Bruno Devauchelle : Retour aux sources de l'information 

Comment est fabriquée une information ? Comment y accède-t-on ? Comment peut-on l'évaluer ? Laquelle choisir ? Comment l'intégrer dans ses connaissances ? Ces questions, parmi d'autres, sont au coeur de la mission d'éducation et en particulier de celle d'enseignement. La formation des enseignants (universitaire et professionnelle), les manuels scolaires, les programmes sont les trois piliers de l'information de base de l'enseignement scolaire. Si l'on y ajoute l'organisation scolaire, le découpage disciplinaire et horaire ainsi que la tradition pédagogique, on s'aperçoit que l'information, à la base de l'enseignement, est d'abord de l'information prédigérée. C'est-à-dire que très souvent elle est choisie, triée, formatée dans certains cas (souvenir d'antan de Lagarde et Michard), par les enseignants eux-mêmes aidés par l'environnement dans lequel ils évoluent depuis leur enfance.

 

Contrôler l'information ?

Le livre d'abord, les médias de flux (télévision radio journaux), l'informatique connectée ensuite, mettent à mal l'exclusivité informationnelle de l'enseignement. Cela est accentué par le fait que le système scolaire a de plus en plus renvoyé au "hors l'école", aux familles en particulier, le soin de compléter l'environnement informationnel. Tant que les familles ont été "complices" du système scolaire, elles ont, pour une partie d'entre elles compris l'intérêt de cette possibilité. D'une part elles confient à l'école le formatage social et l'encouragent, d'autre part elles se réservent le complément utile au maintien du statut social. Cette situation est suffisamment consensuelle pour que ce modèle soit celui qui aujourd'hui confirme la dimension inégalitaire de l'école (cf. le rapport récent du CNESCO). Ce que les familles ont fait du livre, des médias, elles le font aujourd'hui d'Internet et plus globalement des moyens numériques. Pour le dire autrement si le monde scolaire ne s'empare pas de ce fait et reste dans son cadre de formatage, il y a fort à parier qu'un prochain rapport sur les inégalités confirmera l'incapacité de l'école à faire face aux évolutions de la société.

Il faut revenir ici à la question de l'information si l'on veut commencer à ouvrir des fenêtres dans le monde scolaire. Le contrôle de l'information qui entre et qui sort du système scolaire est un élément essentiel de cette institution. Son rôle est associé à la mission fondatrice de l'école et du service que celle-ci est amenée à imposer aux jeunes afin d'en faire des citoyens. Les débats sur les contenus des manuels scolaires sont révélateurs de cela. L'idée qu'elle ne puisse être contrôlée "a priori" pose problème. Or les moyens numériques disponibles sont effectivement en rupture avec cette tradition. D'où le souhait de certains de filtrer de contrôler, voire de censurer des informations de toutes natures, en entrée comme en sortie. Nous nous intéressons en particulier à ce qui entre dans la classe et à la manière dont on peut accompagner cette incertitude qui n'est pas nouvelle mais qui prend une couleur nouvelle avec les moyens disponibles.

Rappelons d'abord qu'il est nécessaire que chacun fasse le travail de citation des sources. Enseignant, élève, chacun de nous doit s'astreindre à citer les sources. Mais cela n'est pas si simple qu'on le croit. Si chercher l'information, en particulier en ligne, présente de nombreuses difficultés, en connaître la source n'est pas forcément simple. En effet une information est très souvent le simple relais d'autres informations. Ainsi un enseignant qui prépare les supports pour son enseignement va-t-il rassembler plusieurs ouvrages, plusieurs documents trouvés sur Internet et même en fabriquer lui-même s'il le juge nécessaire. Cite-t-il ses sources ? est-ce vraiment possible ? Est-ce souhaitable ? Certains étudiants s'empressent à l'écoute de leur enseignant de regarder en temps réel sur Internet s'il n'y a pas quelque chose de proche qu'ils pourraient utiliser pour compléter le cours. Mais parfois ils trouvent aussi la source de ce que l'enseignant leur dit ! Dans le système scolaire, la limitation des usages d'Internet en classe reste encore suffisante (quoique ?) pour limiter ce genre d'activité. Cela n'enlève en rien l'importance pour l'enseignant d'effectuer ce travail, avant de pouvoir l'imposer à ses élèves. Mais là encore, il n'est pas rare de rencontrer des enseignants qui ne marquent pas de manière explicite cette contrainte pour les travaux de leurs élèves. Or le phénomène de copiage ou de plagiat est à mettre en lien avec cette question des sources.

 

L'adulte médiateur

Le rôle de médiation de l'adulte est évident, en amont même de l'idée d'analyse avancée des contenus. On observe que nous manquons souvent à nos obligations dans ce domaine. D'une part nous négligeons quelque peu de citer nos sources (même l'auteur de ces lignes se laisse parfois prendre). Parfois, d'autre part, nous faisons appel à des sources sans en avoir conscience (mémoire défaillante ou approximative, voire appropriative de propos tenus par d'autres). Dans le même temps nous tenons l'exigence de citation par les autres. Mais cela est parfois complexe. Car l'information trouvée est souvent le relais d'informations déjà diffusées par d'autres canaux. Une page web citant un historien qui cite un discours antérieur est-elle une source à citer ? Le travail nécessaire est de tenter de remonter le plus près possible de la source originelle. Cela parfois est très limité ou difficile. Il faut alors avoir la rigueur de "déplier la source" avant de donner le support sur lequel on l'a trouvée. Car c'est de cela qu'il s'agit : le support initial n'est qu'une porte d'entrée. Là encore, faire prendre conscience de cela complique les choses. Non seulement il faut aller plus loin que les premières réponses du moteur de recherche, mais en plus il faut explorer les sources trouvées. Le temps pour effectuer ce travail est souvent long et la tâche parfois difficile, aussi est-on prompt à s'en passer...

Ce travail des sources est à la base de l’Éducation aux Médias et à l'Information. Le "vu à la télé" reste encore trop souvent une base de discussion. Jeunes et adultes nous avons bien du mal à nous défaire de cette impression de neutralité de l'image vidéo. On se rend aisément compte de cette "légèreté" dans les échanges informels entre collègues, entre amis, parfois même en salle des profs ou au déjeuner. Nous prenons bien souvent les propos médiatiques (flux ou interactifs) comme source première. La méfiance qui cependant règne souvent sur Internet (on en observe les effets dans les échanges sur Wikipédia) n'est pas de même nature que celle qui devrait être en place à l'égard des télévisions ou des radios. L'apparition des "décodeurs" dans différents organes de presse montre bien que cette question est vive et notre vigilance, faible.

Il faut renouveler le travail de la médiation humaine, tant la médiation instrumentale a évolué ces derniers temps. Le reroutage d'informations, en particulier vidéo, sur les réseaux sociaux numériques, le plus souvent non situées dans le temps et l'espace, est en train de faire écran à toute démarche d'approfondissement des sources. Du coup, toute information semble récente, nouvelle et dès qu'elle est reroutée sans auteur initial. Cela favorise la rumeur, l'inexactitude, voire l'impossibilité de la vérité, si tant est qu'elle existe. Cela confirme aussi une tendance forte dans ce nouvel espace médiatique : le mélange, l'embrouille, l'enfouissement. Toutes ces pratiques, avec et sans technologies, qui font qu'une information est devenue une marchandise, car associée à plusieurs choses comme la réputation de celui qui la colporte, commercialisée parfois, un objet interactionnel et non plus la simple relation d'un fait observé. Le travail de l'éducateur va donc se trouver complexifié. Si en plus il doit vérifier même ce qu'on lui a appris, parfois sur les bancs de l'université ou de l'ESPE... ce sera interminable. La médiation humaine indispensable pour faire face à l'information, en particulier dans un contexte qui prétend éduquer, est de plus en plus difficile à assurer. Car jadis la source était le plus souvent localisée et on s'en satisfaisait car il était presque impossible d'aller au-delà. Désormais délocalisée et démultipliée, l'information suppose un travail beaucoup plus approfondi. Malheureusement le monde scolaire ne s'est pas encore saisi réellement de cette question, pris qu'il est entre l'urgence d'un socle commun, la cécité intellectuelle grandissante face à ces problèmes (en particulier chez nombre d'adultes). Sans chercher la source parfaite et assurée, le travail de sourçage, travail d'historien parfois, doit relever des obligations de tout travail sur la connaissance et donc d'enseignement et d'éducation.

 

Bruno Devauchelle

 

Toutes les chroniques de B Devauchelle

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 04 novembre 2016.

Commentaires

  • alainl, le 05/11/2016 à 10:27
    Merci Bruno pour cette mise au point particulièrement intéressante ...

    Oui: "La médiation humaine indispensable pour faire face à l'information, en particulier dans un contexte qui prétend éduquer, est de plus en plus difficile à assurer. "

    On parle maintenant  parfois de curation du net :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Curation_de_contenu

    Je ne retrouve malheureusement  plus le terme qui caractérisait ces "veilleurs du Web" dans la préhistoire du Web ... au siècle dernier quoi ;-) ... mais je sais que tu en faisais déjà partie ...

    ( Et, encore une fois, quel dommage que l'on ne puisse pas déposer un commentaire sur Le Café depuis un autre navigateur que ceux proposés par Microsoft :-( ... )



    Cordi@lement


    alain l.
Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces