Bruno Devauchelle : Algorithmes, Fake news : pouvons-nous encore nous informer ? 

En utilisant les moyens numériques à notre disposition, nous avons une fenêtre ouverte sur le monde. Du moins c'est ce que nous croyons. Un ensemble de faits, plus ou moins importants, semblent indiquer que la fenêtre se referme et que nous n'avons plus forcément le choix et que même si nous l'avons, il est bien difficile de "discerner" pour reprendre un terme magique utilisé en ce moment (cf. le discours du ministre de l'éducation). Nos usages quotidiens des technologies nous montrent combien nous sommes peu soucieux de ce que nous recevons ou en tout cas peu critiques vis à vis de tout ce qui circule, y compris ce que l'on y exprime. Il suffit d'aller devant un établissement scolaire pour se rendre compte d'une omniprésence des usages "immédiats". Par ce terme nous entendons cette forme d'activité qui consiste à mettre en œuvre un outil en en acceptant les logiques propres, l'affordance.

 

Quand on perd le contrôle de l'information

 

Si pour nos collègues suisses, dans leurs études, il y aurait 30% "d'indigents médiatiques",  il y a fort à parier que ce chiffre soit en réalité plus important selon les critères retenus, dont en particulier celui qui porte sur la connaissance et la compréhension de l'invisible de l'informatique. Par contre la conclusion est la même : nécessité d'une éducation aux médias et à l'information "élargie". Mais une fois cela exprimé, nous nous heurtons à un problème complémentaire : celui de la difficulté de plus en plus grande à retrouver des éléments de confirmation de la validité des informations. Et pourtant on a vu se multiplier les approches méthodologiques et les conseils pour nous aider.

 

Quelques éléments de réflexion pour étayer cette difficulté :

- Si vous utilisez Facebook, l'algorithme de présentation des messages vous enferme systématiquement dans votre profil. Utiliser l'option "les plus récents" apporte des réponses bien différentes dont on n'est cependant pas certain de leur non sélection. De même, avec les réseaux sociaux en général, le problème de la présentation chronologique des informations tend à renforcer l'oublie rapide de messages si l'on n'a pas pris soin de générer des alertes automatiques. On en vient à oublier si l'on n'a pas pris soin d'organiser son espace. Il en est de même de twitter ou encore d'autres réseaux. Le mélange d'informations poussées par le serveur (publicités ou informations diverses) insérées dans les informations reçues complique encore la tâche. Il est intéressant aussi de voir la manière dont sont poussées des nouvelles spécifiques. Ainsi LinkedIn vous propose des anniversaires professionnels ou encore d'autres informations non sollicitées. Car c'est cela qui est un des éléments du problème : à de l'information triée par le serveur s'ajoutent des informations annexes qui viennent encombrer la pensée et l'action.

 

- Un autre problème est celui de la date des informations mises à disposition en ligne. Comment effectuer un travail sérieux d'analyse et de compréhension si l'on ne peut préciser la date à laquelle est mise en ligne une information. Entre la date de lecture et la date de mise en ligne d'une information il y a un écart qui peut entacher d'erreur une réponse à une question. Si des sites oublient de mettre en évidence la date de mise en ligne, les moteurs de recherche sont aussi trompés par ces éléments à propos desquels ils ont bien du mal à fournir une aide réelle, même en mode avancé. On notera ici que les éditeurs papier ne facilitent pas forcément les choses non plus. Comment trouver la date de création initiale d'un livre présenté comme la énième édition en ne donnant que la date de l'édition courante. Nombre de questions auxquelles on cherche une réponse en ligne nécessitent de prendre en compte la dimension du temps et de la date. Ne pas s'en soucier c'est prendre le risque d'erreurs regrettables. On pourra associer à cela l'identification de l'origine géographique de certaines informations qui, si elle n’est pas vérifiée risque de provoquer de nombreuses confusions.

