC par les étudiants viennent interroger la manière d'envisager l'utilisation des locaux, leur destination, les infrastructures à y développer. Des projets comme celui développé à l'Ecole Centrale et l'Ecole de Management de Lyon dans l'espace IDEA, loin d'être des modèles, sont des propositions qui rejoignent aussi celle des Learning Centers développés dans plusieurs lieux d'enseignement supérieur comme l'EPFL de Lausanne. Ces approches nouvelles font débat. En s'affranchissant de la dimension idéologique des arguments pour ou contre, il convient malgré de tout de s'interroger sur l'avenir des locaux scolaires et universitaires dans un monde numérisé.

 

Bruno Devauchelle

 

Les chroniques numériques de B Devauchelle


Par fjarraud , le vendredi 04 avril 2014.

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