La chronique de Véronique Soulé : Juralternance, une école pour ceux dont personne ne veut 

A Dole (Jura), l'école de production Juralternance accueille des jeunes dont personne ne veut – décrocheurs, migrants, gens du voyage... – et leur permet de rebondir en préparant un CAP, voire au delà s'ils le veulent. Reportage sur un dispositif ancien et méconnu.  Ce 11 novembre 2016 est une journée particulière à Juralternance. L'école de production ouvre ses portes au public pour mieux se faire connaître. Pour l'occasion, elle présente dans ses locaux une exposition d'oeuvres, en métal ou en tôle, d'artistes contemporains de la région, ainsi que des pièces réalisées par les élèves.

 

Ce même jour, on remet aussi leur diplôme de CAP Métallerie Serrurerie aux trois jeunes qui l'ont décroché cette année :

- Gurindei, 19 ans. Arrivé seul à Paris venant du Pendjab, en Inde, il voulait rejoindre de la famille en Angleterre. Il a dû finalement rester en France. Et il a atterri près de Dole, dans un centre pour mineurs isolés étrangers. Parlant très peu le français, il n' a pas trouvé de lycée.

- Dimitry, 20 ans. Il était déjà parvenu au niveau CAP, en menuiserie. Mais il s'était retrouvé chez un patron avec qui cela s'était très mal passé. Il était parti totalement découragé, et il avait décroché, ne sachant plus que faire.

- Rémi, 20 ans. Issu de la communauté des gens du voyage,  il n'a jamais été au collège. Il suivait les cours par correspondance et fréquentait le camion école d'Annie qui s'arrête sur les aires de stationnement. Annie enseigne aussi, à temps partiel, à Juralternance. C'est elle qui lui a fait connaître.

 

Machines

 

L'école se présente comme un vaste atelier avec d'imposantes machines pour travailler le métal – découper, souder, plier, etc. Aujourd'hui, sur la grande table métallique qui trône au centre, on a disposé des oeuvres d'art. Les élèves eux-mêmes se sont essayés à la sculpture en partant d'une maquette faite par une artiste locale, Jo Bardoux.

 

Dans un coin de l'atelier, derrière un mur vitré, c'est la salle de cours. C'est là qu'Annie enseigne, ainsi que Jean-Yves, prof en maternelle détaché un jour par semaine, et d'autres enseignants, certains bénévoles.

 

Les élèves de Juralternance – 14, répartis sur deux ans – passent deux tiers  de leur temps en atelier avec Laurent, le " maître professionnel ". Le tiers restant, ils suivent des cours. C'est le rythme dans les écoles de production,

 

L'accent est mis sur les apprentissages de base. De nombreux élèves sont d'origine étrangère et certains parlent à peine le français. Ils sont invités à s'entraider, les plus avancés aidant les plus faibles. Chaque vendredi à 13 heures, ils ont par ailleurs Atelier philo avec Annie. Les deux derniers thèmes : les différences et le mensonge.

 

Pont

 

Les écoles de production sont un peu tombées en désuétude. La première fut fondée à Lyon en 1882 par Louis Boisard, ingénieur et prêtre. Ni école ni entreprise, elle se veut un pont entre les deux. C'est pourquoi le projet fut régulièrement combattu par les partisans d'une ascension par l'école, hostiles à l'intrusion des entreprises.

 

L'idée est de former à des métiers manuels qui recrutent, des jeunes rétifs à l'enseignement classique et qui ont été rejetés, selon le principe : " Faire d'abord, expliquer ensuite ".  Une méthode qui convient bien à ces jeunes souvent dégoûtés du scolaire, aux bases fragiles et convaincus d'être " nuls ", ainsi qu'à des non francophones.

 

A Juralternance, les élèves sont formés aux métiers du métal. Dans un autre atelier, ils peuvent aussi se former à la réparation et au recyclage des pneus usés, mais il n'existe pas de diplôme dans ce domaine. Souvent les élèves, n'ayant pas le brevet, passent par ailleurs la CFG (Certification de formation générale).

 

Gratuité

 

On compte une vingtaine d'écoles de production dont près de la moitié en Rhône-Alpes, son berceau. Reconnues pour leur savoir-faire avec les décrocheurs et autres laissés-pour-compte de l'école, elles ont été retenues parmi les lauréats 2016 de " La France s'engage ", une initiative soutenue par le président Hollande  " pour récompenser les projets innovants en faveur de la société ".

 

Gratuites, les écoles de production ne sont pas rattachées à l'Education nationale. Elles sont souvent adossées à des associations. Juralternance, par exemple, a été créée en 2013 par l'association Eccofor (Ecouter, Comprendre, Former). Fondée par des entrepreneurs locaux dont certains accueillaient déjà des " décrocheurs ", des profs et des personnes engagées localement, elle entend " oeuvrer en faveur de l'insertion des jeunes ".

 

Les écoles de production sont financées par plusieurs sources :  par les revenus tirés de leurs activités – elles vendent ce qu'elles fabriquent -, par la Région, par des fondations et par la taxe d'apprentissage.

 

Le problème est de démarrer alors que l'école n'a pas encore de commandes. Après un début difficile, Juralternance, qui fabrique des grilles, garde corps, tonnelles, etc, a désormais un carnet bien rempli.

 

Chance

 

Au delà du diplôme, l'objectif est de redonner confiance à tous ces jeunes, souvent déjà marqués par de douloureux parcours de vie, avec aussi de chaotiques parcours scolaires.

 

Pour les trois élèves qui ont eu leur CAP, Juralternance a été une chance. "C'est là que j'ai eu mes premiers cours de français et que j'ai commencé à vraiment apprendre la lanque, se souvient  Gurindei, avant j'écoutais la télé ou la radio et je cherchais des mots sur internet. " Aujourd'hui, il prépare un bac pro par alternance, en section Ouvrages Bâtiments métalliques.

 

Rémi, lui, va chercher du travail comme soudeur. En bac pro Chaudronnerie, Dimitry, enfin, se verrait bien pousser jusqu'au BTS (Brevet de technicien supérieur), deux ans après le bac.

 

Véronique Soulé

 

NB: Juralternance est un projet pilote associé à ATD Quart Monde dont l'auteure dirige le mensuel

 

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Par fjarraud , le lundi 21 novembre 2016.

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