L'école et la fabrication inégalitaire des élites, un mal français ? 

Consacré à la formation des élites, le dernier numéro de L'Année sociologique analyse les processus de fabrication des élites dans plusieurs pays dont la France. La remarquable synthèse d'Agnès van Zanten  éclaire particulièrement le cas français. Ce qui caractérise la fabrication des élites en France c'est qu'elle est à la fois familiale et scolaire. Autrement dit, le système éducatif contribue aux mécanismes qui permettent aux classes favorisées de se réserver les positions d'élite et de bloquer l'ascension sociale des autres. A van Zanten montre en détail comment fonctionne ce "parrainage institutionnel" qui ouvre la porte des grandes écoles aux plus favorisés au nom de la méritocratie. Serait-ce le plus gros échec de la politique éducative de la gauche ?

 

Deux articles de ce numéro de L'année sociologique (volume 66, 2016 n°1) contribuent à la connaissance de la fabrication des élites en France, les autres articles traitant d'autres pays (Angleterre, Etats-Unis, Suède..). Agnès van Zantent offre une synthèse remarquable sur la parte des familles et celle de l'institution scolaire dans la captation des positions élitaires. A Allouch, P Brown, S Power et G Tholen se sont intéressés à la perception qu'ont les élèves de Sciences Po et ceux d'Oxford de leur position d'élite. Et c'est un aspect très intéressant du problème pour en saisir toutes les conséquences.

 

Ce qui caractérise le système de sélection des élites en France, selon Agnès van Zanten, c'est la parfaite articulation des stratégies familiales et de la compétition scolaire. Il y a bien des "processus facilitant l'accès aux positions d'élite pour les enfants issus des classes sociales supérieures et limitant la mobilité ascendante des autres groupes sociaux", écrit A van Zanten. Elle parle de "clôture  sociale". "L'efficacité de ces processus tient à ce qu'ils reposent sur l'articulation étroite des stratégies familiales et des offres institutionnelles", dit-elle. Elle évoque des "logiques sous jacentes largement convergentes" entre familles et institution scolaire. Pour elle il y a un "parrainage institutionnel" des élites.

 

La part des familles....

 

La part des familles dans  la fabrication des élites c'est d'abord la sélection des établissements et des filières et cela parfois dès le primaire. La meilleure garantie de parvenir en grande école c'est déjà d'être élève dans un établissement ayant une CPGE. Dans le privé, ces établissements peuvent commencer dès le primaire la préparation à l'excellence qui va conduire aux classes préparatoires. C'est aussi l'aide culturelle et scolaire que la famille favorisée peut offrir à ses enfants et cela commence souvent très tôt. Certaines classes moyennes, les enseignants,  arrivent à faire bénéficier leurs enfants d'une partie de ce capital, même si une partie leur échappe.

 

Et celle de l'école

 

La part de l'institution scolaire, en dehors du maintien de l'enseignement privé, c'est la constitution de filières sélectives. A van Zanten parle par exemple de la position "ambigüe'" du collège, officiellement "unique" mais où prolifèrent les options et les classes de niveau. La sélection s'amplifie au lycée et les vraies barrières arrivent à la fin à l'entrée dans les derniers niveaux de l'enseignement secondaire et à l'enseignement supérieur.

 

Tout au long de la scolarité, A van Zanten montre comment le tri des élèves est valorisé dans le système éducatif français. La réussite éclatante de quelques élèves et perçue beaucoup plus que l'échec des autres. Elle est un motif de satisfaction qui efface le sort des exclus du système. Cela valorise la notation et explique le peu d'intérêt pour la remédiation.

 

"La précocité de la compétition scolaire est un des principaux moteurs du parrainage social par les familles", écrit A van Zanten. L'accent mis sur l'éveil intellectuel des enfants par les parents des classes supérieures en est une conséquence ainsi que la façon dont ce sparents devancent très tôt les attentes de l'école.. L'efficacité de ce parrainage social est renforcée par la connivence passive ou active des enseignants.. A ce parrainage social s'ajoute un parrainage institutionnel sous la forme d'une offre institutionnelle autorisant des choix parentaux qui favorisent la construction de parcours donnant accès de façon privilégiée aux CPGE d'élite".

 

Pour ce parrainage institutionnel, A van Zanten décrit précisément comment se fait le recrutement des CPGE publiques et privées. L'entrée en Cpge se prépare dans les lycées d'élite qui proposent des programmes réels et des charges de travail qui préparent les élèves. Les enseignants de ces lycées adaptent leurs pratiques à celles des CPGE.

 

A van Zanten analyse ensuite les messages institutionnels sur les demandes des élèves pour entrer en CPGE. Le recrutement ne se fait pas sur concours mais avec des procédures qui annulent l'anonymat d'APB, explique A van Zanten.  Elle montre aussi comment l'établissement d'origine est un critère beaucoup plus important pour être admis que la note. On est donc dans "des logiques de parrainage" décisives.

 

Crise de confiance

 

Pour A van Zanten ce système de fabrication des élites a de fortes conséquences sociales. Les jeunes, qui ont été soumis à une forte compétition scolaire, sont persuadés qu'ils ont obtenu leur ascension par leur seul mérite qui justifie tous les avantages dont ils bénéficient. Ils continuent à défendre le système et les voies royales.

 

Comme ils viennent des mêmes milieux sociaux et des mêmes établissements socialement discriminés, leurs compétences sont limitées et le système "nuit  fortement à l'efficacité des modes de sélection", écrit A van Zanten.

 

Enfin ce mode de construction des élites, socialement et méritocratiquement injuste, "entretient la défiance à l'égard du système d'enseignement et du système social". Autrement dit, la crise de confiance et de légitimité dont souffre le pays commence dans son système scolaire. Ce système injuste délégitime les élites et leur discours sur les valeurs de la République.

 

Qu'a fait la gauche ?

 

Le diagnostic parfaitement argumenté d'A van Zanten, ses effets sur les mentalités des élites décrits dans l'autre article, éclairent ce qu'on savait déjà des inégalités scolaires en France. Mais le diagnostic est posé depuis longtemps. Et d'autres travaux, ceux réalisés pour la région Ile -de-France ou le Cnesco, ont éclairé aussi les processus de ségrégation scolaire.

 

Depuis bien peu a été fait  pour faciliter l'ouverture des élites et atténuer la participation du système scolaire aux inégalités sociales. A van Zanten explique dans l'entretien qu'elle accorde au Café pédagogique, pourquoi le système éducatif français a du mal à aller au delà des intentions. Ses attaques sur les Cpge ne sont pas pour rien dans le départ de V Peillon.  Les dispositifs imaginés par N Vallaud Belkacem pour plus de mixité sociale à l'école ne sont pas à même de changer les régles du jeu. Les tentatives pour empêcher la création de filières élitistes au collège sont déjà déjouées.

 

Alors que le quinquennat se termine , le système de fabrication des élites reste intact. Les ministres qui ont essayé de s'attaquer à la sélection sociale dans le système éducatif l'ont payé cher. Mais finalement l'addition est pour nous tous.

François Jarraud

L'année sociologique, volume 66 - 2016 n°1

 

Lire l'entretien avec A Van Zanten


Dossier mixité sociale à l'école

L'enseignement privé obstacle à la mixité

Pourquoi il y a urgence

C Ben Ayed

 

Par fjarraud , le vendredi 27 mai 2016.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 28/05/2016 à 10:48
    Cet article est très intéressant car il s'intéresse aux mécanismes qui créent des inégalités qui ne sont pas compensés. Il semblerait que Agnés van Zanten abandonne la "pensée magique et fausse du complot volontaire des élites".
    Par contre la fixette sur les CPGE est énervante. Tous les systèmes éducatifs du monde ont des biais sociaux dans l'accès aux études supérieures. Tous les pays du monde ont des parcours profondément sélectifs qui exigent une "préparation" pour réussir. La France est celui qui compense le moins les mécanismes qui créent les biais sociaux non-pas à cause d'un complot des élites mais à cause de dogmes faux en "pensée magique" imposés via des méthodes limites "violence morale" par des personnes liées soit liés à la "gauche de la gauche", soit un groupe d'intérêt regroupant syndicats, associations, pseudo-chercheurs en pédagogie bons en communication que j'appelle "paléomodernistes consensuels".
    Agnés VZ s'intéresse à ces mécanismes qui, en effet, favorisent en moyenne les familles appartenant aux élites (connaissances des règles du jeu du monde des adultes et haut niveau culturel) mais, paradoxalement d'après mon analyse, ne sont pas voulues par elles mais par les deux groupes de pensées que j'ai cité plus haut. Voir les théories autour de la "misérabilité" pour comprendre les motivations de ces gens.

    Tous les pays du monde ont des parcours "très sélectifs" dans les études supérieures. La Chine Populaire avait essayé lors de la "révolution culturelle" de les supprimer: Ce ne fut pas une réussite. La différence entre Harvard aux Etats-Unis et Polytechnique en France est que Polytechnique a une prépa quasi-gratuite qui se déroule entre 18 et 20 ans. L'entrée à Harvard se fait via des tests (sous forme QCM) organisés par des officines privées payants, préparés dans des lycées privés très onéreux (les prep schools) entre 16 et 18 ans. L'université américaine dans son organisation a ses universités élitistes dont mode de sélection est fonctionnellement identique aux grandes écoles française sauf sur la caractéristique du coût. (Il faut analyser les fonctions, non pas le lieu où les prépas et les cours sont dispensés). Il suffit de regarder les séries policières américaines à la télé dont certaines enquêtes se déroulent dans des Prep Schools ou revoir "le cercle des poëtes disparus" pour avoir la preuve de ce que j'écris dans ce paragraphe.

    Le fonctionnement du passage entre 2ème année de médecine(qui se passe dans une université plus loin du domicile en moyenne que les lycées- donc plus de recours au coûteux logement étudiant) où il faut se payer des prépas privés avoir une chance raisonnable de réussir a au moins 5 fois plus de biais sociaux que les classes prépas.

    J'ai acheté la revue pour comprendre si AVZ a une analyse fausse du sujet, si François Jarraud a fait des focus qui, déconnectés du contexte, donne une image fausse de la pensée d'Agnès, ou si celle-ci a fait le choix du "projet latéral" et donc "écrire des analyses qu'elle sait fausses" à l'intérieur d'une stratégie de communication qui est globalement constructive.

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