Bruno Devauchelle : Le risque des tablettes à l'école, au collège et au lycée 

Quels peuvent être les intérêts du déploiement de tablettes numériques dans le monde scolaire à la place des ordinateurs portables ou fixes ? Si certains répondront d'évidence, d'autres le feront de défiance. Quelques soient les réponses, il nous faut tenter d'analyser ce qui se passe réellement dans les établissements scolaires, mais aussi à la maison et plus encore tenter de comprendre, de manière comparative, ce qui distingue la tablette (ou le smartphone) de l'ordinateur classique, portable en particulier.

 

Les tablettes aux oubliettes de la rue de Grenelle

 

Au vu du nombre de tablettes distribuées dans les écoles par des collectivités territoriales ou achetées à la maison, on peut penser que certains ont de bonnes raisons de le faire. Lorsque, en 2015, la présidence de la république a présenté le plan numérique pour l'école, elle a d'abord évoqué le choix des tablettes, avant de l'élargir aussi aux ordinateurs portables. Etonnamment, les pages web du plan numérique 2015 sont désormais modifiées sur le site du ministère de l'éducation et remplacées par le projet du nouveau ministre. Le plan est passé aux oubliettes. Les liens sur l'ancien projet pointent désormais sur le nouveau texte... les pages anciennes devenant "grises" c'est à dire difficilement accessibles à tout un chacun.

 

Ainsi les tablettes seraient politiquement passées de mode (et limitées par la loi). Et pourtant leur nombre reste important et il est nécessaire de réfléchir à leur usage. On ne peut que constater qu'encore une fois, on a déployé du matériel (cf. les TBI) sur un argumentaire pédagogique qui n'avait a priori aucun autre fondement que le désir de ses concepteurs. Les équipes, parfois fascinées par ces objets, se sont rapidement posé la question de leur pertinence en classe.

 

Facilité d'usage ?

 

Evoquons en premier lieu l'ergonomie et la facilité d'usage. L'enseignant qui souhaite faire utiliser les moyens numériques par ses élèves dans sa classe a été très souvent et depuis le début des années 1980 confrontés à la lenteur de mise en route de l'ordinateur. Attendre 5 à 8 minutes en début de séance que les ordinateurs soient opérationnels et ensuite d'autres minutes pour que les élèves se connectent au réseau et s'authentifient et qu'enfin le logiciel souhaité soit mis en activité, le tout dans une séance de 55 minutes dans le meilleur des cas, cela n'encourage pas à l'utilisation. Si en plus on ajoute qu'il a fallu réserver la valise mobile ou la salle informatique plusieurs jours, semaines, mois parfois, à l'avance, on comprend que certains puissent restreindre leur envie d'utiliser l'informatique dans le cadre de leur enseignement, si celui-ci ne l'exige pas (dans l'enseignement tertiaire, on s'est adapté...). Ajouté à l'équipement des salles de cours en vidéoprojecteurs et ordinateurs connectés, cela renforce l'envie de faire un enseignement plutôt magistro-centré....

 

Si vous remplacez l'ordinateur par la tablette, alors plusieurs de ces difficultés diminuent ou disparaissent. C'est la force de ces interfaces graphiques et tactiles de s'appuyer sur des systèmes qui, de manière non visible pour l'utilisateur, simplifient, encadrent, limitent certaines fonctionnalités pour favoriser une utilisation immédiate, intuitive et aisée. Démarrage quasi immédiat, applications directement disponibles par un simple clic sur une icône, interface tactile facilitée etc. De quoi séduire la plupart des utilisateurs qui sont dans un contexte de travail qui ne nécessite pas d'autres fonctionnalités que celles prévues par les concepteurs. Une tablette comme un smartphone sont aussi un ordinateur, présentant des caractéristiques d'utilisabilité, mais qui induisent aussi certaines contraintes liées aux choix des concepteurs des programmes, mais aussi à l'absence de clavier, de souris ou de pointeur précis... L'adéquation entre le projet d'usage et les services offerts, même s'ils sont limités ou encadrés, suffisent à satisfaire l'utilisateur et en particulier celui qui est peu au fait des technologies. Toutefois un utilisateur avancé en informatique parviendra à trouver de quoi faire même avec une tablette et un smartphone, mais ensuite le confort de travail, en particulier pour développer, produire, consulter, lire, fait que l'on en vient rapidement à l'ordinateur plus classique avec des écrans de grande taille, un clavier et des pointeurs adaptés (souris ou autre), associant mobilité de l'ordinateur portable et lisibilité du double grand écran.

 

Une question de contrôle ?

 

Dans la salle de classe, les deux objets sont en tension et on trouve des zélateurs et des détracteurs dans les deux camps. On peut rêver de commande vocale ou gestuelle pour remplacer le clavier la souris et l'écran tactile, mais pour l'instant en milieu scolaire, quelques contraintes imposent des choix. En particulier, le travail scolaire s'appuie sur la production le plus souvent écrite des élèves. Cette orientation du travail scolaire s'enrichit régulièrement mais selon les niveaux et les activités, la tablette (voire le smartphone) peut s'avérer plus adapté (ou moins) que l'ordinateur portable et plus encore fixe. Rappelons-nous l'histoire assez récente de la baladodiffusion qui gagna ses lettres de noblesse au début des années 2000. Avec le baladeur, l'enseignant peut diffuser des documents audios, faire enregistrer les élèves et ensuite récupérer les productions orales. Aujourd'hui le baladeur disparait, remplacé par la tablette ou le smartphone qui ajoutent l'image au son selon le projet d'utilisation pédagogique retenu. Est-ce aussi facile d'usage qu'un ordinateur portable ? Effectivement pour ces activités d'enregistrement, audio et vidéo, de restitution/visualisation, le smartphone, encore davantage que la tablette est souple d'usage. La tablette elle peut faire l'objet de moyens de contrôles dans la classe (MDM, MAM), le smartphone c'est beaucoup plus compliqué comme nous l'avons expliqué dans une récente chronique. Quant à l'ordinateur, les dispositifs de contrôles existent depuis longtemps. Les enseignants souhaitent pouvoir garder le contrôle de l'activité des élèves dans leur classe et cela passe aussi par l'idée d'un contrôle technique de leur utilisation des moyens numériques. Ce que l'on entend de la part de certains enseignants c'est que des jeunes vont facilement "errer" sur le web pendant le cours, et que la tablette serait un émulateur de ces pratiques

 

Commode ou critique ?

 

Mais le problème est d'abord culturel : passer d'une pratique personnelle à une pratique en milieu professionnel (l'école pour les jeunes). Les jeunes construisent d'abord leurs habiletés d'usage sur les contextes de mise en œuvre qu'ils vivent au quotidien dans leurs loisirs. Dès lors que le monde scolaire met en place d'autres contextes, nombre d'entre eux se sentent perdus. Ils désignent alors bien souvent ces machines comme étant "scolaires". Ce qui pose le plus problème par rapport aux enjeux éducatifs autour du développement du numérique c'est la capacité de chacun à comprendre ce que l'on fait, que l'on peut faire, ce que l'on a le droit de faire. Or le plus souvent on accepte de le faire sans chercher à comprendre : la commodité du résultat obtenu domine la nécessité d'une approche critique. C'est si facile de twitter ou de déposer une image en ligne que l'on ne se pose pas la question de ce qui se passe derrière mon action. Le développement des interfaces des tablettes et smartphone a révolutionné l'approche utilisateur par rapport à celles des ordinateurs. Même si Apple a toujours basé son développement là-dessus, on peut faire la comparaison entre l'utilisation d'un MacBook par exemple avec celle d'un iPad... On s'aperçoit que l'ordinateur classique ouvre une porte sur son fonctionnement alors que la tablette ou le smartphone ne le permet que difficilement.

 

La conception et l'usage...

 

Alors que choisir ? Si l'on recherche uniquement la performance d'usage simple on choisira la tablette d'abord, si l'on cherche la compréhension de fond alors on ira davantage vers l'ordinateur. C'est ce qui fait que dans les classes primaires, la tablette est prisée car elle évite de nombreuses difficultés de gestion de classe, surtout lorsque chaque élève a accès à la tablette chaque fois qu'il en a besoin pour une activité. Dans le secondaire, on invitera davantage à utiliser l'ordinateur qui, outre qu'il permet de décortiquer ce qui se passe, offre des possibilités beaucoup plus ouvertes à l'usager. On rétorquera que les matériels hybrides peuvent être une solution habile.

 

C'est là qu'il faut s'en remettre non aux machines mais aux systèmes d’exploitation et à leurs fonctionnalités. Les informaticiens ont su développer des logiciels qui ont rendu invisible les traitements qu'ils ont automatisés. Une chercheuse de l'INRIA disait récemment qu'apprendre le traitement de texte ou le tableur ce n'est pas apprendre l'informatique. Opposant ainsi usage à compréhension, dans un premier temps, on peut comprendre cet argument. Mais si l'on se tourne du côté des usagers, alors on s'aperçoit que la rencontre avec la machine c'est d'abord des usages programmés dont on ne peut percevoir qu'ils sont issus d'une programmation, intention. Devant l'automate bancaire, je suis content de trouver l'argent liquide que je souhaite obtenir, je ne me questionne pas sur le travail effectué par les logiciels qui me permettent d'avoir ces billets en toute sécurité...

 

La continuité entre l'usage et sa programmation informatique est essentielle. Le risque qu'il y a à séparer les deux en en faisant deux objets de savoirs distincts serait prendre le risque d'une incompréhension.  Il suffit d'analyser l'usage des réseaux sociaux numériques ou encore celui jeux vidéo en ligne, pour comprendre que l'absence de compréhension de la continuité risque d'amener à la dépendance, à la soumission... une soumission à celui ou celle qui a programmé la machine : c'est cela que cherchent les concepteurs de ces machines et de leurs logiciels. La mission de l'école est bien de faire le lien et non pas de séparer : il ne faudrait pas qu'un enseignement de l'informatique sépare la conception de l'usage... La tablette d'un côté l'ordinateur de l'autre, pensons d'abord les finalités éducatives...

 

Bruno Devauchelle

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 25 janvier 2019.

Commentaires

  • bdevauchelle, le 25/01/2019 à 10:13
    Un lecteur attentif m'a signalé son expérience réussie avec des Chromebook au Lycée.
    De fait je n'ai pas évoqué ces appareils qui sont plutôt du coté des tablettes pour le système et les logiciels et plutôt côté ordinateur par leur forme et certains de leurs fonctionnements. Reste à savoir si les potentialités du Chromebook permettent à toutes les disciplines d'utiliser les logiciels qui leurs sont spécifiques. Il est vrai que le fait que de plus en plus d'applications/logiciels soient en ligne et non plus installées localement transforme la donne.
    C'est une autre dimension qu'il faut intégrer dans l'analyse : la coexistence entre le en ligne et le local. Cette dimension ajoute encore à la difficulté que peuvent avoir des utilisateurs à comprendre ce qui se passe derrière l'écran et à pouvoir s'en sentir les vrais pilotes…. 
    • sarto21, le 25/01/2019 à 18:06
      Bonsoir,
      Qu'en est-il du respect de la RGPD avec les Chromebook ? Peut-on créer des comptes élèves sachant où sont stockées les données puisque le propre de ces appareils est l'utilisation connectée et le stockage des données dans les nuages Google ? 
      Bien cordialement.
      • sandra12, le 20/11/2019 à 11:59
        Bonjour, j'ai trouvé cet article très intéressent et je voulais réagir à la question de @sarto21. Il existe d'autre solutions comme par exemple la tablette scolaire NovaPad de iDruide. Les données produites par les utilisateurs sont hébergées par leurs services. Cet espace vous appartient et assure le stockage de vos données en toute sérénité. Voici un lien pour en savoir plus https://idruide.com/la-tablette/.
        Bien cordialement,
        Sandra
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