Bruno Devauchelle : 2019 l'année AVEC ? 

L'usage des appareils personnels mobiles (smartphones, tablettes et autre ordinateurs portables) en milieu scolaire va être en 2019 à la source d'une polémique ou d'un paradoxe : après une loi les interdisant, va être lancé par le ministère un appel à projet BYOD, AVEC (Bring Your Own Device, Apportez Votre Equipement personnel de Communication). La distance qui sépare les deux éléments, qui vont de l'interdiction à un appel à une dynamique de projet, interroge tout observateur qui voit depuis près de cinq années se profiler cette évolution dans l'utilisation dans les classes.

 

La smartphone remplace l'ordinateur ?

 

 Si l'on considère les statistiques sur la possession et l'utilisation des smartphone en particulier chez les jeunes, (CREDOC 2018), on constate qu'ils ont désormais une place prédominante dans l'accès à l'information et la communication en ligne devant même l'ordinateur personnel. Certains peuvent croire que le smartphone remplace l'ordinateur. Cette évolution s'est confirmée allant jusqu'à inciter certains décideurs à y voir un moyen de dépenser moins dans l'équipement des élèves en transférant cette charge d'acquisition d'un matériel connecté aux familles. En effet les enquêtes montrent régulièrement que les équipements personnels sont présents dans la très large majorité des foyers et que ces équipements sont souvent aussi performants, voire davantage que ceux que fournit le monde scolaire. Par le fait les élèves voient dans ces équipements un matériel "scolaire", d'autant plus que le potentiel d'usage des matériels fournis dans le cadre scolaire est limité par un ensemble de règles, de chartes et de lois (mais aussi de procédures de contrôle et de limitations) propres au monde scolaire mais qui sont parfois en opposition aux pratiques personnelles hors école.

 

Pour celui ou celle qui veut déployer des appareils mobiles personnels dans l'établissement, il faut aborder le problème dans toute sa complexité et en respect de la loi. Si chacun ou chacune peut amener son équipement individuel mobile (EIM) à l'école, on peut aisément comprendre qu'une hétérogénéité assez grande posera de nombreux problèmes de fonctionnement quotidien. Ignorer ces questions et déclarer que le BYOD serait une solution économique pourrait-être un leurre en regard des questions que pose la gestion de tels parcs de machine. Parmi celles que l'on identifie voici quelques-unes des plus représentatives du quotidien en contexte scolaire.

 

Quels services ?

 

L'accès au réseau Internet se fait actuellement soit par la liaison en 4G soit en wifi. Parfois pour les ordinateurs cela se fait par le filaire (prise RJ45 de type Ethernet, si le lieu est suffisamment équipé). Si l'on veut permettre un certain nombre d'utilisations il faudra permettre aux machines de "communiquer" avec leur environnement proche (établissement), lointain (accès Web et autres services Internet). Donc en autorisant ces accès, il faut prévoir les infrastructures adaptées aux usages (nombre d'accès simultanés possibles, débit.). Les opérateurs de télécommunication ont compris ce problème depuis longtemps pour les espaces publics, mais dans certains établissements le fonctionnement est bien différent. On signale très souvent la saturation du wifi (et parfois aussi de la 4G) et de l'accès web en particulier aux "heures de pointe" c'est à dire au moment où des activités consommatrice de bande passante sont mises en place (comme la consultation massive de vidéo). Faut-il faire venir la fibre dans l'établissement et avec quelle configuration ? Faut-il laisser les relais téléphoniques/données 4G prendre la place ? Au-delà du seul "ça marche" leitmotiv de l'installateur, il y a l'utilisation réelle en pleine charge... l'infrastructure peut-elle tout supporter et à quel coût ?

 

Une fois l'accès résolu se pose la question de l'accès à quels services ? Dans un établissement scolaire en particulier lorsqu'il accueille des mineurs la réglementation impose des surveillances, des contrôles, des limitations : c'est la circulaire dite Darcos qui est un cadre certes ancien mais toujours en vigueur et surtout complétée par les règles de la CNIL et du récent RGPD. Dès lors qu'un élève accède à Internet dans l'établissement scolaire (espace physique) comment lui imposer un accès et contrôler celui-ci ? Si l'élève à accès directement à la 4g par son abonnement personnel, rien ne l'empêchera, sauf absence de relais, d'accéder à tous les services offerts au grand public. Si l'établissement propose des services spécifiques au travers d'un portail et d'un ENT, comment pourra-t-il contrôler les accès et les utilisations ? Faudra-t-il alors forcer les élèves à arrêter leur 4g pour passer sur le wifi ?

