Bruno Devauchelle : Question écologique et développement du numérique 

Obsolescence programmée, utilisation de matériau et matières premières rares, recyclage etc.… est-ce l'annonce de la fin d'une ère de développement continu et extrêmement rapide de l'informatique et en particulier des matériels de toutes sorte ? Certains travaux et enquêtes nous alertent depuis longtemps sur la question du recyclage des ordinateurs et autres appareils informatiques de toutes tailles qui terminent dans des décharges à l'autre bout du monde. D'autres travaux nous montrent que ce sont aussi les matières premières utilisées pour ces matériels sont de plus en plus rares et qu'elles s'appuient aussi sur des exploitations démesurées des populations et des ressources. Enfin d'autres travaux nous parlent de la consommation importante d'électricité que toutes ces machines et leurs utilisations entrainent.

 

L'individualiste qui sommeille en chacun de nous pense souvent : j'utilise tout le temps un appareil numérique, ça ne consomme pas grand-chose... mais les grands serveurs de données (les fameuses fermes) elles polluent vraiment; ou encore je change souvent de téléphone portable, je tiens à être à la mode... et performant... en évitant d'être "ringard"... et en même temps je suis étonné que les pouvoirs publics ne limitent pas les opérateurs qui cherchent à nous faire renouveler notre matériel tous les deux ans...  Car l'individualisme qui sommeille en nous s'oppose à notre bonne conscience sociale et sociétale qui nous dit qu'il faut une régulation collective....

 

Le monde scolaire n'échappe pas à ce problème de l'obsolescence. En quarante années de développement de l'informatique scolaire, les taux de renouvellement ont été assez proches de ceux des particuliers. Pour l'établissement à qui on a généreusement donné de vieilles machines venues d'entreprises qui les recyclent ou d'établissements professionnels qui s'en séparent, l'observation est vite faite : lenteur, incompatibilité logicielle, absence de maintenance possible etc. Ceux qui ont recyclé du matériel ont bien essayé de trouver des palliatifs mais ils se sont rapidement rendu compte des insuffisances de ces solutions en regard des attentes d'uns et des autres. Dans ce petit collège en milieu rural, les élèves de classe de cinquième déploraient la faible qualité des tablettes qu'on leur imposait car chez eux ils avaient bien mieux...

 

La prise de conscience individuelle des problèmes écologiques est très relative : d'une part on ne perçoit pas directement les effets, d'autre part les commerçants et concepteurs de ces machines fonctionnent selon un modèle court-termiste. Ce modèle que beaucoup s'entre nous ont implicitement adopté fait que nous ne percevons pas les méfaits lointains car nous envisageons les bienfaits immédiats de nos choix. L'individualisme et le libéralisme vont bien ensemble dans ce domaine. De plus l'idéologie du progrès et du développement continu nous invite à ce renouvellement permanent ainsi que la pression idéologique de l'innovation et de l'invention permanente. Cette vision d'un progrès permanent est désormais remise en question par plusieurs chercheurs (Yves Citton, Hartmut Rosa, etc.…) comme elle le fut par René Dumont au milieu des années 1970 ainsi que Jacques Ellul à la même époque.

 

La pression du numérique dans la société a plusieurs conséquences sur l'école. La première est l'insistance sur la formation à l'informatique à tout prix au nom d'une concurrence internationale, entre autres, qui se cache aussi derrière l'importance de comprendre ce que c'est. Une forme d'inéluctabilité de la généralisation de l'informatique et du numérique nous fait perdre toute distance critique par rapport à ces développements. Il y a aussi les facilitations du quotidien qu'apportent nombre de moyens et services numériques dont l'illustration la première est le smartphone. La deuxième est le sentiment d'urgence face à un envahissement des pratiques quotidiennes des jeunes et de la société. La réponse principalement évoquée est celle de l'éducation aux médias et à l'information (rapport Studer et Morin Desailly). Mais l'oubli le plus important c'est cet entre-deux qu'avait si bien montré le B2i dans son temps : ni informatique, ni éducations aux médias, simplement pratiques ordinaires et quotidiennes incluant bien sûr la dimension sociétale, éthique au côté de la dimension sécuritaire (apparue plus récemment).

 

Les finalités de l'école ne sont pas des finalités adaptatives mais des finalités prospectives. Pour le dire autrement l'école prépare les jeunes d'aujourd'hui à construire la société de demain. Il est donc important que les jeunes aient les moyens d'en mesurer les questionnements principaux. La course aux technologies les plus récentes, aux derniers logiciels et autres trouvailles technologiques a été l'apanage de gens qui sont aujourd'hui à la retraite ou proches. Enfants de la reconstruction d'après-guerre, leurs parents leur ont construit avec courage un monde qui devrait tout le temps se développer et améliorer le confort de vie. Mais à quel prix ? L'arrivée de l'informatique ne se fait réellement sentir qu'au milieu des années 1980 quand s'opposent, par exemple, ceux qui prétendent qu'elle supprime des emplois à ceux qui déclarent l'inverse. Auparavant pourtant un clignotant est celui des énergies fossiles lors des deux premiers chocs pétroliers. Mais l'informatique a balayé toute crainte à son égard, comme le tout automobile en son temps.

 

Notre devoir d'éducateur est bien de resituer l'informatique et le numérique dans son contexte plus global avec aussi bien ses bienfaits que ses méfaits. Il est donc de tenter de "ralentir" cette frénésie. Rappelons pour illustrer cela la taille des unités de stockage dont nous pouvons disposer : la disquette de 180 Ko laisse la place à des disques durs de 2 téraoctets, au même prix... dans le même temps la taille des programmes n'a cessé d'augmenter, demandant non seulement du stockage mais aussi de la puissance. Or la science une fois appliquée par des technologies adaptées à répondu, voir à tirer cette évolution, sans pour autant que nous nous questionnions sur ce qui se passe derrière.

 

Il est temps de se dire que si derrière les écrans il y a des machines, des données, des algorithmes, derrière elles il y a aussi des matières premières, des humains, et encore derrière des économies, des marchés. Il semble indispensable aujourd'hui d'alerter en premier lieu nos enfants de ce modèle de développement. Dans le même temps, il est nécessaire d'alerter nos décideurs principalement politiques sur les idéologies sous-jacentes qui accompagnent ces développements, mais surtout les dangers à moyen terme de ne pas ralentir cette évolution. Ralentir cette évolution c'est aussi améliorer la qualité de la programmation, c'est empêcher, voire condamner, l'obsolescence programmée, c'est tenter de diminuer la consommation de ressources fondamentales pour l'avenir de l'humain, c'est comprendre le monde comme un tout en système en évidant les points aveugles de l'avenir, comme l'est actuellement le développement du numérique....

 

Bruno Devauchelle

 

Toutes les chroniques de B Devauchelle

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 30 novembre 2018.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces