Bruno Devauchelle : Quelle certification numérique dans le CV ? 

Il faut absolument le redire, les certifications de compétences numériques de l'éducation nationale ne sont pas entrées dans la culture partagée des acteurs de notre système éducatif, primaire secondaire et supérieur. Ceci doit nous alerter ou bien plus, nous inquiéter... ou simplement nous laisser de marbre. Depuis la création du B2i en novembre 2000, il est étonnant de constater qu'aucune des certifications proposées par l'éducation nationale n'ait réussi à s'imposer, ni dans les pratiques enseignantes, ni dans les attentes des élèves et des étudiants, ni dans l'esprit des parents, et pas même dans l'esprit de la plupart des ministres et encore moins dans celles des entreprises qui pourtant sont, semble-t-il demandeuses. Depuis 2000, les autorités n'ont eu de cesse de rappeler l'importance de la certification de compétences dans ces domaines mais sans jamais se donner les moyens réels de l'imposer, puisque la loi n'a pas suffi pour imposer le B2i en 2005 (pourtant inclus dans le socle). Du coup, c'est sous la forme de "cours d'informatique obligatoires" (après avoir toujours été facultatif, en option) que l'on semble s'acheminer pour tenter d'apporter une compétence aux élèves. Est-ce nécessaire et suffisant ?

 

Le PIX (projet de certification des compétences numériques) en construction depuis trois ans, et évoqué par le ministre lors de la récente inauguration du 'Lab innovation" aura-t-il un meilleur accueil et surtout une meilleure effectivité ? A ce jour, les équipes d'enseignants du primaire et du secondaire sont dans l'ignorance et dans l'attente. Le B2i est toujours en vigueur, même si dans le socle commun il est désormais dilué. L'arrivée du code et de l'informatique dans les programmes d'enseignements disciplinaires est-il un signe d'une réorientation de la vision ? De plus les discours de l'Education aux Médias et à l'Information viennent percuter la question des usages du numérique en les réduisant à un des aspects, certes essentiel, mais pas unique. Quelle reconnaissance est possible pour quelqu'un d'extérieur à l'éducation, l'enseignement fut-il supérieur ?

 

Lors de récents entretiens avec de futurs étudiants destinés à un master, quel n'a pas été la surprise de constater qu'aucun d'entre eux ne cite le C2i ou toute autre certification numérique lorsqu'on l'interrogeait sur ses compétences et la manière de les acquérir. Les élèves et leurs parents sont globalement ignorants de ces dispositifs et de leur rôle aussi bien dans le monde scolaire que pour l'avenir professionnel. Pour ce qui est du monde scolaire, la manière dont le B2i et le C2i ont été malmenés voire transformés, galvaudés ou tout simplement ignorés est assez révélateur. Quand on sait les textes officiels le confirment) qu'aucun enseignant n'a été interdit d'entrer dans le métier parce qu'il n'avait pas le C2i2e (cf. le texte du 23 aout 2013, dernier texte officiel en date à avoir condamné définitivement cette certification), on comprend ce qui en découle. Dans des collèges on a entendu des personnels de direction et des enseignants déclarer "on ne va pas les empêcher d'avoir le brevet des collèges pour un B2I non maîtrisé (et les mêmes propos ont été entendu pour les niveaux de langue étrangère). Pour le dire autrement il y a consensus, ou plutôt unanimité : laissons cela de côté.

 

Alors que dans le même temps les milieux professionnels déplorent l'absence de repères dans la culture des jeunes (et appuient "en même temps" la mise en place du PIX), ils cherchent du personnel qualifié en informatique. Paradoxe d'un univers professionnel qui a besoin de bras et qui laisse de côté les initiatives de l'éducation dans le domaine (qu'en est-il des autres C2i niveau 2 qui ont été développés dans la santé, le droit, les métiers de l'ingénieur...). Ils n'ont pas trouvé mieux que de faire du lobbying, s'appuyant sur certains scientifiques de renom, pour inscrire des cours de code et même désormais la (re) création d'une filière numérique en lycée (alors qu'elle existant en 1985...). Le ministre avait parlé "d'humanités numériques", mais depuis le propos a été transformé (cf. le discours évoqué ci-dessus). Pas plus que les politiques, les industriels ne savent comment prendre le problème. Xavier Niel et son école 42 a fait des émules et de nombreux projets se sont engouffrés dans la brèche d'un enseignement supérieur sans trop de contraintes réglementaires.

 

Que trouve-t-on alors dans un CV ? Une liste de logiciels le plus souvent. Que trouve-t-on dans les entretiens de recrutement ? Des récits d'expérience professionnelle vécue avec plus ou moins de bonheur, mais de certification pas la moindre trace.... C'est alors Google ou Microsoft qui s'emparent de ces certifications (comme toutes les grandes sociétés du domaine) et qui à l'instar de ce qui se fait dans de nombreux milieux professionnels, préfèrent leurs propres reconnaissances à celle des autres et surtout celle proposées par un système scolaire et universitaire (ou grandes écoles). Disons-le de manière provocatrice : si le ministre prône une école de la confiance, encore faudrait-il que dans la société nombre de milieux professionnels aient "confiance en l'école" de la nation. Or c'est loin d'être le cas...

 

Les retards de la mise en place du PIX et de ses ambitions risquent de lui coûter cher. De plus l'absence de vision ministérielle sur le sujet va renforcer les sceptiques. Plus largement, cette critique en amène une autre : quelle confiance la société fait-elle au système éducatif public ? Ne va-t-on pas dans ce domaine comme dans d'autres vers une libérale privatisation de la formation ? Autre critique récurrente : peut-on faire confiance à ceux qui ont résisté pendant vingt années au B2I et plus généralement au numérique en éducation pour reconnaître la nécessité d'une certification ? Oui les compétences font peurs (encore). Oui le numérique fait peur (toujours). Oui l'engagement à certifier est redoutable (garantir la qualité). Alors que le cadre européen des langues (mais surtout les certifications de type TOEIC, TOEFL, etc.…) a bien fait avancer les choses, le DIGCOMP proposé par l'Europe et traduit dans le PIX va-t-il avoir le même effet ? Tout porte à croire que l'on en est loin. Il y a surement encore beaucoup d'efforts à faire... par tous car nous assistons à une évolution culturelle profonde que le monde éducatif ne parvient pas à traduire en actes...

 

Bruno Devauchelle

 

Article de Margarida Romero

Le site du PIX

Le socle va t il se pixelliser ?

Adieu B2i bonjour Pix

 

 

Par fjarraud , le vendredi 15 juin 2018.

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