Bruno Devauchelle : Peeragogy et numérique, des rapprochements possibles ? 

Il est devenu courant de parler d'apprentissage par les pairs. Co-apprentissage, collaboration, et autres interactions sont considérées de plus en plus souvent comment devant faire partie de l'arsenal pédagogique ordinaire de l'enseignant, est-ce vraiment de l'apprentissage par les pairs ? Il ne s'agit pas ici de désigner ce qui est la bonne définition, mais plutôt de tenter de mettre à jour ce que l'on peut envisager en matière d'aide aux apprentissages grâce aux pairs. Les enseignants, comme les chercheurs ont très rapidement observé les effets des interactions entre apprenants sur les apprentissages. Et ce qui est le plus intéressant c'est que le bénéfice, en termes d'apprentissage se situe de manière à peu près égale, mais différente entre les différents acteurs de cette interaction.

 

Douze pratiques d'apprentissage par les pairs via le numérique

 

Pour le dire autrement, lorsque l'on demande à un élève d'expliquer ce qu'il a compris à un autre élève, il est aisé de remarquer que le bénéfice de cette activité est aussi bien pour celui ou celle qui explique que pour celui celle à qui il ou elle explique. Récemment, avec les Moocs, on a vu apparaître la correction par les pairs, les activités entre pairs. Car travailler entre pairs peut aussi se faire au travers des moyens technologiques numériques de communication. C'est d'ailleurs ce qui interroge sur les frontières entre activités de partage, activités collaboratives, activités entre pairs. Bien sûr, ces pratiques n'ont pas attendu les moyens numériques pour exister. Mais c'est la remontée à la surface des échanges autour de la pédagogie et du développement du numérique qui invite à y réfléchir davantage. Pour y voir plus clair, on peut essayer d'analyser les pratiques et ainsi de préciser ce que l'on tente de désigner.

 

- Quand j'envoie et reçois des messages, avec ou sans pièce jointe, je suis dans un premier niveau de relation, de collaboration.

- On peut aussi partager un espace de dépôt de document qui permet une mutualisation

- Autre possibilité la curation qui consiste à mettre à disposition des autres des liens ou des ressources, c'est une posture de relayeur

- Avec les murs partagés, on peut construire à plusieurs, par juxtaposition, un ensemble de réflexions, de questions, de remarques, on est alors dans un dispositif de cumulation

- Avec les forums, vieille pratique, les échanges et les confrontations sont le coeur de l'activité. Il est possible de confronter et de co-construire

- Les chats (mais aussi sms, WhatsApp, etc..) apportent le direct, l'instantané, la conversation écrite, parfois enrichie de visuels

- Les conférences interactives en audio ou en visio reproduisent les conditions de la salle de classe tout en permettant des interactions multiples

- L'usage des modes correction/commentaire avec des logiciels apporte une dimension nouvelle par l'insertion de l'autre dans le document initial. On entre alors dans une véritable dimension collaborative qui autorise le "mélange"

- L'usage de l'écriture à plusieurs en direct ou en différé (framapad, wiki, googledocs etc.…) est proposée sur plusieurs types de logiciels (cmaptools par exemple) introduisant une autre dimension puisque l'écriture est automatiquement insérée avec ou sans possibilité de distinguer les apports.

- Les outils de partage cumulent plusieurs des possibilités ci-dessus pour permettre la co-élaboration de documents, ressources etc. En mode projet, on arrive rapidement à des pratiques collaboratives avancées, associant espaces privés, espaces publics (projet Inca de Canopé par exemple.

- Proposer aux apprenants de devenir enseignants, en s'appuyant sur les ressources numériques, on développe alors la dimension d'apprentissage par les pairs

- Si l'on propose aux apprenants d'évaluer les travaux de leurs pairs, on entre dans une autre dimension du travail entre pairs qui, aidé par des moyens numériques apporte une vision de l'autre et de ses productions différentes.

 

Quelle place pour le cMooc ?

 

La sophistication des dispositifs d'apprentissage par les pairs, au-delà de ce que nous venons d'énumérer, est possible. En faisant circuler la parole, les expertises, les rôles au sein du groupe d'apprenant, en utilisant les ressources en ligne et un certain nombre d'applications, on peut développer des formes intéressantes qui sont en fait basées sur des pratiques anciennes. Au sein des sociétés primitives, l'apprentissage, la transmission se déroule selon des modalités plurielles qui associent les pairs et les pères, les experts et les novices dans une forme de "collaboration sociale" parfois très structurée. Au sein des fratries on observe aussi ces modes de transmission. C'est d'ailleurs sur ce modèle que l'enseignement mutuel est organisé au XVIIIè siècle.

 

D'Howard Rheingold à Jean Lave et Etienne Wenger, de nombreux travaux de recherche ont montré qu'à la suite des approche sociocognitives de l'apprentissage, il y avait de nombreuses possibilités à exploiter, avec et sans technologies. Ce qui est au coeur de ces réflexions c'est bien sûr, l'importance à accorder aux interactions sous des formes variées et diverses. Les approches autour des débats, des controverses, permettent particulièrement bien d'exploiter ce potentiel humain souvent négligé, marqués que nous sommes par les modèles de la forme scolaire très présente dans notre culture.

 

On pourra aussi aller relire le numéro 111 de la Revue Française de Pédagogie (1995) pour se rendre compte que ces questions sont aussi travaillées dans un autre champ proche celui de la psychologie culturelle chère à Jérome Bruner. Espérons qu'en explorant le potentiel cognitif du travail entre pairs, cela amènera des enseignants à creuser un nouveau sillon pour renouveler les formes de l'enseignement traditionnel mais aussi accentuer les évolutions proposées dans les formes récemment popularisées de classe inversée. On s'étonnera simplement que les Mooc collaboratifs (cMooc) comme les deux itYpa n'aient pas réellement connu de suite... comme si la démarche collaborative n'était pas inscrite dans la culture de l'apprentissage actuelle...

 

Bruno Devauchelle

 

Les chroniques de Bruno Devauchelle

 

Un site sur la coopération dans le supérieur

Un livre en partie traduit sur la pairagogie

Le site de la RFP et l'article de présentation écrit par Britt Mari Barth

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 03 mars 2017.

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