 

Des Fake News à l'infobésité

 

- Le développement des fausses informations, que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer et dire combien elles posaient problème, est aussi une difficulté. Par fausse information on prend souvent plaisir à dénoncer les plus spectaculaires, mais il en est de nombreuses qui bien que moins spectaculaire n'en sont pas moins redoutables. Les chercheurs dont c'est le métier ne sont d'ailleurs pas épargnés par des approximations quand ce n'est pas simplement de la tricherie. Certes on peut se tromper, mais il est toujours nécessaire de vérifier. Une fausse information c'est d'abord une information non située, c'est à dire dont on peut dire d'où elle vient (source, trace). C'est ensuite une information dont on peut préciser son niveau de réplication. Ainsi la syndication de site, le relais par des liens est parfois peu ou pas vérifié. Ainsi nombre de scoop ‘It et autre pearltrees relaient des liens sans pour autant qu'on puisse en mesurer la validité dès le lien lui-même. De même les relais sur les réseaux sociaux méritent-ils une grande vigilance. La dérive de l'indice de popularité est un élément d'encouragement fort. Encouragement à la sensationnalisation, encouragement au relais des liens, parfois effectués par des "machines à cliques" venues du monde entier.

 

- Tout cela confirme une inquiétude exprimée il y a déjà longtemps celle de l'infobésité. Mais désormais cette difficulté se trouve complétée et élargie par l'évaluation qualitative des contenus qui est devenue de plus en plus difficile. De plus on devrait aussi prendre en compte la "communicobésité", forme un peu différente de l'infobésité car elle ajoute à l'information la dynamique propre de la conversation et de ses modalités multiples et parfois désagréables tant les comportements humains sont variés. L'agressivité, les injures, etc.… sont devenues pour certains une forme normale d'expression, ajoutant à la difficulté à "entendre". Dans un flot communicationnel continu, il n'est pas certain que l'on puisse y trouver des informations à transformer en connaissances (cf. les travaux cités plus haut). L'infobésité est en train de basculer dans une forme nouvelle de saturation informationnelle et cognitive.

 

Des conclusions pour la classe

 

Quelles préconisations peut-on proposer pour un système éducatif bien peu réactif et parfois même conscient ? Du côté de la "consommation" de contenus en ligne, il y a un important travail d'analyse à mener, chaque fois que c'est possible.

 

- En classe, finies les consignes du type : "cherchez des informations sur tel thème ou tel personnage" (comme on pouvait le faire à la fin des années 1990). Il faut multiplier les occasions de mener un travail de vérification, de comparaison et d'analyse.

 

- Pour ce qui est des algorithmes, il est extrêmement difficile de repérer tous leurs effets. La plupart des jeunes préfèrent les ignorer et tenter de soumettre les services auxquels ils ont accès pour obtenir ce qu'ils cherchent. Ils ne vont pas tenter de comprendre la plupart du temps, mais plutôt d'utiliser ou de rejeter. Révéler les algorithmes ne peut être utile aux usagers que si on rend leur logique accessible et lisible. Or, justement c'est le secret de ces algorithmes qui génère outre des inquiétudes la montée des théories du complot. Ce ne sont pas tant les algorithmes que les intentions de ceux qui les conçoivent qui doivent être mis à jour.

 

- Face aux problèmes de validité de l'information, nous avons déjà évoqué une posture de doute a priori comme étant la seule porte d'entrée. Il y a certes des boites à outils. Mais elles ne sont rien sans d'une part une exigence morale (et légale) de rigueur dans les organes et auteurs de publications, et d'autre part une démarche de recherche des contextes de production et de leur lisibilité.

 

- Enfin les nouvelles formes d'infobésité obligent à un resserrement des sources. D'ailleurs nombre de jeunes témoignent de cette pratique qui consiste à créer un espace restreint et contrôlé afin d'éviter les mauvaises surprises de toutes natures. L'éducateur, l'enseignant aura intérêt à amener le jeune à se concevoir un environnement cognitif contrôlé et conscientisé. Ainsi le jeune pourra construire son propre chemin dans un univers qui ressemble de plus en plus à une sorte de "jungle informationnelle" dans laquelle les chemins ne sont pas tracés d'avance et s'effacent aussitôt qu'ils sont dépassés.

 

Le sens de l'orientation informationnelle va prochainement revenir au centre des préoccupations éducatives. Il y a une convergence, une accumulation de quatre points de difficulté qui sans être nouveaux évoluent dans un sens qui peut sembler inquiétant.  D'un parcours guidé par l'enseignant il va falloir aller vers un parcours construit et piloter en pleine conscience. Car passer à l'autonomie dans l'accès à l'information devient de plus en plus complexe. Certes les aléas et les incertitudes seront toujours présents, mais les prendre en compte fera aussi partie des éléments constitutif du développement des compétences nécessaires pour faire face à un environnement étonnement mouvant et de moins en moins fiable...

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 13 octobre 2017.

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