Numérique : Allons voir derrière l'écran ! 

"Certains disent qu'il faut apprendre l'informatique, le code". Bruno Devauchelle analyse le débat actuel sur le numérique à l'école, débat dont bien des éléments datent des années 1980. "Opposer les approches les unes aux autres est une erreur"; dit-il. "Vouloir forcer tel ou tel aspect de manière formelle dès le plus jeune âge serait une autre erreur. Ne rien faire serait encore pire, bien sûr... Au lieu de penser globalement chacun tente de défendre son territoire de compétences alors que la question est bien plus systémique qu'on ne le pense".

 

Face à l'écran de la tablette du smartphone ou de l'ordinateur, il est courant de marquer un temps d'arrêt dans l'activité car n'apparaît pas sur l'écran ce que l'on attend de l'action que l'on pense avoir engagée. Erreur, obstacle, difficulté, bug, etc. nous sommes souvent confrontés à ces évènements. Notre attitude face à ceux-ci est intéressante à plusieurs titres : d'abord parce qu'elle révèle notre capacité à faire face à des situations non attendues, ensuite parce qu'elle met à jour notre capacité à résoudre, contourner, ou accepter cela, enfin parce qu'elle révèle aussi notre niveau de connaissance et de compréhension des machines que nous utilisons. Lorsque nous sommes arrêtés sur le bord de la route, voiture en panne, que savons-nous de ce qui se passe et que pouvons-nous faire face à cette panne ? Lorsque nous utilisons nos ordinateurs, tablettes, smartphones, c'est parfois la même chose qui nous arrive. Mais limiter l'analyse des problèmes rencontrés avec un appareil numérique à la panne automobile c'est risquer de ne penser qu'aux problèmes les plus graves, ceux qui, justement, nous mettent devant notre incapacité totale à les régler, qu'on sache ou non ce qui se passe. Or il y a quantité de situations qui n'ont pas ce caractère "binaire" de gravité, mais qui pourtant sont bien des obstacles pour continuer l'utilisation prévue de l'appareil.

 

La facilité apparente d'utilisation de certains de ces appareils n'épargne pas ce genre de problèmes. On pourrait même penser que les concepteurs de ces machines n'ont pas été en mesure de nous fournir des machines zéro-défaut, des usages sans bugs... Et pourtant il y a là un élément essentiel si l'on veut éduquer à entrer dans le monde des usages du numérique : admettre que ces "problèmes" sont normaux, qu'ils font partie intégrante de la complexité numérique. A un enseignant qui le déplorait, un chef d'établissement répondait que même s'il y avait des problèmes, on savait qu'on pourrait toujours les résoudre et que donc ce n'était pas si grave que ça. Sauf que l'enseignant, en aparté, disait "et quand ça m'arrive en classe avec les élèves, je fais quoi ?" Plus inquiétant dans ce débat, l'absence de regard approfondi sur ce qu'il y a derrière l'écran en laissant le débat se tenir à un niveau non opérationnel. Non, même si on peut comprendre que ces problèmes soient normaux, on ne peut avoir une posture de déni face à eux. Il devient nécessaire de prendre en compte ces questions.

 

Aller voir derrière l'écran, que ça fonctionne bien ou qu'il y ait un problème, cela reste essentiel. Pourquoi ? Parce que cela permet de questionner la logique qui s'impose : pourquoi ce qui apparaît sur l'écran est-il ainsi ? En d'autres termes, c'est le moyen de ne pas être en situation de subir ce que les concepteurs souhaitent imposer, ne pas se satisfaire de l'apparence de toute source, tout document qui m'est accessible. La difficulté face à cela, c'est de définir ce qu'il faudrait savoir au moins pour soi-même, ne pas être mis en difficulté, et en plus, pour les autres, les élèves par exemple, pouvoir les aider à construire leur propre regard, fondé d'abord sur l'analyse et l'évaluation de ce qui apparaît.

 

Certains disent qu'il faut apprendre l'informatique, le code. D'autres disent qu'il faut apprendre à utiliser les produits numériques. D'autres enfin  disent que c'est d'abord l'éducation aux médias et à l'information qu'il est nécessaire de faire. Opposer les approches les unes aux autres est une erreur. Vouloir forcer tel ou tel aspect de manière formelle dès le plus jeune âge serait une autre erreur. Ne rien faire serait encore pire, bien sûr. Le problème est de savoir s'il est possible qu'une seule personne englobe les trois aspects. Peut-être faut-il parler d'équipe pédagogique mais là encore, il y a risque de dilution. Difficile donc de prendre position. Toutefois une chose est certaine : si l’on ne prépare pas les enseignants aux questions de ces trois domaines, et ce quelles que soient leurs disciplines, il y a de fortes chances que rien ne se passera. Les préparer avant de les former, ou plutôt organiser la prise de conscience qui déclenche des demandes de formation ou des démarches personnelles d'autoformation.

 

Ce qui est essentiel c'est de pouvoir apporter un support aux élèves au moment où ils se trouvent confrontés aux problèmes, aux questions, aux souhaits qu'ils ont et qu'ils utilisent la machine. Autrement dit c'est de pouvoir profiter de ce moment pour aller voir derrière l'écran et commencer à expliquer. Si dès que l'occasion se présente, chacun s'habitue à faire cela de manière "naturelle", alors il y a de bonnes chances pour que la suite logique en découle en termes de demande d'approfondissement. C'est alors, et alors seulement, que des spécialistes peuvent être sollicités en appoint, approfondissement voire même en co-formation des élèves et des enseignants.

 

Les différents groupes qui tentent d'imposer un point de vue sont les mêmes depuis le début des années 1980. Malheureusement depuis tout ce temps ce qui a été totalement négligé c'est la formation des enseignants  sur les trois registres. Du coup chacun a été tenté de bricoler sans trop se montrer aux autres. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, dans un établissement, les élèves sont tentés de "classer" leurs enseignants par rapport à la place qu'ils donnent au numérique, non pas dans leur pratique, mais simplement dans les signes de compréhension qu'ils expriment au moment où il faudrait qu'ils aillent voir derrière l'écran avec leurs élèves. Mais c'est aussi ce qui fait qu'au lieu de penser globalement chacun tente de défendre son territoire de compétences alors que la question est bien plus systémique qu'on ne le pense.

 

Bruno Devauchelle

 

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 06 mars 2015.

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