Bruno Devauchelle : Les données personnelles, en question 

L'inspection générale de l'éducation nationale remet ces jours-ci au ministre un rapport sur les données personnelles dans le monde scolaire. Ce rapport s'inscrit, semble-t-il au croisement de plusieurs préoccupations du moment. D'une part la réglementation européenne sur la protection des données personnelles doit se mettre en place en mai prochain, et la France semble avoir du mal à rentrer dans ce cadre et l'adapter aux réalités locales, en particulier dans le monde scolaire. Le texte d'adaptation est en cours d'adoption après un premier vote à l'assemblée. D'autre part le monde scolaire, qui se veut protecteur des jeunes, des enfants pour leur permettre d'entrer dans la société suffisamment outillés, se trouve être un grand utilisateur de données, en particulier personnelles ou personnalisables. Enfin la force de persuasion des marchands (et pas seulement les GAFAM) s'appuie aussi sur leur envie d'en savoir plus sur les consommateurs et la généralisation des appareils mobiles individuels (smartphone et autres) est un formidable vecteur de captation de ces données dont les usages peuvent être variés. En quelque sorte on peut penser que les données personnelles intéressent beaucoup de monde et qu'il est temps de réfléchir aux conséquences de l'usage de ces données. Pour aller plus loin, il faut clarifier quelques éléments du débat.

 

Qu'est-ce qu'une donnée ? "Une donnée est une description élémentaire d’une réalité". Pour le dire autrement et en reprenant l'expression de Bruno Latour, une donnée c'est d'abord une "obtenue". L'informatique est basée sur l'utilisation de "données" dont la description est effectuée à partir du modèle des 0 et des 1. Pour le dire autrement, toute donnée qui est traitée par un ordinateur est d'abord perçue et transformée dans ce format en base 2 : on comprend donc pourquoi il s'agit plus d'obtenues que de données. Mais dans le langage commun, on parle de données, parce qu'elles sont là devant nous et que nous ne nous soucions pas de leur captation, leur traitement et leur diffusion. A partir de quand une donnée peut-elle être qualifiée de personnelle. Les textes de référence sont clairs : dès qu'une donnée peut être rapprochée de manière directe ou indirecte à une personne, elle est considérée comme personnelle.

 

Chaque enseignant au quotidien a une activité très souvent centrée autour de données, souvent appelées contenus, travaux mais aussi évaluations. Il est des données particulières qui sont aussi manipulées par les enseignants, ce sont les données personnelles des élèves. Quand je fais la liste de mes élèves, que j'y ajoute les notes obtenues dans les différents contrôles, et éventuellement des appréciations ou remarques personnelles, alors je constitue une "base de données personnelles". De la personne à l'institution, l'élève est l'objet d'un suivi désormais numérique qui ne cesse de s'amplifier. Depuis la simple inscription dans un établissement, au suivi individuel de l'activité de l'élève au travers de l'ENT, du cahier de texte numérique ou encore du logiciel de gestion des notes, chaque élève est particulièrement suivi. Du petit carnet papier dans lequel, jadis, nous notions le nom de tous nos élèves ainsi que les notes et autres évaluations à la feuille de calcul ou au logiciel de suivi de classe, nous avons tous, individuellement, constitué des bases de données personnelles sur les élèves. On rappelle ici la manière dont les conseils de classe est un des points d'orgues de cette accumulation de données et leur traitement... jusqu'à l'orientation scolaire.

 

La question posée par les données personnelles est au coeur de l'activité dans la classe. Individualisation, différenciation, personnalisation, sont trois termes qui recouvrent une idée commune : avoir suffisamment de données personnelles sur l'élève et ses apprentissages pour lui permettre de mieux apprendre, de mieux progresser. L'apparition récente, dans les discours au moins, mais aussi dans certains produits commercialisés, de "l'adaptive learning", montre bien que l'amplification de l'utilisation des données personnelles n'est pas terminée. On peut même imaginer des systèmes d'enregistrement de l'activité individuelle des élèves, qu'elle soit physique ou mentale, avec des systèmes de captation dynamique d'informations (flux sanguins dans le cerveau, mouvements etc.…). Dans la salle de classe un enseignant consacre une bonne partie de son activité à identifier les signes individuels d'une part pour les réguler d'autre part pour les évaluer. Très souvent cela ne fait pas l'objet d'une transcription écrite ou numérique, mais dès lors que cela se fait, on entre dans le cadre de la loi.

 

Il est toujours aisé de renvoyer la responsabilité de la gestion de ces données à un échelon particulier. Ainsi, dans l'établissement scolaire, le chef d'établissement peut-il devenir rapidement ce maillon de responsabilité. De même, en remontant la hiérarchie on peut identifier ces responsabilités en forme de poupée gigogne. Il faut pourtant revenir à l'échelon fondamental que constitue la personne, l'enseignant par exemple. Dès lors que vous allez recueillir, conserver, traiter et utiliser des données sur les élèves, vous entrez dans un champ de responsabilité double : juridique et éthique. La mise en place d'un cadre réglementaire est aussi l'occasion de s'interroger sur l'éthique associée. Nous connaissons tous ces petites incivilités qui font que chacun de nous s'arrange parfois avec la loi. Certains osent même, à tort, dire qu'au nom de la liberté pédagogique, ils peuvent se le permettre, parfois même ignorent-ils la loi ou l'interprètent-ils. Il n'y a pas de raison que la question de la gestion des données personnelles échappe à ce type de comportement.

 

Plus qu'une loi, certes toujours nécessaire, il est indispensable que chaque acteur du système éducatif identifie clairement ces problèmes et les règlementations qui y sont associées. Plus que cette connaissance, il y a la mise en œuvre réelle, qui alors fait aussi appel à l'éthique de responsabilité. Nous ne pouvons être éducateur que si nous savons situer nos actions dans le cadre fixé par le collectif social auquel nous appartenons. Si nous enfreignons la loi, nous sommes prêts à en assumer les conséquences. Mais dans tous les cas, nous sommes prêts à l'expliquer à ceux envers lesquels nous avons la responsabilité éducative.

 

Bruno Devauchelle

 

Toutes les chroniques de Bruno Devauchelle

 

Projet de loi relatif à la protection des données personnelles

Qu'est ce qu'une donnée personnelle ? (Eduscol)

Et sur le site CNRS

 

 

Par fjarraud , le vendredi 16 février 2018.

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