Bruno Devauchelle : Dans un monde numérique, ne jamais oublier de structurer ... 

L'environnement techno-cognitif qui est désormais celui de chacun de nous dans un monde envahi d'objets numériques, apparaît comme très peu organisé a priori pour l'utilisateur final. Alors qu'il est extrêmement organisé et planifié du côté technique (la forme), il semble l'être très peu du côté cognitif (le fond). A voir la difficulté croissante à rechercher, trouver, traiter l'information, et surtout la complexité à laquelle chacun est confronté dès lors qu'il tente d'apprendre de nouvelles connaissances, on sent bien qu'il y a un problème du côté de ce que nous allons nommer la "structuration". Chaque enseignant connaît l'intérêt de cette phase, mais elle est peu travaillée, en regard des autres phases de l'activité enseignante. Le changement de contexte informationnel et communicationnel pose justement à l'Ecole, la question de la structuration dans l’apprentissage. Les élèves, les jeunes, sont de plus en plus soumis à une grande quantité de sollicitations attentionnelles et incorporent progressivement ce contexte avec, parfois des difficultés plus importantes que dans un contexte moins "profusionnel". Le monde scolaire est appelé à une véritable réflexion collective sur cette dimension de la structuration dans l'acte d'apprendre.

                                                                                              

Transmettre est-ce permettre la structuration ?

 

Alors que les séminaires de créativité, les méthodes actives, les classes inversées, les changements de l'espace d'enseignement sont invités au firmament des dites innovations pédagogiques, en lien avec une société numérique, il semble bien qu'il ne faudrait pas oublier la nécessaire structuration, et pas n'importe laquelle, qui est un élément essentiel de la pédagogie et donc de l'apprentissage. Si nous nous appuyons sur les travaux sur l'analogie (Hofstadter et Sander 2013) ou encore ceux sur les schèmes dans la théorie des champs conceptuels (Vergnaud 1990) ainsi que les travaux sur la didactique professionnelle (Pastré 2011 - 2012) nous pouvons énoncer que la démarche de structuration est essentielle dans l'acte d'apprendre. Si l'on regarde, rapidement, les travaux disponibles autour de ce terme, on s'aperçoit qu'il y a une assez grande dispersion de signification, mais qu'il y a un élément commun à ces approches qui est le processus qui fait passer l'apprentissage d'une phase à une autre, que cela soit explicite (travaux de sciences de l'éducation) ou implicite (travaux de psychologie dont l'origine est ancienne comme par exemple : Ehrlich Marie-France. Les activités implicites de structuration dans l'apprentissage d'une série verbale. In: L'année Psychologique. 1967 vol. 67, n°2. pp. 463-475)

 

Malheureusement, à l'écoute des discours sur l'innovation dans l'enseignement, cette dimension de la structuration est presque totalement absente ou tout au moins peu explicitée de manière rigoureuse. D'ailleurs la critique première portée sur les systèmes traditionnels d'enseignement porte souvent, sans le dire explicitement, sur le fait que le contenu est d'abord structuré par celui qui enseigne. Elle s'exprime aussi bien sur le fond - il fabrique son cours en amont - que sur la forme - il impose la diffusion magistrale de la structure du savoir transmis - mais aussi sur l'essentiel, l'évaluation - le modèle de l'examen fondé sur la mémorisation, restitution, exercisation -. Face à cette structuration traditionnelle, faut-il abandonner toute structuration ? Dans tous les cas, il faut penser, connaître, la manière dont le sujet construit ses connaissances pour apporter des éléments de réponse.

 

De l'art du storytelling  au conte de Propp, de la fameuse trace écrite à la carte mentale, on repère aisément que dans toutes les pratiques d'apprentissage, la structuration des informations est un passage obligé pour en permettre la transformation en connaissance. Transmettre est-ce structurer ? Pour être plus précis transmettre est-ce permettre la structuration ? Ou encore, quelles activités permettent le processus de structuration.

 

Dans un univers souple , la nécessaire structuration

 

Un premier exemple permet de comprendre l'enjeu. Il arrive assez fréquemment d'être confronté à un schéma un peu dense qui tente de rendre compte d'une structure. Face à un schéma "terminé", et aux explications qui tentent d'en clarifier la génère, on s'aperçoit de manière pragmatique, que faire soi-même la schématisation est bien plus efficace pour la compréhension que de recevoir le schéma terminé sans en voir l'élaboration. C'est le sens du travail mené depuis de nombreuses années sur les cartes mentales (structurées par la hiérarchisation arborescente) et les cartes conceptuelles non structurées a priori. Les instruments numériques de structuration des informations semblent avoir une bonne réputation, à défaut d'une efficacité totale. Ils sont pourtant de plus en plus utilisés (nous avons nous même produit un travail sur ce sujet à la fin des années 1990), et parfois même récupérés par certains mouvements qui y voient une traduction technique d'une intuition pédagogique ou scientifique.

 

Face à l'informel, faut-il toujours structurer en formalisant ? Faut-il utiliser les démarches d'explicitation ou de formalisation procédurale ? Si l'on en juge par les travaux de psychologie expérimentale, la structuration s'effectue aussi de manière infra consciente et permet une meilleure efficacité dans la mémorisation. Donc on pourrait imaginer qu'il n'y a pas besoin de formaliser, de conscientiser la structuration. Les enseignants qui travaillent auprès des enfants à fort potentiel intellectuel observent souvent l'incapacité à expliquer la structure mise en oeuvre pour obtenir, pourtant un résultat probant. Quand la calculatrice électronique a été développée puis introduite dans le système éducatif et la société, on s'est posé la question des conséquences sur la construction de la structure des opérations. L'externalisation de fonctions cognitives, mathématiques ou autres dans des machines digitales dispenserait de maîtrise de la structure et du processus de structuration ?

 

Face à un environnement informationnel et communicationnel numérique foisonnant, il est indispensable de reposer la question du processus de structuration pour apprendre. C'est en particulier nécessaire si l'on veut faire passer les élèves d'un apprentissage dirigé par l'école à un apprentissage autodirigé. Or le contexte dans lequel nous évoluons désormais renforce de plus en plus la nécessité de s'autodiriger et donc de maîtriser pour soi-même le processus de structuration. La didactique professionnelle nous ouvre des portes pour comprendre ce processus, la psychologie nous permet d'en voir les éléments sous-jacents (cf. la question de l'inhibition chère à Olivier Houdé). De manière plus pratique, les élèves, les jeunes, ont face à eux des institutions dont Sir Ken Robinson nous dit qu'elles étouffent la créativité du fait de structures a priori peu opérantes, et pourtant ils sont appelés à vivre dans un univers que l'on peut qualifier d'apparemment si souple que l'on ne peut négliger le processus et les instruments de la structuration, non pour enfermer les jeunes dans des schémas d'adultes, pour les inviter à conduire leur propre processus de structuration, une chance pour leur apprentissage dans un environnement globalement numérisé.

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 13 mai 2016.

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