 

Quel controle ?

 

Si les ENT et autres services de l'éducation nationale sont accessible à partir de n'importe quel EIM, comment cela se passera-t-il ? D'un côté il y aura les accès dans l'établissement, mais désormais il y a les accès en dehors de l'établissement, à domicile par exemple. On peut imaginer que tout passe par un portail web sécurisé et qu'une fois authentifié l'élève ait accès à ces services. Mais alors, faut-il des applications spécifiques pour les différents terminaux (smartphone, tablette, ordinateur) et les différents systèmes d'exploitation (Android, Ios, Windows, Mac os, Linux...) ? On a pu observer combien les applications des smartphones et des tablettes simplifiaient la vie des utilisateurs tout en leur limitant les possibilités. En même temps on voit apparaître et se développer de plus en plus d'applications en ligne accessibles au travers d'un simple navigateur (les Chromebook étant une illustration de la mise en œuvre) et donc utilisable avec tous les terminaux (responsive, c'est à dire adaptable). Mais alors quid des données ? Où sont-elles stockées ? Peut-on les retravailler en dehors d'une connexion à Internet, en local ?

 

Certains informaticiens et enseignants rêvent d'outils de pilotage d'un groupe d'appareils dans la classe et de gérance des logiciels à distance. Ces logiciels de supervision de flotte d'ordinateur (gestion des appareils mobiles - MDM - et celle des applications mobiles - MAM) ou de supervision d'usage dans la classe imposent des contraintes techniques (et souvent une unicité matérielle et logicielle) d'autant plus complexes que les types d'appareils se multiplient dans le même espace. Le problème du couteau suisse est là : a-t-on accès à un outil de supervision qui soit capable d'englober toutes sortes de matériels, de systèmes d'exploitation, d'applications, de logiciels, de données.... On se demande comment pourra se faire la gestion de parc. Et ce d'autant plus qu'un smartphone est aussi un espace de vie privée pour lequel des règles complémentaires s'appliquent.

 

Quelle équité ?

 

Bien sûr il ne faut pas oublier la question de la maintenance mais aussi celle des assurances. Qui paye les réparations, les vols, et assure le bon fonctionnement au quotidien ? La maintenance a été longtemps mise de côté allant parfois jusqu'à considérer que c'est normal que cela puisse ne pas marcher. Les collectivités territoriales ont été invitées par le Ministre de 2013 à prendre en charge ces aspects, mais pour les équipements qu'il finance, pas pour ceux des familles... On invite toujours, actuellement, les enseignants à prévoir un "plan B" au cas où ça ne marche pas... Les familles à qui l'on imposerait l'achat et la fourniture d'un appareil de type EIM voudront peut-être demander à la puissance publique d'assurer le bon fonctionnement de celui-ci, puisqu'on en impose la possession et l'utilisation. La maintenance c'est aussi le fonctionnement ordinaire, comme ces versions modifiées de logiciels selon le support utilisé et la taille de l'écran, la présence ou non de souris, d'écran tactile ou de stylet... La maintenance ce n'est pas la réparation, ou au moins pas seulement, c'est surtout l'assurance que "ça fonctionne" dans tous les cas et en temps réel (immédiatement). A multiplier les types d'appareils on multiplie les problèmes.

 

Enfin il y a la question de l'égalité, de l'équité. En fait c'est la question de la finalité de l'école et donc des moyens dont elle se dote pour y parvenir. Si l'école veut donner à chacun sa chance, elle doit garantir les moyens pour y parvenir. En matière de numérique les choses sont plus complexes qu'il n'y paraît. Dans un projet complexe, le problème c'est d'identifier le maillon faible. Cela veut dire, assurer que ce que l'on veut faire pourra se faire même avec des moyens modestes. Ainsi en est-il des différents smartphones aux fonctionnalités proches mais aux fonctionnements bien différents. S'ajoute aussi la rapidité de la machine, le stockage des données etc. Une jeune étudiante de première année d'université avait reçu en cadeau de rentrée un ordinateur muni d'une mémoire SSD insuffisante pour installer autre chose qu'une suite bureautique. Lorsqu'on lui a demandé d'utiliser d'autres logiciels pour ses études, il lui a fallu changer d'ordinateur... Il est probable que ce genre de situation est beaucoup plus répandue qu'on ne le croit. En matière d'équipement familial il ne faut pas confondre possession et utilisation d'une part et possession et possibilité d'utilisation. Les machines ne sont pas toutes les mêmes et les choix d'acquisition articulent le coût et les moyens personnels de financement. Dans un contexte scolaire comment être en même temps égalitaire et équitable dans le domaine du numérique ?

 

Le BYOD une solution économique ?

 

Des textes de préconisation et de cadrage existent comme le Carmo V3  ou encore le guide BYOD du ministère. Mais cela ne suffit pas. Certaines sociétés tentent de proposer des solutions intégrées, mais alors elles limitent les possibilités en regard des besoins personnels et professionnels dans le cadre des études. De plus le problème des EIM se pose différemment selon les niveaux d'enseignement. C'est à partir du collège que la question se pose et cela malgré les textes limitant les usages.

 

L'appel à projet qui devrait être lancé prochainement par le ministère sur le BYOD devrait relancer les polémiques et révéler les problèmes. Les lieux dans lesquels ont été tenté des choses (Landes, Bouches du Rhône, Rennes, Angers etc.) dans le domaine des EIM pourraient être à la base de ces réflexions. Mais l'impression de nouveauté et d'économie qui prévaut laisse monter l'idée que le BYOD c'est la solution, alors que c'est d'abord le problème.

 

Et surtout évitons à nouveau de croire que l'innovation pédagogique sera à nouveau au rendez-vous... Ce seront à nouveau les mêmes, enthousiastes, qui porteront ces projets. Mais leur entrain cachera nombre de problèmes qu'ils gèrent par leur expérience et leur envie de réussir. Quand il faudra passer à la totalité des enseignants, on s'apercevra des limites du passage à l'échelle. Collèges connectés, collèges préfigurateurs avaient bien mis en évidence les limites, de même que les expériences menées dans différents lieux (comme cités plus haut).

 

Force est de reconnaître qu'au-delà du constat de l'utilisation pertinente des EIM individuels des élèves dans certaines classes, le passage à l'échelle de la totalité des élèves pose des problèmes que la loi elle-même risque de freiner, rien que pour le respect des personnes et des données.

 

Bruno Devauchelle

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 11 janvier 2019.

Commentaires

  • MARTIN_73277, le 14/01/2019 à 14:52
    Merci pour ce bel article, Monsieur Devauchelle,

    il pause pratiquement toutes les questions que l'on doit se poser sur le sujet, et je retiens votre conclusion:

    "Et surtout évitons à nouveau de croire que l'innovation pédagogique sera à nouveau au rendez-vous... Ce seront à nouveau les mêmes, enthousiastes, qui porteront ces projets. Mais leur entrain cachera nombre de problèmes qu'ils gèrent par leur expérience et leur envie de réussir. "

    Par ailleurs, je ne suis pas convaincu que l'usage des SMARTPHONE soit recommandé pour tous les publics, et surtout pas pour les petits, et cela est une autre histoire. 

    L'imprimerie à l'école, c'était un bon usage pédagogique d'une technologie.

    Former tous les enseignants à la conception et l'animation de cours utilisant les technologies digitales dépasse largement les moyens mis à disposition... (20 heures / an à ma connaissance). Et au-delà des résistances humaines, les problèmes techniques / éthiques / juridiques nombreux à surmonter pour une mise en oeuvre efficace, que vous signalez fort justement me semble très nombreux. 

    La seule solution que je vois, c'est de SORTIR l'EDUCATiON de l'école (des murs) de l'école et appliquer le droit qui s'applique à l'ensemble des "consommateurs / usagers" - mais je ne suis pas juriste, seulement utopiste.
    Christian M



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