Bruno Devauchelle : Vous avez dit EMI ? 

"Se former à l'EMI, est d'abord un impératif pour tous les enseignants. Encore faut-il qu'on sorte des sempiternelles journées ou stages pour que l'on passe à des mises en action concrètes." Bruno Devauchelle réfléchit au message et au média et invite les enseignants à s'investir dans l'EMI.

 

L'EMI est considérée depuis 2015 comme une composante du parcours citoyen, selon le ministère de l'éducation. Bien que ne faisant l'objet d'aucun enseignement "stricto-sensu" l'EMI est bien entrée dans le discours général en éducation. Dans une fiche proposée récemment par le ministère on peut lire ainsi :"Inscrite dans la loi de refondation de l'École, l'éducation aux médias et à l'information contribue à préparer les élèves d'aujourd'hui à devenir les citoyens de demain. Apprendre à chercher une information et à en identifier la source, comprendre les mécanismes de fabrication de l'information et de l'image, émettre soi-même de l'information, doivent permettre à chacun d'apprendre à exercer librement son jugement ".

 

Marshall Mac Luhan écrivait jadis « « Le média est le message ». Cela signifie qu'il y a, pour le récepteur, une "fusion entre le média et le message" et que c'est en particulier la forme de réception imposée par le média qui s'impose au contenu lui-même. Contrairement à de nombreuses interprétations, Mac Luhan ne négligeait pas les contenus, mais montrait que le média impose au lecteur la forme du contenu et donc la force de sa réception. On peut à ce sujet s'interroger sur les réseaux sociaux numériques. Mais la différence entre notre époque et celle de Mac Luhan, c'est que désormais chaque individu peut aussi bien être émetteur que récepteur.

 

Dans la salle de classe, dans le CDI ou CCC, la question se pose-t-elle ainsi ? Les compétences des enseignants et des professeurs documentalistes leurs permettent-ils de mesurer la complexité et la portée de cette question ? Il est probable que selon les parcours de formation suivis, la plupart d'entre nous ayons bien du mal avec cette distinction entre le média et son contenu. Confirmant la thèse de Mac Luhan, cette sorte de "fusion" semble suffire au spectateur, à l'internaute, qui alors assimile aussi bien le contenu des informations, la technique et ceux qui la fabriquent. On ne peut que se féliciter de voir que le ministère détaille bien ces éléments (au moins en partie). Cela est-il suffisant pour que les choses changent dans les établissements scolaires ? Probablement pas...

 

Le débat autour de la définition des "médias" a semble-t-il largement penché du côté de l'idée selon laquelle Internet serait un média. Et l'on parle d'Internet et pas seulement du web (qu'il soit de 1.0 ou 4.1) pour désigner la notion de média que nous rapprocherons ici du terme "médiation". De Shannon à Wiener, de Mac Luhan à Wolton, et tant d'autres qui ont tenté de poser un cadre autour de ces questions, mais de points de vue différents, il faut aussi poser la question des médias comme technique (au sens large), celle de l'information (là aussi au sens large), et enfin celle de ceux qui la fabriquent (amateurs ou professionnels). En déplaçant et transformant ainsi les modes de fabrication et de diffusion de l'information, les technologies passées du moine copiste et du maître verrier à Gutenberg et plus récemment Tim Berners Lee, on peut observer des transformations autrement importantes dont le cœur est l'accroissement du "système-information". Par accroissement on englobe tous les phénomènes qui soient aussi bien l'accélération que l'augmentation de la quantité produite que la multiplication des producteurs potentiels d'informations. Mais au cœur du système il y a l'objet "message". Objet devenu de plus en plus polymorphe, passant de la courte séquence de 144 caractères au simple routage d'un message ancien, ou allant, à l'opposé à l'organisation collective et collaborative d'un lobbying ou plus simplement de groupes de pression ou d'oppression, l'objet "message" en gagnant en liberté à perdu en qualité. Et c'est en particulier ce que l'on observe dans le cas de fausses nouvelles si aisément relayées par des personnes qui semblent disposer des moyens de les éviter.

 

Si l'apprentissage du fonctionnement des médias est important, il ne peut se faire sans aborder la "petite fabrique de l'information" et la diffusion de celle-ci. Du fait au récepteur de l'information se déroule un processus complexe et parfois insaisissable. Nous avons proposé à des groupes d'adultes de tenter de "pister" une information du fait au produit final. Il s'agit de demander à un groupe de choisir une information reçue ou trouvée sur le web et de retracer l'ensemble des étapes humaines et techniques qui sont intervenues depuis le fait originel. A partir de cette trace ou plutôt de cette trajectoire, nous avons proposé d'analyser les transformations susceptibles d'être intervenues, qu'elles soient liées aux spécificités des médias ou au choix des humains. Très vite les uns et les autres abandonnent la recherche car ils manquent de connaissances et de moyens. Pour le dire autrement en métaphore : "il est plus facile de tracer la trajectoire d'un aliment arrivé dans une assiette que d'une information apparue sur son écran."

 

Le fameux biais de confirmation et de conformation intervient bien sûr assez rapidement dans cette difficile traque. Il est en réalité un frein à l'analyse. Chacun de nous a des points de vue et tend aller à la recherche des informations qui les confortent. Du coup notre sens critique s'émousse d'autant plus vite que nous ne sommes pas en mesure, la plupart du temps, d'aller chercher derrière l'information. Il est alors un exercice d'auto-critique qu'il est important de faire : quand je reçois une information qui va à l'encontre de mon point de vue, de mon opinion, il me faut faire un exercice métacognitif : "qu'est-ce qui se passe dans mon cerveau qui m'amène à ignorer voire à nier ce qui est donné dans cette information divergente ?" L'exercice suppose une éthique et une conscience personnelle suffisante pour éviter de tomber dans le déni ou l'opposition. Cette difficulté est inhérente à l'humain, mais elle doit être dépassée si l'on veut être responsable.

 

La formation des élèves (et des adultes) nécessite de balayer les différents points proposés par le ministère. Mais il en est un qui s'ajoute c'est le "paramètre humain", autrement dit l'intention humaine sous-jacente aux informations et à leur circulation.

 

Se former à l'EMI, est d'abord un impératif pour tous les enseignants. Encore faut-il qu'on sorte des sempiternelles journées ou stages pour que l'on passe à des mises en action concrètes. La piste des web radio semble intéressante, si les enseignants y travaillent à égalité avec les élèves. Or si les enseignants initient et contrôlent, ils ne s'impliquent pas toujours dans cette égalité. Plus encore, la cogestion d'un site web d'établissement pourrait être un beau travail pour développer les compétences de chacun, élèves, enseignants, à parité. Car comme tout ce qui touche au numérique, l'EMI est affaire d'appropriation critique, c'est à dire un processus lent qui suppose des remises en question et des interrogations constantes. L'arrivée de convictions douteuses dans les salles de classe ou les amphis devrait faire réfléchir les enseignants. Malheureusement certains préfèrent le repli sur les certitudes et une institution qui érige de l'extérieur le vrai et le faux, parfois à tort...

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 12 avril 2019.

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