Bruno Devauchelle : Retour de Ludovia 

Lorsque l'on évoque l'école d'après on ne parle pas de l'école de demain. En effet à cette école idéalisée dont certaines et certains peuvent rêver à long terme, le pragmatisme doit nous inviter à réfléchir l'école d'après, c'est à dire l'école qui va recommencer en ce début d'année scolaire, dans les prochains jours. Six mois après l'interruption brutale, l'ensemble du système éducatif semble tenter de se remettre en ordre de "bataille" pour faire face à l'incertitude, aux nécessaires précautions liées au virus toujours circulant et dont on commence à peine à mesurer la diffusion dans le monde scolaire. Dès lors si dans les discours chacun aimerait voir un retour à la normale, dans les têtes ce sont de multiples scénarios qui se construisent, sachant qu'il faudra commencer l'année avec l'un d'eux. L'école à la maison, les visioconférences, les messages échangés à tout va semblent remisés au rang des souvenirs. Les Environnements Numériques de Travail vont reprendre du service, ils seront probablement les briques essentielles d'une école "flexible et adaptable". Si dans le secondaire et le supérieur, cela semble acquis, dans le primaire (maternelle et élémentaire) il n'y a pas vraiment de solution hormis dans quelques lieux qui ont déjà une certaine expérience (Somme numérique, Métropole de Lyon...). Et surtout dans le primaire il y a cette proximité traditionnelle entre l'école et le lieu de vie des enfants (sauf dans certaines écoles de périphérie ou encore des écoles privées sous contrat).

 

 Les conceptions de la scolarisation, les témoignages et les travaux de recherche, confirment tous ce besoin de socialisation en groupe comme constitutif du développement de l'enfant. A l'école comme en dehors, le développement d'une sociabilité associé à l'idée d'une citoyenneté sont considérés comme indispensable. Le confinement généralisé a imposé une réflexion sur un assouplissement ou au moins des alternatives au monde scolaire comme lieu unique. On avait oublié cela, tant aller à l'école, au collège, au lycée semblait une évidence. Or depuis plus de vingt années d'une généralisation des moyens numériques connectés, cette règle était interrogée par tous ceux qui essayaient ces instruments et qui envisageaient leurs effets. Sauf qu'ils le faisaient dans un monde ou le présentiel en continu était une évidence, un impensé. D'un seul coup, il a fallu s'en rendre compte : sans les moyens numériques la période du confinement aurait été très complexe à vivre. Certes on aurait pu s'en passer, mais ils sont là, ils étaient là, eux aussi impensés comme possiblement fournisseurs d'alternatives, d'ouvertures. Alors qu'on les disait transformant l'école (pour certains) ils ont surtout imposé leur puissance de communication et d'information alors que celle-ci avait disparu du paysage physique. On pourra longuement discuter des hauts et des bas liés à cette situation et donc de la nécessité ou non d'imposer ces moyens, un fait : sans eux tout aurait été différent.

 

Depuis quelques semaines on entend parler des distributions de matériel informatique pour permettre à tous de faire face à toute situation à venir dans le monde scolaire. S'il suffisait de distribuer du matériel cela se saurait depuis longtemps, les collectivités qui l'ont fait, certaines depuis près de 20 ans, en savent quelque chose. Car il faut aussi s'assurer de l'infra : connexion, logiciels, maintenance, maîtrise des usages, etc. Et surtout il faut s'assurer que s'installe dans la tête et les pratiques de tous les membres des communautés éducatives l'idée du "continuité". C'est à dire qu'il faut désormais prendre en compte cet impensé des lieux et de leurs fonctions, des métiers, des postures et des actions éducatives au-delà des murs des établissements scolaires. L'idée de continuité peut aussi se retrouver dans une sorte de "nomadisme cognitif" qui articulerait plusieurs expériences de l'apprendre tout au long de la vie et en toutes situations. Pour le dire de manière imagée, ne pas penser que le seul savoir transmis est celui qui, sorti des livres par des maîtres peu formés, rentre uniformément dans les têtes des enfants, des jeunes sagement assis autour de la "chaire", comme l'ont quasiment imposé plusieurs religions au cours de l'histoire.

 

A l'instar de la région Ile de France des distributions massives de matériel informatique semblent attirer les décideurs en mal de réponses visibles, tangibles à une crise de l'invisible. Une question se pose, en regard de celle de la continuité : ces matériels vont vers les établissements ou vers les jeunes et leurs familles ? Faut-il imaginer des configurations hybrides qui, venue de l'école ou directement aux familles, vont-ils permettre d'associer " le meilleur des deux mondes" et rendre possible le passage d'un milieu à l'autre ? La réflexion pourra se faire en regard de ce qui va s'observer dans les temps prochains et selon les contextes. Ces gestes politiques s'ils veulent être des gestes citoyens vont devoir s'incarner aussi bien dans les lieux scolaires et leurs personnels qu'en dehors et en particulier pour les jeunes. C'est donc d'accompagnement dont il va falloir construire de nouvelles formes. Au cours du confinement, on a surtout remédié à l'inédit. Désormais il faut construire des possibles et donc définir au mieux ce que devra être l'accompagnement de tous : les personnels académiques vont devoir sortir de leur zone de confort, les personnels des opérateurs de l'état sortir de leurs injonctions, les personnels des établissements élargir leur cercle d'action, les personnels des collectivités avec leur décideurs, tenter de redéfinir avec l'Etat les contours de leurs actions qui ne peuvent plus s'arrêter au simple payer pour appliquer les directives du ministère. Quant au ministère, il va devoir s'interroger sur un fonctionnement qui s'est depuis très longtemps appuyé et organisé sur une évidence d'une école totalement en présence pour passer à l'accompagnement de cette école d'après.

 

Ludovia, la 17è édition, a eu lieu, en présence et à distance. Cette édition a tenté d'envisager celle d'après et on peut saluer les organisateurs d'avoir été capable de maintenir cet évènement, en respectant les consignes sanitaires. Alors que de nombreux évènements rassembleurs sont annulés, en maintenant la présence, en autorisant la distance, Ludovia, même si certains pourront regretter une technique difficile à mettre en œuvre et des sessions à distance "hachées", a réussi à être congruent : essayer d'amener les participants à imaginer l'école d'après en organisant le premier rassemblement (colloque scientifique compris) post confinement. Il est regrettable que le calendrier n'ait pas permis une meilleure articulation avec la préparation de la rentrée scolaire (trop proche) car des propositions autour de l'organisation de celle-ci auraient pu être discutées, imaginées, construites avec les principaux décideurs. On remarquera que pour cette édition, les collectivités territoriales ont su affirmer leur présence et surtout leur place sur "l'échiquier éducatif" qui va se reconstruire. Souhaitons qu'elles soient à l'avenir mieux prises en comptes et d'abord mieux connues dans leurs actions en lien avec les enseignants et les établissements. Une rentrée vivante, en tout cas, malgré les drames que certains ont pu vivre dans leur entourage.

 

Bonne reprise à tous !

 

Bruno Devauchelle

 

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 28 août 2020.

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