Bruno Devauchelle : RNRE : Quand les robots vivent à l'école 

Avec la multiplication des objets connectés (montres, enceintes, lampes, voitures, jouets, etc.…) et avec la mise en place d'algorithmes sophistiqués basés sur les travaux dits d'intelligence artificielle, on voit apparaître dans notre environnement quotidien des objets matériels et logiciels avec lesquels nous sommes mis en relation et qui nous semblent réagir comme de véritables humains. Alan Turing n'a qu'à bien se tenir.... quoique. Ce qui impressionne, depuis bientôt quarante années que les ordinateurs et l'informatique sont entrés dans nos quotidiens, c'est que nous sommes face à des dispositifs techniques avec lesquels nous interagissons mais dont, la plupart du temps, nous ignorons le fonctionnement de base. Or ces interactions tendent souvent à donner un sentiment d'humanité aux objets concernés. Il existe aussi d'autres objets connectés qui eux n'interagissent pas directement avec les humains, mais avec d'autres objets qui eux vont parfois se charger d'exploiter les données échangées dans ces connexions et parfois les rendre accessibles à l'humain. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont confrontés à ces objets techniques, parfois sous la forme de jouets, mais aussi sous la forme d'objets utilisés par les adultes et avec lesquels ils vont devoir "composer". Un objet connecté est un objet qui échange des informations avec d'autres, objets ou humains. Il fait partie des "actants" pour reprendre l'expression de la sociologie de la traduction, ou encore sociologie de l'acteur réseau. Pour cette théorie (Latour, Callon, Akrich), cet objet n'est pas neutre, mais participe du contexte, de son évolution et qui influe aussi sur les utilisateurs.

 

Si les robots sont une figure emblématique des objets dits connectés, c'est parce qu’humain, bras, haut du corps, corps entier sont leur (re) présentations les plus courantes. Mais des automates aux automatismes et aux robots, et désormais aux objets connectés, notre environnement est en train de s'enrichir d'objets mais surtout de fonctionnalités de plus en plus riches aux formes multiples et parfois même sans formes directement perceptibles. Les vendeurs utiliseront souvent l'argument de l'intelligence artificielle pour les vendre, même si les logiciels sont conçus selon les formes algorithmiques plus traditionnelles. Mais la tendance est forte, les potentiels permis par l'apprentissage profond basé sur des réseaux de neurones, actuellement, ouvrent des perspectives intéressantes, mais d'autres algorithmes pourraient ouvrir d'autres portes à ces ressemblances avec des comportements humain voire "plus qu'humains".

 

A l'école, les robots les plus diffusés restent en matière d'intelligence artificielle très modestes. Ce sont surtout des "robots à programmer". A la suite des instructions officielles du ministère de l'Education mais aussi des rapports parlementaires parus en ce milieu d'année 2018, on observe une nette tendance à redonner de la place à la programmation. Les robots semblent en être un vecteur, nouveau pour certain, mais pas tant pour d'autres, enseignants professionnels ou de technologie. On se rappelle de "Charly Robot" et surtout des bras robots de toutes sortes. On se rappelle aussi les cours d'automatisme donnés dans les lycées techniques devenus technologiques. Que ce soit avec la vieille tortue Jeulin ou les robots plus récents, l'idée principale reste la même : faire comprendre aux enfants le fait qu'il y a une logique programmatique derrière les "objets" qui les entourent. C'est cette logique programmatique (l'intention embarquée) qui dépasse la seule affordance (capacité d'un objet à suggérer son usage, pour les ergonomes) qui est importante. En faisant découvrir la logique programmatique aux enfants on les fait approfondir un monde d'adulte devant lequel il faut toujours se poser les questions essentielles : que font donc ces machines (et parfois ces jouets) remplies de technologies qui nous permettent une certaine interactivité ? Comment mettre nous aussi notre intention dans la "machine" afin d'obtenir ce que l'on veut d'elle ? Et finalement, derrière ces machines ce sont aussi des humains qui les ont produites, conçues, mais avec quelle intention ?

