Et si l'on profitait des vacances pour prendre soin des apprentissages informels ! Et si l'on profitait des vacances pour développer notre capacité à réguler les utilisations du numérique de manière constructive ? Loin du monde scolaire et de ses manières si normées, le temps des vacances n'est pas celui de l'abandon, du relâchement, du n'importe quoi. C'est d'abord un temps familial et amical, relationnel et social. Il est probable que pour chacun de nous ce temps de confinement et de déconfinement ait été un temps de "surchauffe numérique".

Des vacances apprenantes ?

Bien sûr, nombre de commentateurs et autres vont soit évoquer une grande vague à soutenir soit une grande dérive à stopper. On peut analyser ces derniers mois comme le constat d'une sorte de faillite collective qui paradoxalement a généré des comportements très dynamiques, adaptés et positifs. Faillite au sens d'une telle rupture qu'il a fallu "tout arrêter", ce qui est la forme initiale d'une faillite. Mais ensuite chacun s'est confronté à "sa" réalité, c'est à dire à l'organisation familiale qu'il a fallu mettre en place pour prendre en compte ces contraintes, le plus souvent sans aucune aide, aucun accompagnement réel hormis sur le plan scolaire.

Jadis, outre les devoirs de vacances, certains proposaient des cours particuliers pendant l'été (parfois cela conditionnait le passage dans la classe supérieure). Ces activités étaient d'autant plus vécues comme une double peine que les résultats objectifs étaient davantage dans la tension familiale et psychologique que dans les apprentissages scolaires. Mais de rattrapage scolaire, il en était en fait peu question, tout au moins dans la tête de l'élève, du jeune qui essayait de faire la part entre les attentes familiales et le bien être des vacances. Il y a eu aussi les colonies de vacances (cf. le travail qu'y avait consacré Jean Houssaye en 1989) dont les valeurs éducatives sont connues depuis longtemps, éducatives mais pas "scolaires". Les mouvements de jeunesse, dont certains avec des méthodes contestables parfois, ont apporté à de nombreux jeunes la possibilité de découvrir et de vivre des moments qui leur permettaient d'apprendre et de se développer tout en respectant des valeurs plus ou moins affirmées au sein d'une vie collective structurée. Nombre d'entre elles suppléaient aux impossibilités des familles en ces périodes de vacances, celles-ci préférant confier leur enfant plutôt que de les condamner au pied des immeubles et au coin des quartiers.

Occupationnel, éducatif, scolaire

La télévision, et désormais l'écran informatique qui le prolonge, tiennent depuis longtemps un rôle dans ces temps de vacances. Malheureusement ils sont trop souvent des compléments à l'absence de disponibilités de parents et d'éducateurs et donc d'abord des moyens occupationnels, laissant aux enfants et aux jeunes la direction de leur attention et de leurs intérêts face une offre qui sait aussi les capter. Certes il n'y a pas que ces moyens informatiques et numériques, mais ils occupent malgré tout une place importante. Pour la plupart des médias de flux, cette période est aussi une période pauvre en contenus créatifs et ou à teneur éducative. Or l'arrivée de la possibilité de regarder des émissions au moment choisi a développé une nouvelle forme d'utilisation des médias avec l'arrivée de plateformes de distribution de contenus, vidéos essentiellement, par abonnement. Elargissement de l'offre ne signifie pas enrichissement éducatif. Et cela d'autant plus que les jeunes eux-mêmes sont sans accompagnement la plupart du temps. L'équation éducative en temps de vacances est complexe et surtout affecte en premier ceux qui en temps habituel sont le moins en phase avec le système scolaire, parfois unique espace disponible d'ouverture au-delà du cercle restreint de la famille et du quartier.

Que peut l’Ecole ?

Que peut le système scolaire ? L'école qui est considérée comme centrale, et par certains exclusive, dans les apprentissages se trouve confrontée à ce rival institutionnel "les vacances". Quand certains rêves de vacances apprenantes, ils rêvent d'abord de vacances scolarisées. On vient de travailler pendant trois mois en imposant aux élèves d'utiliser les moyens numériques pour accéder aux apprentissages scolaires. Certains peuvent penser prolonger cela pendant les temps de vacances comme jadis. Mais les quinze jours des vacances de printemps ont montré qu'une rupture s'opérait chez tous les membres des communautés éducatives. Ce sont donc les familles qui imposent leur rythme aux enfants, aux jeunes. En permettant aux enfants de se trouver dans des contextes riches et variés, les familles permettent aux enfants d'apprendre "autrement". Avec le numérique, ces contextes peuvent aussi être convoqués et être utilisés à bon escient. Pour cela, il faut d'abord travailler sur la représentation des vacances et en particulier sur leur opposition au temps scolaire, ce qui renvoie à l'opposition "travail/vacances" ces dernières étant considérées presque comme un antidote.

Alors ? Nombre de jeunes savent explorer le web et l'ensemble des ressources numériques pour leur propre curiosité, intérêt. Malheureusement le monde scolaire, de par son opposition au temps non scolaire ne valorise que très peu ces activités. Pourtant, les classes inversées ont apporté la preuve qu'on pouvait explorer différemment ce continent du travail à la maison. Encore faut-il maintenant articuler ces temps non formels avec ces temps formels. Au-delà de l'inversion ou de l'hybridation, on peut souhaiter que les cadres de l'éducation ainsi que les enseignants mettent à profit cette période de vacances pour en explorer les richesses potentielles et identifier comment rapprocher les apprentissages informels et les apprentissages formels, on sera alors très près d'une véritable continuité pédagogique qui ne soit pas une continuité scolarisante, mais éduquante, sachant intégrer le numérique à sa juste place.

Bruno Devauchelle