Bruno Devauchelle : Que faire du numérique pendant les congés scolaires ? 

Lorsque les vacances approchent, nombre d'enseignants prennent de bonnes résolutions pour être moins connectés, mais aussi pour moins penser aux activités scolaires à venir (ou passées). Ce besoin de décrocher a pris aujourd'hui une autre dimension avec le numérique. Peut-on vraiment décrocher quand, au coeur du smartphone, il y a tout pour être en lien et surtout pour continuer à s'informer, rechercher, bref en quelque sorte, s'occuper... Et puis l'ordinateur ou la tablette ne seront pas très loin, ils viendront compléter cette irrésistible envie de continuer à vivre son métier au coeur de ses loisirs. Car c'est bien l'un des aspects importants du métier d'enseignant, cette veille quasi permanente, ce "regard de prof" sur le monde qui nous entoure. Et il y a cette fichue habitude d'utiliser son smartphone, son ordinateur, sa tablette qui désormais peuple notre quotidien et qui vient, quand on est prof, nous rappeler que derrière l'écran il y a de quoi travailler, avancer.

 

À la différence de nombre d'autres métiers, les vacances scolaires sont d'abord des pauses pour les élèves. Mais elles se traduisent aussi par une pause pour les enseignants. Ce ne sont pas des vacances de rupture, mais plutôt des vacances de continuité pour au moins une grande partie d'entre nous. Cependant c'est bien une pause, souvent mal comprise des autres métiers. Aussi faut-il regarder plus loin, ce que je nomme les vacances de continuité, et interroger ce que les moyens numériques apportent à ces moments. Certes il y a les activités rituelles que l'on a laissées de côté comme les copies à corriger, les notes à enregistrer sur le logiciel de l'établissement, voire le cahier de texte numérique à compléter. Car pris dans le rythme de la semaine avec les élèves, on est souvent amené à différer l'activité pour ces temps de vacance (vacance de cours et d'élèves). On peut l'observer, l'informatique a fourni aux enseignants des instruments de travail qu'il leur faut bien utiliser (c'est dans les textes officiels... pour certains).

 

Mais il y a d'autres activités que les moyens numériques permettent aux enseignants de développer pendant ces temps d'absence des élèves : la veille informationnelle, la mise à jour des réseaux, et plus globalement l'apprenance. L'ensemble de ces activités constitue le fonctionnement en arrière-plan (en tâche de fond) des enseignants, ou tout au moins devrait le constituer. La question de la mise à jour des contenus à enseigner est primordiale dans une société de la connaissance. L'augmentation exponentielle des connaissances au cours des cinquante dernières années transforme le paysage des savoirs, mais il n'est pas certain qu'elle transforme de manière significative les contenus des enseignements, ou tout au moins de certains. Savoirs non seulement des domaines disciplinaires, mais aussi savoirs sur le fonctionnement de celui qui apprend, son cerveau, ses attitudes, ses comportements... ou plus simplement savoirs sur la société telle qu'elle est, et en particulier les jeunes.

 

La veille informationnelle est devenue un point de passage obligé pour qui veut faire face aux évolutions du quotidien. Des textes officiels (BOEN) aux actualités de l'éducation (Café Pédagogique), en passant par l'ensemble des ressources accessibles, le travail peut rapidement être immense. Cependant, on est souvent étonné de constater que nous sommes plus friands des informations que l'on reçoit que de celles qu'il faut aller chercher, surtout s'il faut, en plus, faire des recherches. De même on est attiré davantage par les nouveautés spectaculaires que par les témoignages du quotidien. Or ces nouveautés sont celles qui caractérisent le fonctionnement des médias de flux qui vous apportent l'information directement. La difficulté relative à trouver de l'information par les moteurs de recherche n'incite pas à aller trop loin dans les investigations par sentiment de perte de temps. La veille informationnelle est coûteuse en temps et en énergie, mais elle s'appuie aussi sur une organisation technique (newsletter, abonnements mail, fil RSS et autres syndications ou curations) mais aussi sur une organisation cognitive qui repose sur une vigilance psychique et perceptive d'abord, puis une attention soutenue et enfin une capacité d'analyse importante. 