 

Les robots à l'école vont-ils embarquer de l'intelligence ? A cette question, le rassemblement national de robotique éducative (RNRE ) organisé en octobre 2018 a apporté une première réponse : pas une véritable intelligence (prise au sens de capacité de la machine à apprendre et à se corriger ensuite), mais une intelligence "simulée" comme l'a expliqué Thierry Karsenty dans son exposé.

 

A la question de ce que pourrait être l'intelligence artificielle dans la robotique dans l'enseignement, Vanda Luengo a apporté un regard sur un des aspects qui se développe rapidement en ce moment : l'analyse des données d'apprentissage (Learning Analytics) et ses conséquences. Elle explique clairement les quatre niveaux différents d'utilisation des traces de l'apprentissage (à partir de la 28è minute de la vidéo) : Ce qui se passe et donc la description, ce qui s'est passé donc le diagnostic, ce qui va se passer donc prédictif et enfin comment faire pour que cela arrive ou que la machine puisse le faire, donc l'analyse prescriptive. C'est ce quatrième niveau qui peut être considéré comme celui de l'intelligence artificielle, et c'est celui qui pour l'instant reste très cantonné dans des "niches" comme le montre cette émission diffusée par Arte en septembre et disponible en ligne jusqu'en décembre.

 

Le mythe du robot enseignant, célèbre dans l'imaginaire, est une crainte récurrente depuis de nombreuses années (voir le film "les sous doués passent le bac" - Claude Zidi 1980). L'argument contraire, on ne fera pas disparaître les enseignants est tout aussi récurrent. Et pourtant des évolutions sont perceptibles qui dépassent largement le simple cadre des robots et autres automates. Ainsi on peut lire dans le propos du ministre de l'éducation à Ludovia et mis en ligne sur le site du ministère le passage suivant : "Grâce aux technologies d'intelligence artificielle, les propositions faites aux élèves seront de plus en plus personnalisées et précises. Cet outil pourra être utilisé en autonomie par les élèves, quels que soient l'équipement ou le lieu d'utilisation, mais également sur proposition des professeurs, en complément des travaux demandés aux élèves. Il pourra permettre un suivi régulier des apprentissages par les professeurs.". On pourra aussi trouver dans ce propos d'autres exemples d'allusions à cette question de l'évolution du métier d'enseignant du fait des technologies numériques.

 

Si les robots actuels proposés pour l'éducation générale sont surtout des instruments au services de la programmation, ils peuvent aussi s'intégrer dans les pratiques pédagogiques, à conditions qu'elles soient elles-mêmes finalisées : travail collaboratif, résolution de problèmes etc. Mais la robotique, les automatismes, les objets connectés (dont les smartphones ne sont qu'un des exemples), en intégrant de plus en plus des spécificités de l'IA vont progressivement questionner les enseignements, non pas parce que de nouveaux outils vont se substituer mais parce que ces outils apportent des aides réelles : aide à la traduction, aide à l'orthographe, aide à la compréhension visuelle, aide à l'analyse de données historiques, géographiques, scientifiques etc. Si ces évolutions s'intègrent assez rapidement dans les enseignements professionnels et technologiques, elles semblent encore éloignées de la simple prise de conscience des professionnels de l'éducation.

 

Une remarque semble devoir être faite à l'issue de ces propos : attention au travers qui consisterait à "faire croire" aux enfants à une intelligence là où il n'y en a pas. On entrerait alors dans la mythification du progrès technique et on obtiendrait l'inverse d'un sens critique, une soumission. A l'instar des travaux d'Hartmut Rosa, il nous faut travailler sur le sens du développement et le nécessaire travail de "reprise en main". Il ne suffit pas d'argumenter sur le besoin de bras pour l'informatique pour imposer le code et l'enseignement du numérique à l'école comme certains professionnels du secteur sont prompts à le faire. De la même façon l'informatique en soi n'est rien sans son insertion dans une société humaine et son implication dans ses transformations. Vouloir comprendre c'est surement nécessaire, mais à condition de prendre en compte les contextes. Avec l'approche sur les robots, on peut le constater, il ne suffit pas de coder... il faut aller plus loin...

 

Bruno Devauchelle

 

Toutes les chroniques de B Devauchelle

 

Ciel des robots dans le cours de français

Des robots au service des SVT

Maternelle : un robot danseur

 

 

Par fjarraud , le vendredi 19 octobre 2018.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces