Bruno Devauchelle : Rentrée : La grande querelle du numérique 

Alors que déjà se profile la rentrée scolaire, au moins dans les esprits, et que le ministre appelle de ses vœux un retour à une rentrée normale, il semble que monte une polémique autour du numérique éducatif. Alimentée par les constats liés au confinement, les craintes d'un envahissement de l'Ecole et de l'Université par les moyens numériques se font de plus en plus entendre. Comme on peut le constater dans la page du site de l'Université de Lausanne d'aucuns envisagent l'avenir proche au pluriel et bien sûr d'aucuns s'inquiètent de choix qui mettraient la relation à distance médiée par les moyens numériques qu'ils estiment en opposition à la "relation pédagogique". Si la distance est souvent invoquée une autre critique se fait jour de manière vive autour des moyens numériques pour et dans l'enseignement. Arguments économiques, écologiques, cognitifs, sociaux, et aussi pédagogiques les défiances se multiplient en ce moment.

 

Le numérique , un bouc émissaire ?

 

 C'est peut-être que le choc a été rude. On est passé de presque rien à presque tout. Avec un relais politique étonnant de naïveté face au numérique, son potentiel et les réalités : serveurs inadaptés qu'il a fallu redimensionner, accompagnement défaillant fondé sur l'idée du remplacement de la classe par le CNED, matériels insuffisants, culture d'usage du numérique très insuffisante etc. Il y a eu, de la part des acteurs du quotidien scolaire et familial, d'un seul coup une impression de saturation et d'injonction qui a révélé que le numérique est désormais omniprésent dans la société, mais qu'il l'est manière très variable et surtout très inégale. Car c'est un fait, quels que soient ses détracteurs, l'ensemble de la population a désormais accès à Internet, de manière directe ou indirecte. On peut le déplorer, le critiquer, et lutter contre, c'est un "fait social total". Et alors lorsqu'une crise se présente, à l'instar de l'écrit, du livre ou des médias de flux (la radio pendant la 2de guerre mondiale et un peu les infos au cinéma), on se retourne vers ce qui est au plus près de la plus grande part de la population, en l'occurrence le numérique et en premier lieu le smartphone et ensuite les autres moyens, tablettes, ordinateurs portables etc.

 

La grande peur du numérique est une cause qu'agite certaines personnes issues de tous les milieux et de toutes les origines intellectuelles. Il s'agit de trouver un bouc émissaire pour éviter de se poser les questions de fond. Si l'on trouve un coupable c'est plus facile de le condamner que de s'interroger sur le sens et le système. Il faut pourtant écouter ces plaintes, ces reproches, ces critiques. Car elles font écho à d'autres discours qui sont parfois aussi déconnectés de la population réelle. Le passionné peut subir l'effet loupe et oublier l'environnement réel. On en veut pour illustration ces propos paradoxaux : les jeunes sont bien plus à l'aise que nous, mais ils sont très souvent incompétents et très inégaux dans leurs accès et leurs compétences dans le domaine du numérique. Ces plaintes font aussi émerger une problématique essentielle et largement mise de côté habituellement : le besoin d'interactions humaines et le rôle social de l'école et aussi des activités de loisirs en temps de vacances.

 

Finalement ce qui cause le plus problème c'est davantage les relations humaines que les contenus à enseigner pourrait-on penser en entendant nombre de critiques. Pour ce qui est contenus enseignés et à apprendre, ils servent aussi de point de repère pour ceux qui veulent renforcer le retour à une école classique sans numérique. Ainsi on aurait perdu l'essentiel pendant le confinement, comment le rattraper ? Dans le même temps, le ministre propose des vacances apprenantes (pour une minorité) mais oublie que dans la plupart des familles ce temps de non école est un temps autre et que cela ne pose pas tant de problème que cela pour les apprentissages. Alors on va faire des évaluations à la rentrée : on imagine l'effet produit par ces évaluations qui risquent une nouvelle fois de stigmatiser certains enfants aux yeux des autres et de leurs enseignants. Masi il est vrai que dans une école de la réussite scolaire élitiste, l'important c'est le tri !

 

Une grande année du nuémrique

 

Quand les dirigeants politiques s'emparent de la question cela donne des propos étonnants comme ceux du président des USA qui se trouve attaqué en justice par des universités car il veut limiter voire interdire l'enseignement à distance... et ainsi l'inscription d'étudiants à leurs cursus qu'ils veulent proposer à distance pour tenir compte, entre autres, de la situation sanitaire. En France, la circulaire de rentrée qui se fait attendre (il paraît qu'elle sera envoyée quand le conseil scientifique de la santé aura donné son avis) pourrait ainsi arbitrer sur ce qui serait bien pour les élèves. Il y a de fortes chances qu'un retour à la normale (c'est à dire avant le covid) soit souhaité et que la circulaire de rentrée s'en fasse l'écho. Sauf si...  Alors le numérique pourrait à nouveau servir de "tampon" pour assouplir le système. Mais la circulaire de rentrée osera-t-elle aller aussi dans ce sens ? Ainsi elle pourrait porter l'idée d'une refonte du système scolaire, dans un lien nouveau avec les collectivités territoriales qui permettrait cet assouplissement sans risquer la fracture observée dans le confinement général. Mais ne rêvons pas...

 

Avec Ludovia fin aout, puis les Etats Généraux du Numérique en novembre, sans compte l'hypothèse Educatec-Educatice puis le grand rassemblement à Poitiers en juin 2021 autour du numérique, l'année scolaire qui s'annonce ne va pas mettre la question du numérique de côté. Cependant, de nouvelles questions ont émergé auxquelles il va falloir répondre rapidement et dont le terme générique serait : élévation des compétences de base de la population entière pour mettre en œuvre le numérique de manière pertinente en situation complexe. C'est le principal chantier à ouvrir, car il doit permettre d'envisager un maillage territorial général. Comment faire en sorte que, non pas dans les foyers, mais en proximité, des lieux d'accueils, de partage et de travail en ligne puissent se développer. On connait les lieux de coworking, les learning centers, il faut réfléchir à la mise en place de "lieux publics d'accueil pour la connaissance et les compétence" (on pourrait dire "co-learning", mais je refuse d'aller vers ces pseudo anglicismes à la mode...).

 

Les vacances se présentent devant nous. Plusieurs semaines "sans gain" scolaire attendent nos jeunes. Souhaitons que ces temps soient d'abord le temps d'absorber le choc transformationnel d'un nouvel environnement de vie sociale incertain dans lequel les moyens d'information et de communication jouent un rôle de plus en plus important au quotidien. Souhaitons aussi que ces temps soient l'occasion de réfléchir à ce qu'on appelle "l'intention d'apprendre", le vrai moteur qui pousse chacun, jeune et adulte à continuer à se développer.

 

Pour terminer reprenons ici un aphorisme qui nous est cher et qui nous sert de ligne de conduite, avec ou sans le numérique, après cette longue période de remise en question : Passer du "toujours plus" au profit de chacun vers le "toujours mieux" au service du bien commun et du bien-être de tous

 

Bruno Devauchelle

 

Université de Lausanne

 

 

Par fjarraud , le vendredi 10 juillet 2020.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces