Bruno Devauchelle : Face au coronavirus, peut-on vraiment enseigner à distance aux enfants ?  

La crise actuelle du coronavirus permet d'entendre qu'il serait possible d'enseigner à distance aussi bien à l'école primaire qu'au lycée et au collège grâce en particulier au CNED. Cette proposition pose un certain nombre de questions que, trop souvent on élude. Ayant interrogé des enseignants et des formateurs d'enseignants, tous ont fait part de leur conviction : la continuité pédagogique ne peut se faire indépendamment de la classe, de l'établissement où est scolarisé l'enfant et de préférence en lien avec les enseignants eux-mêmes ou, à défaut l'équipe éducative. Cette proximité, souhaitée par ces professionnels auxquels on a demandé d'imaginer ce qu'ils pensent pertinents pour les enfants, montre bien qu'il ne suffit pas d'aligner des vidéos, des textes, des animations, des applications pour réaliser un enseignement à distance de qualité. Le CNED lui-même devrait le savoir, tant il a compris les insuffisances de ses anciens dispositifs et a essayé d'évoluer dans ses propositions récentes.

 

Peut-on faire des apprentissages scolaires hors de l'école ?

 

Il faut envisager les dispositifs possibles et leur pertinence pédagogique. Mais il faut aussi analyser la capacité des enfants à apprendre dans de tels dispositifs. Enfin il faut s'interroger sur la place des parents, des enseignants, et autres éducateurs pouvant aider à cet enseignement à distance. Pour mener ce travail, il faut envisager la situation initiale. On n'aura pas les mêmes réponses selon la nature de la crise à laquelle il faut faire face.  On peut le constater dans le cas de l'infection actuelle pour laquelle il faut "graduer" les réponses pour prendre en compte les situations. Confinement individuel, collectif, à domicile, en milieu hospitalier etc. autant de paramètres à ne pas laisser de côté.

 

Il faut s'interroger sur la formation à distance. En effet de la simple utilisation de ressources papier (manuels scolaires, polycopiés) à la classe virtuelle sur une plateforme synchrone, il y a de nombreuses formes possibles. Plutôt que d'en faire d'abord l'inventaire, commençons plutôt par analyser ce que c'est "qu'apprendre à distance". Dans le cas actuel, cela consiste à mettre des enfants en dehors d'un cadre scolaire et en même temps leur fournir des moyens de suivre un parcours scolaire qui correspondrait à leur progression. Impossible dans ce cas d'ignorer la classe d'où vient l'élève, l'enseignant et les autres élèves, et encore moins le parcours d'apprentissage qu'il effectue. Si l'on choisit d'ignorer ce contexte on crée une "rupture" dans la continuité pédagogique et on met l'enfant "hors sol", comme si on pouvait directement remplacer la terre par des goulottes de sérum nourricier, telles de nombreuses tomates d'aujourd'hui.

 

Apprendre à distance c'est mener des activités qui permettent d'apprendre chez soi en enlevant ce qui est dans l'environnement scolaire et qui est un cadre motivant que les équipes éducatives gèrent chaque jour. Perdre ce cadre, c'est tenter de confier à d'autres le soin de le reconstituer ou de s'y substituer. S'il s'agit simplement des livres, des cahiers, des crayons, on sait depuis longtemps que cela ne permet pas d'apprendre s'il n'y a pas un "encadrement". On peut imaginer trouver sur le web cet encadrement, mais est-ce suffisant ? L'observation d'un enfant en train d'apprendre montre qu'il apprend en interaction avec des adultes et avec d'autres enfants dans un cadre finalisé. Même avec un écran, à la maison ce ne sera jamais identique. Les parents (ou leurs substituts) peuvent-ils répondre à ce besoin ? S'ils sont disponibles et suffisamment aguerris à l'accompagnement de leur enfant, cela est éventuellement possible, mais sont-ils simplement disponibles ? A moins que l'on ne confine les enfants et leurs parents en même temps peut-être ?

 

Préparer les profs et les élèves

 

Parmi les moyens techniques supports de la formation à distance, la classe virtuelle appuyée sur une plateforme incluant de la visioconférence multipoint et des échanges de ressources (en direct ou en différé), semble une solution intéressante. Il faut alors trouver des enseignants capables de mener ce genre de dispositif. Mais alors quels enseignants ? Il est probable que les enseignants du quotidien ne se transformeront pas en un instant en enseignants à distance. Certains diront qu'il suffit de mettre des supports en ligne (PDF, audio, Vidéo etc.…). Ce serait oublier que pour apprendre, il faut construire et accompagner le parcours de celui qui apprend : qui va le faire ? Un ministre, un éditeur, un marchand de cours en ligne, un opérateur de l'état (CNED, CANOPE, service de formation académique), à moins qu'on le demande à l'enseignant de l'enfant. C'est peut-être ce que certains pensent lorsqu'ils font l'analogie avec le cahier de texte, désormais numérique. Lorsqu'un enfant est malade, on a l'habitude d'utiliser ce moyen pour éviter à l'enfant de décrocher et parfois un camarade de classe vient compléter l'aide à domicile. Cela est un pis-aller, mais au moins il assure une certaine continuité. Mais cela n'est pas gérable sur une période longue. Peut-on penser que les opérateurs commerciaux de l'accompagnement scolaire vont se mettre sur les rangs ? Ce n'est pas impossible, le ministre ayant nommé à la tête de Canopé l'ancienne dirigeante d'une de ces sociétés (Digischool) il pourrait y être incité. Dans un modèle libéral, ce genre d'initiative pourrait donner le coup d'envoi d'une nouvelle forme de "privatisation" de l'enseignement scolaire... Fort heureusement on ne semble pas en être encore là....

 

Les enfants, les élèves, les jeunes sont très friands des moyens numériques. Est-ce pour autant qu'ils peuvent apprendre avec ? Quand on observe le succès des vidéos en ligne (Youtube par exemple) en lieu et place de tutoriaux de toutes sortes, on peut penser qu'ils sont un apport à ne pas négliger. La réponse fournie dans l'enseignement supérieur est donnée surtout par les MOOC qui sont une déformation de cet enseignement à distance.  L'avantage des MOOC c'est qu'ils conduisent la progression de l'apprentissage. L'inconvénient c'est qu'ils supposent un engagement fort de celui ou celle qui veut apprendre, bien différent de l'engagement de l'élève à l'école. Parce que l'essentiel est là : quelle est l'intention d'apprendre de l'enfant privé d'école ? Les pouvoirs publics ne sont pas gênés de 8 semaines de vacances d'été sans aucun accompagnement, de trois fois quinze jours pendant l'année. Or pendant ces vacances les enfants mettent de côté leur intention d'apprendre, mais surtout la reprennent dès lorsqu'ils réintègrent l'organisation scolaire. Peut-être interrompre simplement la classe, déplacer les vacances serait peut-être une solution ?

 

Envisager la formation à distance comme moyen de répondre à une obligation de confinement ne sera qu'un remède partiel et provisoire. Il satisfera des familles demandeuses, désespérera des élèves qui verront l'école arriver à la maison. Un tel dispositif suppose aussi des moyens techniques qui peuvent être très lourd et très couteux.... Il faudra aussi imaginer comment garantir un lien avec les enseignants habituels et la progression initiale. La plupart des enfants et des adultes seront fort probablement en difficulté technique et en difficulté pédagogique et cognitive. Dans un monde idéal, il est nécessaire de préparer les enseignants et les élèves à des démarches d'apprentissage/enseignement qui soit responsabilisantes et autonomisantes. Si les élèves sont en capacité technique et cognitive de rentrer dans de tels dispositifs, alors cela pourra peut-être éviter des catastrophes, et encore, si les familles soutiennent de tels choix. Mais nous en sommes encore très loin qu'on le veuille ou non et les effets d'annonce n'y peuvent rien.

 

La formation à distance n'est pas nouvelle. A ce jour elle reste marginale dans notre société. L'arrivée de situations de crise ne peut suffire à la rendre opérante sans la reconfigurer presque totalement pour qu'elle soit suffisamment en phase avec le local, le vécu proche des enfants et surtout la capacité de l'entourage à soutenir des apprentissages à domicile. La fameuse scène du devoir de mathématique à la maison du film "Être et Avoir" de Nicolas Philibert permet de mesurer l'écart qu'il peut y avoir entre les rêves et les réalités de ce que c'est qu'apprendre....

 

Bruno Devauchelle

 

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 03 mars 2020.

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