 

La mise à jour des réseaux

 

L'appartenance à des réseaux est importante pour enrichir et élargir sa perception du monde mais aussi pour se confronter à des personnes proches (l'appartenance à un réseau repose sur une proximité humaine autour de centres d'intérêts de besoins...). Dans le monde numérique, la facilité d'accès à des réseaux n'a d'égale que leur nombre et leur diversité. Aussi identifier les réseaux pertinents et y prendre part suppose outre de les repérer, souvent sur un site on repère une incitation à rejoindre une communauté en ligne, de s'y adapter, c'est à dire de comprendre son fonctionnement et vérifier qu'on est en adéquation. L'exemple des communautés autour des listes de mail qui ont été parmi les premières à émerger avec celles sur les forums ouverts, révèle que des phénomènes psychosociaux s'y jouent qui amplifient ceux connus dans les réseaux humains. Mettre à jour ses réseaux c'est donc d'abord actualiser les contenus des échanges et ensuite vérifier cette adaptation. Il est une autre activité dans les réseaux qui est celle de la contribution active. Beaucoup d'utilisateur de ces réseaux n'interviennent que très peu voire pas du tout. Aussi les temps de vacances peuvent être de bons moments pour participer davantage.

 

L'apprenance

 

Ce concept forgé autour des travaux de Philippe Carré, auteur de l'ouvrage éponyme, désigne cette attitude fondamentale de la personne à développer des activités d'apprentissage presque constamment. Mais ces activités ne sont pas des activités scolaires, qui n'en sont qu'un des modèles. Elles sont bien davantage l'autoformation, l'apprentissage par l'expérience ou dans les interactions, et aussi les lectures. La posture d'apprenance, lorsqu'elle est conscientisée, permet de développer des stratégies de plus en plus pertinentes pour faire des contextes de vie des moyens de développer ses propres connaissances. Condamnation à apprendre, diront certains, prise en compte d'un fonctionnement naturel de l'humain que le développement des sociétés a transformé en une sorte de devoir, d'effort, de difficulté. Cette conception qui sépare l'apprendre du reste de la vie est une des plus mauvaises lectures de la dynamique humaine et personnelle. Elle s'explique entre autres par les modes de scolarisation, d'accès au monde du travail, de reconnaissance sociale. La valeur vacance au singulier qui marque une rupture est supplantée par la valeur vacances au pluriel qui a pris cette signification sociale d'opposition au travail et à l'apprendre. Il nous semble que ces temps de rupture dans l'activité sont des sortes de "pauses cognitives" dont nous pouvons bénéficier, pour peu que l'on sorte de cette opposition.

 

La dernière fonction de ces temps privilégiés, et elle est liée à la précédente, c'est la préparation de la suite des enseignements, au retour des élèves. Car l'anticipation est un des éléments contraignants qui pèse sur le métier. C'est une préoccupation qui envahit le psychique, parfois jusqu'à l'angoisse, et qui devrait mobiliser l'intellect et non pas l'inhiber. Cependant nous ne pouvons qu'observer que ces préparations sont des projections qui supposent une énergie importante qui parfois s'oppose à l'apprenance. Car l'une des difficultés du métier d'enseignant, et cela varie selon les niveaux d'enseignement, c'est de conserver ce goût pour l'apprenance alors que tout concourt à tirer l'attention vers la routinisation efficace des pratiques. Ce paradoxe qui fait que l'enseignant doit amener les élèves vers le savoir alors que lui doit organiser leur chemin sans avoir le temps et parfois même le besoin de développer ses connaissances est une source d'insatisfactions qui parfois s'apaisent dans le confort de la routine, mais qui gagneraient, au contraire à être force et énergie pour "continuer d'apprendre, même lorsque l'on est tous les jours celui sait" (ou qui est censé savoir).

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 06 novembre 2015.

Commentaires

  • oulisse, le 15/11/2015 à 11:18
    j'ai de la chance, je reste dans l'apprenante après un peu plus d'une dizaines d'années de classes de primaire. La transmission m'ennuie. J'aimerais avoir plus de routines, mais mon esprit est trop dan sel présent, dans les petits projets avec les élèves. Mais ça a des bons côtés : les enfants eux-mêmes sont dans l'immédiat. Les progressions, l'emploi du temps me permettent de me remettre sur les rails car il n'y a pas que du global dans les apprentissages. 
    Beaucoup d'instits se contentent d'essayer d'imposer leur algorithmes pour résoudre un problème. Je reste curieux des algorithmes des élèves et de les institutionnaliser ensemble.
    Merci Bruno
  • kiddy, le 06/11/2015 à 09:27
    on peut aussi profiter de la vie pendant les vacances scolaires, mieux vaut avoir des remords que des regrets, ce n'est pas aux portes de la mort qu'il faudra se dire "j'aurai du profiter de la vie"
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