Bruno Devauchelle : Eduquer au réel et au virtuel 

Alors que les médias se sont emparés du terme "meta" et qu'une des entreprises mondiales se renomme en Meta et lance le nom de "metaverse", il est nécessaire de repréciser la question du lien entre le réel et le virtuel. Chacun de nous prolonge désormais sa vie physique par une vie dite numérique. Mes amis, ma famille, mes informations, mes jeux, etc. chaque jour, en ligne j'utilise des services qui continuent ma vie en présence, ma vie physique. Les enfants, dès leur plus jeune âge, vivent cette expérience et en font l'ordinaire de leur quotidien. Parfois partagés entre le réel de l'école, de la famille et les moyens numériques auxquels ils accèdent ils tentent ainsi de construire leur représentation du monde. Désormais nous vivons dans une continuité entre présence, distance et virtuel. Pokémon, Fortnite et autres Second Life sont des témoins récents de cela. Eduquer aujourd'hui nécessite donc d'intégrer ces trois dimensions, auxquelles il faut ajouter le monde des "fausses nouvelles" (deep fake, fake news, etc.) qui vient percuter les trois autres et le brouiller

 

Le développement de la continuité numérique ajoute une nouvelle dimension

 

 De manière courante, on parle de virtuel quand on évoque le "en ligne". Cet emploi est un raccourci de pensée qui n'est pas sans conséquence. Cette question est au coeur des évolutions techniques en cours et en particulier celles autour de la "réalité virtuelle" mais aussi de la "réalité augmentée". Rappelons d'abord que virtuel ne signifie pas en ligne ou en image, mais précisément ce qui pourrait être (le possible, le potentiel) mais qui n'est pas en acte (le réel). Trop souvent, de manière ordinaire, on évoque le virtuel pour désigner ce qui est "sur écran", ou "en ligne". Mais on oublie de distinguer justement ce qui est en acte de ce qui est en potentialité. Le problème vient, entre autres, du fait que les propositions de réalité virtuelle s'inscrivent dans la continuité du réel, immédiat ou médiatisé. Les jeunes, en particulier ceux qui sont adeptes des jeux vidéo, en ligne ou non, sont souvent à la frontière des mondes et ils côtoient le réel et le virtuel dans des espaces parfois communs.

 

En psychologie et en éducation, il est fréquent de parler de métacognition comme "capacité à engager sa propre pensée sur la manière dont on pense, mieux la connaître et mieux l'utiliser'. Le terme meta indique simultanément une distance et un retour sur. Le monde virtuel, la réalité virtuelle sont parfois aussi situés dans la dimension meta. Ils nous renvoient une représentation d'un monde qui pourrait être le nôtre, réel. Si en éducation la métacognition est souvent invoquée, le développement de la continuité numérique présentée ici vient ajouter une nouvelle dimension. Nous observons la multiplication des utilisations du terme/préfixe meta depuis que Facebook en a fait son cheval de bataille avec l'idée d'un monde virtuel qui rejoint ainsi la notion de "métavers".

 

En tant qu'éducateur, nous sommes appelés à être vigilant face à ces nouvelles notions et ces nouveaux services et produits. Quand on voit l'engouement de certains jeunes (et certains adultes) pour les mondes virtuels et en particulier dans le jeu vidéo, on s'interrogera aussi bien sur l'intérêt que sur les dangers de ces nouveaux instruments. Certes nous voyons cela de loin pour l'instant. Mais il sera nécessaire d'être vigilant pour les plus petits en particulier. En effet la construction de la personne passe justement par le virtuel en particulier dans les jeux d'enfant (on fait comme si on était...). Mais ce passage a une fonction importante dans le développement puisqu'il permet "d'essayer" ou "d'imiter" sans prendre de risque. Or le passage au réel, c'est justement le moment nécessaire du développement humain. L'arrivée des médias distants (radiotélévision mais aussi livres/journaux) avait déjà ouvert des possibles virtuels : on s'échappe du réel dans la lecture d'un livre passionnant. Avec le web et ses multiples services, on a introduit une autre distance ou plutôt une autre proximité. Dès lors que l'autre apparaît, en vidéo, en photo, en audio, au travers d'un appareil numérique, j'accède à un réel élargi. Bien sûr c'est un réel et non pas un virtuel.

 

Degré de réalité, degré de véracité

 

Dans la salle de classe, à la maison, il est nécessaire d'approfondir avec l'enfant la perception qu'il a du monde qui l'entoure. On peut en particulier évoquer l'exemple du décalage temporel. Cet apprentissage du "dans combien de temps" est à la base de la construction du sens de l'immédiateté., de l'instantanéité. Avec la crise et l'obligation de l'enseignement à distance, l'école est amenée à s’interroger sur le synchrone (direct) et l'asynchrone (différé). On ajoute alors un type de situation qui amène à distinguer et prendre en compte : le réel présentiel immédiat, le réel distanciel instantané médiatisé, le réel distanciel différé et le virtuel. Bien que les frontières soient ténues et que les recouvrements soient possibles, il faut cependant être vigilant. L'enfant, comme l'adulte, a besoin de construire sa représentation mentale du monde qui l'entoure. Le numérique à la suite des médias a transformé la perception de la taille et de la forme de ce monde. Il est donc légitime que nous soyons, en tant qu'éducateur, amenés à déconstruire en explicitant ce monde, chaque fois que cela s'y prête. En classe en particulier, à propos de nombreux contenus d'apprentissage, il est possible d'aborder cette question avec les élèves. Ce que tu vois sur l'écran, quel est son degré de réalité ? Ce que nous vivons en classe, de quelle réalité parle-t-on ?

 

Parler de degré de réalité c'est aussi interroger indirectement le degré de véracité et de certitude des contenus. Profitant des possibles manipulations numériques (deep fake par exemple), certaines personnes mal-intentionnées peuvent profiter des confusions pour faire passer des messages, des idées, des croyances fausses. Il suffit de se promener sur le web pour se rendre compte que ce travail d'analyse est indispensable et de plus en plus complexe. L'éducation aux médias et à l'information est ainsi invitée à aller plus loin que ce que son intitulé peut laisser penser. Les médias et l'information sont enchâssés dans un environnement technique complexe qu'il faut constamment surveiller pour en comprendre, au moins l'affordance, au plus la manipulation.

 

A partir d'un usage courant et peu précisé du terme virtuel, nous comprenons qu'il y a une évolution rapide de notre lien avec le mode qui nous entoure. Les moyens numériques, qui sont en constante évolution, obligent à une vigilance toute particulière qui va au-delà de la seule surface des écrans. La partie immergée constituée par les traitements invisibles de l'information et du signal est très souvent méconnue voire ignorée. C'est à cette vigilance globale à laquelle chacun de nous est amené, appelé à faire preuve.

 

Bruno Devauchelle

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 26 novembre 2021.

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