Quels renversements pour l'avenir du numérique dans l'enseignement ? 

En cette fin d'année scolaire, on peut se demander si l'école de la rentrée sera bien la même que celle que l'on vient de vivre. Outre que l'impression d'un refus du changement et de l'évolution est perceptible au travers des oppositions aux propositions faites du côté du ministère (le collège en particulier), on a le sentiment qu'à propos du numérique, pourtant moins sensible, il en est de même. Cependant, à entendre les demandes des uns et des autres on peut penser qu'un renversement s'amorce progressivement dans la tête des acteurs de l'éducation, bref que les représentations sont en train d'évoluer. La notion de renversement (inversion ?) semble faire progressivement son chemin dans l'esprit de nombreux enseignants. Est-ce le signe d'une lassitude d'un modèle pédagogique devenu peu valorisant pour l'enseignant? Est-ce le signe d'une prise de conscience de la place de celui qui apprend dans les dispositifs d'enseignement ? Est-ce un effet du numérique envahissant notre société ?

 

Quelques exemples tirés de nos observations de l'année vont l'illustrer. A partir, principalement du numérique, ils démontrent tous que les trois problématiques soulevées s'associent dans les réponses que certains tentent d'apporter.

 

Les MOOCs et leurs multiples déclinaisons dans l'enseignement supérieur et la formation continue ont fait suffisamment de bruit pour qu'on s'y attarde un peu. Le renversement proposé est d'abord celui de la formation à distance. Ensuite c'est celui du coût des contenus. Puis c'est celui de la mondialisation des enseignements. Et enfin c'est celui de l'évaluation et de la certification.

 

Les classes inversées dans leurs formes variées obtiennent un vrai succès de curiosité. Elles portent d'abord l'idée du renversement des temps, celui du transfert d'information et de celui de l'exercice pour passer de l'information à la connaissance. En mettant en avant cette deuxième étape dans le temps de classe, le renversement proposé touche non seulement la forme, mais aussi le fond : ce qui compte c'est ce processus pour aller vers la connaissance. Mais le renversement, présenté comme celui de maison/école, est en fait le renversement de deux temps : ingestion des informations (mémorisation...), digestion des informations (compréhension...)

 

Les twittclass, réseaux sociaux et blogs de classe s'inscrivent dans un mouvement plus large de renversement qui privilégie l'activité de l'élève par rapport à celle de l'enseignant. L'autre renversement est celui de l'espace-temps. Comme la correspondance scolaire ou l'imprimerie, chères à Célestin Freinet, il s'agit de renverser le modèle de la classe "fermée" au monde. On trouve aussi dans ces approches le renversement par rapport à la place donnée aux pratiques personnelles des élèves dans le monde scolaire dont elles étaient maintenues à l'écart.

 

Les écoles de production, Les mini entreprises, l'alternance sont aussi des formes de renversement dont on parle souvent en annexe. Or ce sont des renversements du modèle scolaire, de la forme scolaire dans sa distance particulière avec le monde professionnel. Outre des démarches de projet qui sont souvent centrales, le principal renversement est la "réalité" de l'action menée. On ne simule plus la réalité, on la vit dans l'établissement ou dans le dispositif.

 

Le homeschooling très marginalisé en France et présenté récemment dans le film "Etre et Devenir" de Clara Bellar. Les renversements radicaux (pas d'école, mais des apprentissages à la maison) sont à relativiser en regard des autres renversements qu'il permet : gestion libre du temps des apprentissages - on peut commencer quand on en a besoin, on peut organiser son temps de travail, on peut choisir ses ressources. Bref on renvoie au projet la responsabilité d'organisation (même si l'état impose un contrôle jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire)

 

L'autodidaxie est le modèle emblématique du renversement complet de l'enseignement. Cependant l'observation des pratiques de ce type montre que ce n'est pas aussi vrai que cela. Le principal renversement c'est celui du guidage de la trajectoire d'apprentissage : le sujet se fixe des objectifs, un projet et il organise son trajet en fonction des ressources qu'il sollicite (conférences, rencontres, lectures, expérimentation) et de sa progression (autorégulation, autoévaluation). Le numérique offre de nouvelles opportunités d'améliorer les possibilités de ce renversement. Il suffit pour s'en convaincre de suivre des conférences, des colloques, des cours, des capsules vidéo en ligne pour comprendre que le champ des possibles s'est notoirement élargi pour les autodidactes. D'ailleurs certains inscrivent les ressources offertes par les Moocs dans cet environnement enrichi.

 

Malheureusement, la plupart de ces initiatives se réalisent à des échelles individuelles ou de petits groupes au sein des établissements d'enseignement. Les responsables politiques et les cadres de l'éducation hésitent à envisager un changement global d'architecture scolaire (aussi bien physique que d'ingénierie du dispositif). Cependant en laissant les expérimentateurs avancer seuls, sans travailler une visée plus globale du système, on enferme l'innovation dans le camp de l'exotisme pédagogique. Du "top-down" au "bottom-up", aucune des approches ne peut se concevoir sans une vision globale des renversements nécessaires. Le lien entre l'action individuelle et l'action collective reste encore à inventer, et parfois les cadres intermédiaires qui pourraient être des catalyseurs, se mettent en position défensive. Car ils pressentent aussi que dans la liste des renversements à venir, l'une d'elles est leur posture institutionnelle. Or leur bras de levier pour résister c'est le contrôle et la certification. Le monopole du diplôme associé à sa valorisation pour l'emploi fournit aux partisans du maintien de la forme scolaire l'argument le plus puissant pour ne pas permettre de renversement. En témoigne après les épreuves, les questionnements sur la pertinence du baccalauréat, une fois l'épreuve presque terminée....

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 26 juin 2015.

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