Bruno Devauchelle : Accès à Internet, il est trop tard... 

Derrière les plaintes contre les réseaux qui "rament" se cachent de vraies évolutions techniques, économiques et finalement sociales. Quand l'accès permanent au réseau devient nécessaire de nouvelles inégalités apparaissent. Surtout "cette dépendance a des conséquences multiples dont la principale est l'impossibilité pour la personne, le sujet, de maîtriser la totalité de son "espace informationnel", rappelle Bruno Devauchelle. Un problème que les enseignants vont devoir affronter.

 

Omniprésence du wifi ?

 

L'une des plaintes récurrentes des enseignants voulant utiliser le numérique est celle du mauvais fonctionnement du wifi, ce qui peut se traduire par un accès à Internet trop lent, voire défaillant. Si à cette plainte s'ajoute celles de la maintenance et de la formation, cela amène à s'interroger sur les origines de ces dysfonctionnements. Mais origine n'est pas source. Si la source est souvent l'insuffisance du débit dans les tuyaux d'accès à Internet, l'origine est surtout dans l'augmentation importante (exponentielle ?) de la demande d'accès à Internet et donc des besoins en échanges entre le terminal et les serveurs. Mais cette origine est-elle du fait des utilisateurs ou des concepteurs de ces technologies. A regarder l'histoire de l'informatique, on peut rapidement observer que les concepteurs, à la recherche d'équilibre économique (de profits ?) tentent aussi d'utiliser les moyens techniques pour rendre les utilisateurs dépendants de leurs offres, avec bien sûr la complicité de tous ceux qui utilisent avec plaisir et parfois passion ces technologies. Ainsi en est-il de l'accès à Internet dont on ne peut probablement plus se passer dès lors que l'on veut utiliser un "terminal" (le bien nommé) numérique.

 

Désormais dans chaque foyer ou presque, comme le confirme l'enquête ARCEP/CREDOC 2018, la connexion au réseau Internet se fait par un smartphone et la 3G/4G et aussi par le wifi derrière un boitier connecté (box). De même dans le moindre lieu qui accueille du public, on trouve des accès wifi, comme dans le train, les hôtels, les médiathèques, etc...  bref, désormais accéder à Internet utilise les réseaux sans-fil et de préférence de manière continue : on passe d'un réseau à l'autre en étant constamment connecté. De plus on passe du téléphone (la voix) aux données (Internet) sans s'en apercevoir et avec un seul appareil. Cette commodité, cette facilité est désormais tellement ordinaire que l'on en vient à déplorer qu'elle ne soit pas opérationnelle : une zone blanche ou mal desservie suffit à troubler le quotidien. Un certain nombre d'établissements scolaires sont partiellement ou totalement dans ce cas. Parfois les bons vieux fils de cuivre peuvent suppléer, mais encore faut-il pouvoir s'y raccorder (où est la prise RJ45 ?).

 

Connexion permanante

 

A cette première évolution peu spectaculaire en apparence, mais extrêmement importante, s'en ajoute une deuxième : Il n'est désormais quasiment plus possible d'utiliser un appareil numérique sans devoir être connecté à Internet... Ce constat a pris depuis peu un tour nouveau : il est de plus en plus difficile de repérer quand l'accès à Internet est exigé par telle ou telle "application" (on ne dit plus logiciel d'ailleurs). Si tout le monde pouvait accéder au "réseau des réseaux" de manière continuelle, fluide et gratuite, cela ne poserait pas problème. Mais nous en sommes très loin... et du coup cette obligation est la source de fractures nouvelles au sein de la communauté des utilisateurs. Il en est de même dans les établissements scolaires et de leurs investissements dans le numérique. Plusieurs voies d'accès sont proposées, ADSL, Fibre, Satellite, Cable, mais aussi désormais 4G.

 

D'un côté le sans-fil, de l'autre côté l'accès à Internet imposé, voici donc deux évolutions récentes dont on parle moins que des nouveaux appareils de toutes natures. Or ces appareils ne sont plus grand chose sans ces deux évolutions. Ceux qui ont connu les débuts de l'informatique scolaire s'en souviennent : on pouvait travailler en autonomie sur chaque appareil. Les logiciels étaient installés et fonctionnaient en autonomie, sas faire appel à des ressources externes via un réseau. Récemment on a vu des logiciels (dire applications désormais) passer de produit installé en local (stand alone) à produit accessible en ligne (on line) au moins partiellement si ce n'est en totalité. On a d'ailleurs aussi vu arriver le paiement par abonnement plutôt que l'achat en coût unique. S'il faut parler d'évolution technologique, il faut aussi parler de logique économique. Et bien sûr les conséquences pour les utilisateurs sont nombreuses et variées... et parfois désagréables.

 

Et nouvelles dépendances

 

Si l'on considère le développement du numérique en éducation et surtout dans le monde scolaire, ces deux évolutions récentes ont un impact beaucoup plus important qu'on ne l'imagine. Les dysfonctionnements possibles se multiplient et s'ajoutent aux précédents, mais pas de la même manière. Or ces problèmes multiples ont souvent découragé aussi bien les enseignants qu'ils ont déçu les élèves. Si bien sûr l'absence d'une connexion fiable, rapide et large est souvent constatée, il est une autre difficulté à laquelle on ne fait pas vraiment attention, celle de cette invisibilité d'accès selon les types d'utilisation que l'on a. L'apparente facilité d'accès aux services en ligne cache en réalité une importante complexité, ignorée de l'utilisateur, mais consommatrice de moyens. L'exemple des manuels scolaires et de leur évolution pourrait bien confirmer nos analyses. Quand on achète un manuel papier, on peut l'utiliser où l'on veut sans dépendre de ressources ou moyens techniques externes. Quand on achète un manuel numérique, il faut au minimum passer par une identification via le web (dont on sait que depuis dix ans elle pose problème aux établissements scolaires). On voit venir le temps du manuel totalement en ligne que l'on pourrait payer par abonnement ou à la quantité utilisée, selon le modèle économique. Ainsi les services du manuel scolaire imposeraient des connexions importantes à Internet.

 

L'engouement actuel pour les tablettes dans le monde scolaire est encore plus inquiétant. En effet les tablettes (et autres smartphones) sont de plus en plus connectées en permanence, imposant un accès Internet de qualité. Si les ordinateurs ont longtemps fonctionné en "autonomie", l'apparition des Chromebook a signé l'arrivée d'appareils ne pouvant fonctionner quasiment qu'en étant connectés. Ainsi progressivement le tout connecté s'impose. A ce tout connecté il convient d'ajouter les questions de la surveillance, du contrôle et de la sécurité. On comprend le double intérêt, économique et politique. D'une part cela garantit des revenus en simplifiant la gestion des logiciels (en ligne les mises à jour sont plus faciles que sur chaque poste), d'autre part cela autorise toutes sortes de systèmes d'enregistrement des activités désormais identifiées. La chasse aux données pourrait aussi intéresser.

 

Si nous tirons le signal d'alarme sur le "tout connecté" c'est que cela crée une dépendance à plusieurs niveaux. Cette dépendance a des conséquences multiples dont la principale est l'impossibilité pour la personne, le sujet, de maîtriser la totalité de son "espace informationnel". La liberté de l'individu de pouvoir ne pas être connecté risque d'être mise à mal. La rapide dématérialisation des services proposés dans les établissements scolaires ajoute à l'obligation qui va être faite à tous de se connecter. L'adoption populaire rapide pour les équipements individuels mobiles et en particulier les smartphones est évidemment un terreau sur lequel vont s'appuyer les prescripteurs de toutes sortes. Il reste que la formation des jeunes à cet univers "invisible" va devenir de plus en plus difficile : les tenants de la formation à l'informatique vont s'affronter avec les tenants de l'ordi "pousse icone" dans le quotidien, pourra-t-on faire le lien et comprendre réellement les conséquences et les effets de ces évolutions ?  Restons vigilants et réclamons le droit au travail déconnecté du réseau !

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 05 avril 2019.

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