Bruno Devauchelle : Un capes d'informatique, est-ce vraiment utile ? 

Si l'on considère la réforme du lycée et l'introduction d'enseignements spécifiquement dédiés à la science informatique (ou aux sciences du numérique ?), on peut comprendre que le ministère de l'éducation fasse l'annonce de la création d'un capes et d'une agrégation dans le domaine. Si l'on considère l'histoire de l'enseignement technique (et/ou technologique) au lycée au cours des quarante dernières années on se demande pourquoi, alors que des enseignements d'informatique de gestion, d'informatique industrielle etc. existent depuis le début des années 1980, pourquoi faudrait-il rajouter un nouveau capes alors qu'il aurait suffi d'élargir les compétences et les recrutements de ces enseignements et des personnels associés ? Mais il semble bien qu'un autre courant de pensée, appuyé sur certains enseignants du supérieur et certains instituts de recherche dans le domaine, appuyés aussi par des industriels du secteur, ait réussi à faire passer cette idée que c'est à partir de l'enseignement général qu'il faut introduire l'informatique.  On créé ainsi un précédent redoutable.

 

Le code à tout prix ?

 

 En fait il semble bien qu'il y ait une ignorance, peut-être même un mépris, en tout cas une mise à l'écart de l'existant technologique au profit de cette nouvelle vision basée sur ce que l'on pourrait dénommer "le code à tout prix". Et pourtant un professionnel s'érige contre cette approche dans la revue en ligne Slate. De plus, et cet article le confirme, la curiosité semble une bien meilleure compétence que le codage pour aborder ces questions. Mais pour ses promoteurs, le codage c'est le langage. Et comme pour le ministre l'apprentissage fondamentale du langage est prioritaire, il y inclue le code informatique.

 

En effet à quoi sert l'école ? On n'enseigne pas, hormis en lycée professionnel, des questions de vie pratique et quotidienne qui pourtant pourraient sembler bien pratiques (gestion, droit etc.). Faut-il alors introduire l'enseignement de l'informatique, du code, du numérique, des usages du numérique ????

 

La vision utilitariste n'est pas pertinente et cela depuis deux siècles : le savoir n'est pas directement utilisable dans l'action, il est surtout fait pour comprendre avant d'agir. Il y a une autre vision, elle aussi forte dans l'école, qui est celle du regard critique. Alors on peut comprendre qu'il faille permettre à des jeunes de connaître ce qui se cache derrière les machines informatiques. On le constate, il faut sortir des questions d'utilité technique pour aller vers des questions de sens. C'est d'ailleurs l'hésitation constante des programmes que l'on propose dans les lycées à ce sujet. Les projets de programmes apportent tous une touche d'analyse critique, mais bien modeste en regard d'une part des apprentissages techniques mais surtout en regard du lien avec les autres disciplines concernées par l'informatique au lycée (et plusieurs le sont directement).

 

Quels nouveaux enseignements ajouter ?

 

Mais revenons à la création d'une nouvelle filière d'enseignement : si cela doit ajouter une matière de plus à l'enseignement général, alors il faut aussi introduire l'information communication (langage de base de l'EMI, discipline chère à nos élus et dans leurs rapports), mais il faut aussi introduire le droit car c'est le langage de la structuration de nos sociétés, ou encore la gestion à laquelle chacun sera confronté un jour ou l'autre dans son travail, sans parler des autres compétences humaines que l'on sait indispensables au développement humain comme le proposent les promoteurs des "compétences du XXIè siècle (comme le montrent Sandra Enlart et Olivier Charbonnier dans leurs ouvrages). De plus on peut se demander si cette multiplication de nouvelles disciplines dans l'enseignement scolaire est vraiment nécessaire au vu de l'histoire des technologies et de leurs évolutions mais surtout au vu des problèmes auxquels nos élèves seront confrontés.

 

Une informatique à deux vitesses ?

 

Enfin il y a le coût de tels dispositifs en regard des économies à réaliser d'une part et d'autre part en regard des filières existantes. Notre ministre ignore manifestement qu'il y a de l'existant et que son déploiement couterait surement moins cher qu'une nouvelle filière de formation qui ne satisferait personne et ne serait probablement pas réellement durable (cf. la fameuse section H d'antan). De plus créer des concours coûte cher en organisation, créer un corps nouveau coûte cher de manière induite (IA-IPR, IGEN etc.…). A ne pas vouloir rapprocher le corps des enseignants du technologique en créant un corps d'enseignants techniques dans l'enseignement général du lycée, on risque de créer un précédent redoutable.

 

Mais surtout, une nouvelle fois on démontre que les "élites" continuent d'ignorer l'enseignement technique et technologique et leurs enseignants (dont une bonne partie a fait des études d'ingénieur). C'est à deux vitesses que l'on entrera dans l'informatique ? Enfin il y a l'enseignement de l'Ecole 42 et de ses descendantes. Xavier Niel nous a expliqué qu'il ne fallait pas aller chercher dans les meilleures têtes de la scolarité traditionnelle pour avoir de bons informaticiens. Il le disait à l'instar du mythe des créateurs de startup dans leur garage, mais aussi en constatant la faible créativité et curiosité de cerveaux formatés. En créant un Capes et une agrégation, on risque de provoquer la même chose, des esprits formatés et surtout adaptés à des milieux professionnels qui devraient plus largement s'interroger sur ce qu'ils font de leurs employés et de leur trajectoire professionnelle.

 

Enseigner l'informatique à tous n'est pas inutile, mais pas à n'importe quelle condition et surtout pas en faisant fi de l'existant.

 

Bruno Devauchelle

 

Sur les enseignements déjà existants

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 08 janvier 2019.

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