Si l'on impose l'usage de l'informatique et d'Internet aux et dans les examens, les élèves ou les étudiants auront-ils de moins bons résultat ? Qu'en sera-t-il s'ils n'utilisent pas ces moyens pendant les enseignements et en dehors ? A cette question, apparemment absurde, on ne peut répondre que d'une seule manière : si l'on impose les moyens numériques dans les examens, ceux qui ne les utilisent pas en classe ou en dehors ne parviendront pas à réussir les épreuves. Prenons maintenant la proposition inverse : si l'informatique et internet sont interdits pour les examens, leur usage en cours et à domicile aurait-il un effet sur la réussite aux examens ? Si nous sommes un peu rigoureux, la réponse sera de même nature que la précédente : le non alignement pédagogique entre l'enseignement et son évaluation provoquent des effets "contrastés". Ceux qui ne sont pas conformes dans leurs apprentissages aux modalités d'évaluation auront de moins bons résultats.... On pourrait décliner cela de manière plus radicale en disant que ceux qui n'ont pas suivi les enseignements correspondants à l'évaluation ont de bonne chance d'échouer... aussi absurde que naïve, cette réflexion doit pourtant être prise en compte.
La forme de l'examen induit les pratiques pédagogiques
Cette manière d'aborder la question peut sembler un peu rapide, mais elle permet d'interroger l'approche de la plus value des usages du numérique vue sous l'angle de la réussite scolaire et plus particulièrement de la réussite aux examens. Il y a bien longtemps que cette question interroge nombre d'enseignants qui s'appuient d'ailleurs sur la réponse négative pour éviter d'introduire une dimension numérique dans leur pratique. Puisque les examens sont sous forme papier et reposent sur la mémorisation et/ou l'analyse de supports papiers, pas besoin d'aller voir sur Internet ou l'informatique, les moyens antérieurs suffisent. Fort heureusement il y a déjà bien longtemps que de nouvelles formes d'examen (et de concours) sont apparues, dans des disciplines ou des objets disciplinaires spécifiques. Mais elles se font discrètes en regard du modèle dominant qui peuple la représentation commune et qui est incarné par le baccalauréat classique ou encore les grandes salles d'examen des concours d'agrégation et autres.
Il n'est pas nouveau de dire que la forme des examens et des évaluations induit les pratiques pédagogiques. Il est donc assez logique qu'un enseignant ajuste, aligne son enseignement avec cette forme s'il veut d'une part respecter son "contrat" avec l'Etat et si d'autre part il veut permettre aux élèves et à leurs parents d'obtenir de l'école ce qu'on leur a promis. Sauf que l'évaluation et les examens, dans leur forme comme dans le fond, sont un des vecteurs de l'inégalité, au contraire de ce que l'on pense généralement. Ce n'est pas parce que l'examen est le même pour tous qu'il est égalitaire. On retrouve ici le même problème qu'avec le numérique. Si l'enfant, le jeune, l'élève, l'étudiant n'est pas "aligné" (métiers de l'élève et de l'étudiant, Ph. Perrenoud et A. Coulon) avec les formes de l'examen, aussi bien dans la pratique scolaire, que dans les apprentissages hors établissement, il y a de fortes de chances que le résultat soit moins bon puisque les normes retenues sont identiques pour tous. Pour le dire autrement, le système scolaire se veut égalitariste, mais il n'est pas équitable en regard des différences individuelles (qu'elles qu'en soient les origines).
Or l'informatique n'a pas sa place...
Est-ce pour autant que le jeune n'a pas appris ? Est-ce pour autant qu'il est destiné à avoir une insertion sociale et professionnelle difficile ? Statistiquement oui. Même si l'on vante souvent dans les médias les réussites individuelles indépendamment du système scolaire (le mythe du garage), la réussite scolaire est largement corrélée à l'emploi et au revenu des parents (Maurin et autres). Faut-il pour autant supprimer les examens, voir le système scolaire ou au moins la forme scolaire (Vincent, Thin, Lahire)? Probablement, en tout cas c'est bien la forme qu'il faut travailler.
Si l'on analyse l'histoire de l'introduction de l'informatique dans l'enseignement en France, on ne peut que confirmer qu'elle n'a globalement pas sa place en dehors des enseignements professionnels et techniques. En option (Option informatique, ISN), en atelier (APTIC), en transdisciplinarité (B2i puis socle), sans place précise, voilà ce qui est proposé, en dehors de quelques éléments disciplinaires qui progressent cependant peu à peu, rejoignant ainsi le technique et le professionnel. La réponse proposée par certains est d'en faire une discipline (CNNUM). On peut comprendre cette demande d'autant mieux qu'elle ne transforme pas l'école (ni les examens) dans sa globalité. Alors que le numérique transforme la société, il faudrait créer un ilot consacré au numérique au sein des autres enseignements qui ne seraient pas concernés ! Cette approche pourrait certes répondre à une partie de la question (et on aurait un examen, comme les autres champs disciplinaires, mais ne prendrait pas en compte le fait social total que constitue la généralisation des moyens informatiques dans la société, ce que l'on nomme désormais sous le terme "numérique".
Numérique et formalisme académique
Si l'on revient aux examens et aux manières d'évaluer, les pratiques de certaines disciplines ou de certaines composantes disciplinaires (en physique par exemple), montrent qu'il est parfaitement possible de faire évoluer les formes. Malheureusement, comme pour l'informatique globalement, c'est à la marge que cela se fait. Les représentations sociales du baccalauréat et du brevet pèsent très lourd sur notre société. L'imaginaire associé à des conséquences sur les pratiques difficilement perceptibles par la plupart des citoyens. Et pourtant on ne peut que les constater. Quand le ministère rappelle le dogme des contenus disciplinaires, des horaires des disciplines et des examen comme relevant exclusivement de l'autorité de l'Etat, c'est vers lui qu'il nous faut désormais nous tourner.
L'enseignement scolaire et supérieur a su évoluer dans les contenus techniques et professionnels. Il s'est arc-bouté sur un formalisme académique en dehors de ces enseignements principalement pour conserver une distance entre l'école et le monde professionnel, distance considérée comme indispensable par certains. Mais il se trouve que ce sont les pratiques sociales qui désormais font irruption dans les classes. Quand de plus en plus d'enseignant n'hésitent plus à inviter les élèvesà sortir leur smartphone (ils n'ont pas assez de matériel disponible en classe) c'est le signe d'une évolution profonde, qui peut se discuter sur le fond, mais qui doit se constater dans les faits. Ce sont souvent les enseignants qui désormais montrent le chemin dans leurs pratiques ordinaires (et non pas seulement les enseignants innovants qui finalement sont souvent marginalisés dans leurs établissements). Encore faut-il que les intermédiaires (inspections et autres) prennent conscience de cela pour le faire remonter dans les cénacles politiques (les cabinets et autres lieux de conseil), voire même que les politiques soient davantage en phase avec les réalités des pratiques...
C'est probablement en changeant l'évaluation, sa conception, sa mise en oeuvre que l'on va trouver la possibilité d'une véritable évolution du monde scolaire. Mais cela sera insuffisant tant que ce genre de changement ne sera pas accompagné des changements stucturels nécessaires. Ces changements reposent en grande partie sur certains piliers comme les découpages disciplinaires, les volumes horaires, les postures professionnelles des enseignants, mais aussi l'architecture des locaux, les choix des mobiliers et bien sûr les équipements numériques, l'environnement numérique global de l'activité d'enseignement. En d'autres termes, est-il encore temps de réinventer "l'école de l'apprendre" pour quelle remplace "l'école de l'enseigner" ou encore "l'école de la sélection" ?
Bruno Devauchelle
Les chroniques numériques de B. Devauchelle
PS au moment d'écrire ce billet, le ministère annonce la numérisation des copies pour la correction du "papier"... et éviter ainsi des pertes de copies et des déplacements coûteux... mais en tout cas, pas de changement dans le contenu "papier" des examens...
PS2 Cette chronique sera suivie la semaine prochaine d'une autre consacrée à la numérisation de la correction. De plus nous avons déjà présenté certains aspects de cette réflexion dans des billets antérieurs (!!!) que nos lecteurs attentifs ne s'en offusquent pas...