A-t-on vraiment besoin de concours de recrutement ? 

La question est un peu provocante. Mais elle se pose après la décision de porter en L3 les épreuves d'admissibilité des concours enseignants. Le 6 juin le Café pédagogique a expliqué que cette décision alignerait le fonctionnement de l'éducation nationale sur celui de l'enseignement privé sous contrat. Les professeurs du privé reçus au concours doivent trouver un établissement d'accueil qui valide leur concours. Alors poussons encore un peu plus loin la réflexion. Dans ce cas, à quoi sert le concours ?

 

Les épisodes précédents

 

Le 4 juin, en réponse à un référé de la Cour des comptes, les ministres de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur ont annoncé que les futurs enseignants seraient recrutés par des épreuves d'amissibilité en fin de L3 comme la Cour le souhaite. Dans un précédent article, le Café pédagogique a expliqué en quoi cette mesure peut déboucher sur la disparition du statut de professeur stagiaire et sur une remise en cause globale du fonctionnement de l'Education nationale.

 

 

Nous disions : " A quoi ressemble ce concours d'admissibilité qui ne donne pas le statut de fonctionnaire stagiaire ? Tout simplement à celui de l'enseignement privé sous contrat où le futur professeur doit trouver un chef d'établissement qui l'accepte après le concours ou perdre le bénéfice du concours. On distingue le concours et le recrutement". Dans l'enseignement privé sous contrat, les personnes reçues au concours doivent trouver un chef d'établissement qui accepte de les embaucher pour pouvoir faire leur année de stage et finalement obtenir un contrat définitif avec l'Etat.

 

Et si le master suffisait ?

 

Mais a-t-on dans ce cas encore besoin d'un concours ? L'obtention d'un master des métiers de l'enseignement ne suffit-elle pas à attester de la qualification d'un futur prof ? Est-il même légitime de refuser un candidat qui a obtenu un diplôme de si haut niveau ? Dans la plupart des pays européens, la formation suffit. Ainsi un futur professeur anglais suivra une formation aux métiers de l'enseignement débouchant sur un master. Celui ci vaut qualification à exercer. Il lui reste ensuite à trouver un établissement d'accueil. Il faut bien prendre en compte que la France est un cas unique où on associe une formation au métier avec un master à la clé, puis un concours et un statut de fonctionnaire.

 

Des enseignants plus nombreux, de plus haut niveau et plus motivés...

 

On imagine facilement tout ce que ce nouveau système pourrait apporter. D'abord un plus grand vivier de candidats au métier d'enseignant, au delà de la limite des seuls postes disponibles. Du coup une formation allongée et plus professionnalisante sans toutes les contraintes du concours. C'est à dire une hausse du niveau de qualification des enseignants par rapport au concours. Pour l'administration c'est la fin des contraintes de gestion provisionnelle. C'est la fin des débats et des conflits sur le nombre de postes mis aux concours. C'est enfin un recrutement au plus près des besoins et des attentes des projets d'établissement. C'est l'idéal des enseignants regroupés autour d'un chef d'établissement, véritable employeur et guide pédagogique, dans la communion d'un projet commun.

 

Ou pas !

 

Evidemment cette image d'Epinal est totalement fausse. En réalité le modèle de l'enseignement privé ne devrait pas fasciner la technostructure ministérielle. Sa réalité c'est d'abord l'inefficacité de son mode de recrutement. En fait, le privé a beaucoup plus de mal à recruter que le public. On compte aujourd'hui 4 fois plus de contractuels dans le privé que le public. Comme il faut bien mettre des professeurs face aux élèves, le niveau d'exigence est nettement abaissé et le niveau de qualification des professeurs du privé est statistiquement plus faible. Sur le plan pédagogique, nombre d'études, y compris internationales, ont montré que l'efficacité pédagogique (la valeur ajoutée) des établissements privés est plus faible que celle des établissements publics. Autrement dit adopter ce système aboutirait à augmenter les difficultés de recrutement en enseignants et à abaisser le niveau des élèves. En pâtiraient en premier lieu les élèves qui ont le plus de mal à réussir à l'école.

 

On nous dira que c'est à cause de la concurrence du public. Mais la même crise traverse tous les pays qui se sont engagés dans cette voie. On a pu le montrer par exemple dans le cas de la Suède, l'Angleterre ou les Pays Bas. Tous ont vu la crise du recrutement s'approfondir et au final des embauches massives de contractuels débouchant sur une baisse des résultats.

 

Malgré ces réalités c'est bien ce projet, somme toute l'alignement de la France sur la "normalité" européenne, qui est sous jacent à l'annonce du report du concours en L3. Pourquoi cette fascination ? Il y a l'idée simplette dans la technnostructure qu'il faut briser la résistance des enseignants pour progresser. Et puis, si l'enseignement privé n'est pas efficace, reconnaissons lui une grande capacité à produire des présidents de la République et des ministres de l'éducation...

 

François Jarraud

 

Que veut dire le concours en L3 ?

Angleterre Suède Pays-Bas

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 07 juin 2018.

Commentaires

  • pneveu, le 08/06/2018 à 20:18
    Le recrutement par contrôle continue ne semble-t-il pas être la meilleure solution ? 
    La formation de Licence suffit amplement à nous apprendre à être historien. 
    Admettons une épreuve écrite d'admissibilité comme c'est le cas aujourd'hui mais en L3. Puis en M1 M2 une formation en ESPE 2 jours, 1 jour à la FAC où nous travaillerions les thèmes du secondaire mais de façon scientifique et enfin les 2 derniers jours de la semaine nous aurions quelques heures de cours avec un tuteur pour nous apprendre le métier. Il ne s'agirait pas de donner forcément directement cours mais de participer à l'élaboration de ces mêmes cours que nous maîtriserions donc non seulement pour le M2 (au cours duquel nous ferions cours) mais aussi cela permettrait de relier le scientifique apprit à la FAC pour le transformer en contenu scolaire. 
    Ainsi nous aurions du scientifique, du didactique et du terrain qui seraient évalués à parts égales en contrôle continue. Je sais que je rêve car cela voudrait dire que la FAC,l'ESPE et les tuteurs  se parlent et communiquent entre eux voir même qu'ils collaborent mais bon, ça éviterait de faire un mémoire sans avoir fait de terrain, de jouer à celui qui à la meilleur mémoire à un concours ridicule et schizophrène et avoir des profs de FAC qui nous disent que notre réussite est leur objectif alors qu'ils sont là pour combler leurs heures de cours à donner...

  • Samoko, le 07/06/2018 à 09:45
    Avouons-le, le concours ne sert à rien.

    En 1e degré, ceux qui le préparent ne se focalisent que sur français-maths, CSE, EPS et une spécialité, quid du reste ? Toujours dans le 1e degré, ceux qui le passent doivent se montrer meilleurs en théorie (2/3 de la note écrite) qu'en didactique (1/3 de la note), or l'essence de notre métier n'est pas d'apprendre (même si la formation continue est importante) mais de faire apprendre ; donc on sucre à l'écrit les bons didacticiens qui en général peuvent être meilleurs à l'oral plus didactique ; mais qui n'y accèdent pas du fait de la structure du concours. Et ceux qui l'ont eu ? J'en connais quelques-uns qui ont eu 2/13 en didactique, ou pire, qui ne l'ont pas faite, mais qui l'ont eu parce que ce sont de "bons théoriciens" et ils l'avouent !

    Le concours c'est un moyen pas cher de trier, c'est tout. Vieil héritage de la culture franco-française, encore dans son jus, on n'en sort pas de cette sélection qui finalement est tout sauf objective : les 5 points sur 40 de chacune des épreuves de français et maths, les correcteurs et les commissions peuvent se les arranger comme ils veulent, c'est opaque que ça n'en peut plus. Demander sa copie ? Aucune annotation, on ne sait pas où sont les erreurs, on ne sait pas ce qu'il y a à améliorer ; bel exemple de pédagogie et de didactique en effet, l'hôpital qui se fout de la charité.

    Alors on a de très beaux discours pour le 1e degré et jusqu'au cycle 4 (fin de troisième) avec les compétences attendues de fin de cycle, les parcours, le LSUN, l'évaluation positive ; mais arrivé au lycée et c'est la fin des beaux projets, rebelote les notes, rebelote l'évaluation, et pour quoi ? Pour un baccalauréat qui aujourd'hui n'a plus grande valeur. Le nouveau bac sera bien plus intéressant dans la forme, mais sur le fond on continue à noter, on continue (en général, paix avec les professeurs de secondaire qui appliquent au quotidien la personnalisation des apprentissages et favorisent le bon climat scolaire) à faire cours comme dans les années 1960 ! Et les concours sont sur le même modèle, on en sort pas et c'est le véritable fléau de l'enseignement secondaire et supérieur français !
    Est-ce qu'il y a un concours pour être chef d'entreprise ? - Non. Est-ce qu'il y a un concours pour être député ? - Non. Sénateur ? - Non. C'est la vie et le travail d'équipe qui nous apprend, les échanges, les erreurs, mais également les réussites, alors pourquoi nous, professeurs, payés 1600€ net en début de carrières, les bac + 5 les moins rémunérés de France et de l'UE en proportion devons nous avoir un concours ?

    Je suis complètement pour, au moins, refondre ce concours en une étape clé de la formation de l'enseignant ; voire le supprimer. Réfléchissons à évaluer le mémoire, le portfolio de formation, un projet de l'enseignant, à l'évaluer dans sa pratique, un truc concret quoi, du métier, et pas de la connaissance empirique sur quelques heures de sa vie.
    • thais8026, le 07/06/2018 à 16:17

      Des collègues ont le concours avec 0 en didactique, moi j'en connais qui l'ont eu avec 3/20 en maths et 4 en français. Si, ces collègues l'ont eu ce n'est pas à cause du concours mais parce qu'il n'y a personne qui se présente au concours.
      Quant à a votre exemple sur les députés, ce sont des élus, on pourrait donc penser qu'ils passent une forme de concours.
      Alors oui, on est mal payé mais ce n'était pas le cas il y a 20 ans donc ce n'est pas inéluctable. Mais en plus d'être mal payé, vous voulez nous supprimer le seul avantage que nous apporte le concours : LA SECURITE DE L'EMPLOI.
      Il y a une pénurie de profs et vous vous supprimer le dernier petit avantage que l'on a en nous retirant le statut de fonctionnaire. Qui va se taper un master 2 en science de l'éducation, diplôme non valable en devoir de l'éducation, pour un salaire de misère et au plus un CDI ?
      Encore quelqu'un qui, lui a eu son concours, qui lui a la sécurité de l'emploi, et qui va le refuser aux autres.
      Ce que je ne comprends pas par contre, c'est cette focalisation sur l'admissibilité. L'admissibilité n'a jamais donnée aucun droit statutaire. Les concours se passent en 3 temps : l'admissibilité (qui ne donne que le droit de passer les épreuves d'admission), l'admission (qui donne le droit d'être prof stagiaire) et la titularisation après un an de formation (qui donne tous les droits du statuts). Entre l(admissibilité et l'admission, le candidat ne change pas de statut donc on peut parfaitement allonger le temps entre les deux épreuves sans remettre en compte le statut de fonctionnaire à l'arrivée. On fait une épreuve d'admissibilité disciplinaire pure et un ou deux ans plus tard, une épreuve d'admission pédagogique. Et là, serait le changement, l'admission pourrait avoir valeur de titularisation.
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