Bruno Devauchelle : Des lectures qui peuvent nous aider à comprendre ! 

S'informer, connaître, comprendre, cela permet d'agir. L'écrit est un des vecteurs les plus puissants pour y parvenir. De nombreuses parutions sont accessibles en ce début d'année 2022 dans le domaine du numérique éducatif, de l'éducation aux médias et à l'information. Cette chronique vise, cette semaine à vous indiquer ces parutions et vous inviter à en lire, tout ou partie. Les documents semblent sortir par vagues, et comme pour les romans, ce début d'année semble propice à ces publications.

 

 Qu'il soit papier ou d'écran, l'écrit a des spécificités bien différentes de la vidéo, et les apprentissages se font différemment avec l'un et avec l'autre. Opposer le livre à l'écran est un exercice qui a peu de sens, car le fond du problème c'est l'accès à l'information, écrite, audio ou vidéo et ses multiples supports. Ainsi réduire l'écrit au livre, c'est oublier toutes les autres formes d'écrit. On peut le constater en consultant ce très intéressant document canadien sur le livre et le numérique. Réduire l'écran à la vidéo, c'est oublier toutes les formes de contenus multimédia accessibles. On pourra lire cet article pour relativiser les comparaisons et amener à penser que lire, quel que soit le support, reste un élément de base d'une vie sociale réelle...

 

L'école digitale

 

Parmi les parutions récentes, deux ouvrages concernent l'un le numérique et l'éducation, l'autre les fractures numériques.

 

Après "Le numérique, une chance pour l'école" publié en 2013 (Armand Colin), l'un des auteurs, Simon Boissière, co-signe avec Éric Bruillard, professeur et chercheur bien connu dans le milieu de l'éducation aux technologies, l'ouvrage : "L'école digitale, une éducation à construire et à vivre, Numérique et transformations de l'école" (Armand Colin 2022). Voici un ouvrage panoptique et critique. En effet, en abordant au travers des 14 chapitres à peu près toutes les questions qui se posent dans ce domaine (nos chroniques du Café Pédagogique et nos ouvrages se croisent largement avec cet ouvrage), les auteurs permettent au lecteur de faire un large tour d'horizon, sans complaisance, avec précision en s'appuyant sur les travaux de recherche, entre autres. L'approche que l'on peut qualifier de "socio-critique" permet au lecteur de mieux faire la part des choses et d'éviter de tomber dans les allants de soi médiatiques sur ces questions.

 

Classes populaires et usages de l’informatique connectée

 

Fabien Granjon propose lui un ouvrage qui se situe en dehors du monde scolaire, sans pour autant l'ignorer : "Classes populaires et usages de l’informatique connectée, Des inégalités sociales-numériques" (Editions des Mines 2022). Dans l'introduction l'auteur écrit : "Le numérique serait ainsi le parangon des dynamiques consommatoires, lesquelles seraient elles-mêmes un indicateur d’arasement de la diversité des positions sociales." (p.15) Il situe ainsi son propos au-delà de l'évidence du numérique pour proposer une approche critique de l'évolution de nos sociétés contemporaines et l'instrumentalisation du numérique comme cause des fractures, alors qu'il ne serait qu'un révélateur des logiques de société sous-jacentes existant depuis bien longtemps. On trouve dans la conclusion de l'ouvrage cette analyse qui représente bien le prisme sous-jacent à l'analyse de l'auteur : "Si l’« inclusion numérique » apporte quelque satisfaction dans la mesure où elle peut, de fait, faciliter l’ordinaire (« Les courses sur Internet, ça me fait gagner mon samedi matin479 »), elle n’apporte guère davantage qu’un gain d’efficacité dans la réponse à des impératifs qui restent ceux imposés par la société de consommation et le système productif capitaliste, lesquels enjoignent les sujets sociaux à trouver leur place en leur sein.". L'auteur s'interroge finalement sur la possibilité pour les plus démunis de sortir de leur condition avec le numérique, car sans, cela ne semble plus possible avec la numérisation de la vie administrative et sociale. Si Michel de Certeau a laissé penser des espaces de liberté face aux technologies, s'emparer de celles-ci pour s'en affranchir peut sembler vain, tant elles ont imposé leur modèle politique.

 

Repenser les ENT

 

Un rapport de l'assemblée nationale récent mérite aussi une attention au-delà des divers comptes rendus médiatiques récents : "Projet de rapport d’information sur le cadre juridique et statutaire de l’enseignement hybride ou à distance, dans l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur". Présenté par la députée Béatrice Piron et présidé par Frédéric Reiss, certaines des 11 propositions du rapport semblent inutiles,  (comme la 10ème sur la création d'une agrégation d'informatique dont on connaît les limites... et surtout le faible intérêt, mais dont on ne comprend pas qu'elle figure dans ce rapport), alors que ce qui ressort de ce rapport c'est la nécessité de repenser les Environnements Numériques de Travail au coeur d'une nouvelle dynamique de fonctionnement de l'enseignement scolaire (et universitaire) qui permettrait, enfin, de ne plus limiter l'enseignement à l'ici et là de la salle de cours !

 

Classe inversée

 

Les revues en ligne apportent aussi leurs publications ; Comme la revue "Recherches en Education" qui présente son numéro 46 – Janvier 2022 – « La classe inversée : activité des enseignants, activité des apprenants », coordonné par Marie-Sylvie Claude. Ensemble d'articles, dits de recherche (car c'est le formalisme universitaire qui prévaut), les auteurs balayent différents pans de la classe inversée tout en, finalement apportant un modeste éclairage à ces pratiques. Si certains auteurs convoquent l'idée d'évolution de la forme scolaire, force est de constater que celle-ci, loin d'être mise réellement en cause dans les différentes article, l'inversion pédagogique n'est pas mise, ici, dans un cadre théorique et politique qui soit porteur de réelle remise en cause du système scolaire et donc de la forme scolaire. On pourra continuer d'en débattre en allant consulter cette page proposée sur le site de l'académie de Nantes qui tente de définir ce qu'est la forme scolaire et d'apporter quelques pistes pour penser son évolution éventuelle.

 

EMI

 

L'EMI est aussi à l'honneur en cette nouvelle année, avec le rapport Bronner d'une part et d'autre part avec la parution d'un Vademecum de l'Education aux Médias et à l'Information :

 

Le rapport Bronner, intitulé "les Lumières à l'ère du numérique" (pompeux, mais aussi inducteur de sens), apporte un grand nombre de propositions mais, contrairement à l'approche radicale d'un Fabien Granjon (voir ci-dessus), ne remet pas en cause les fondements mêmes du numérique et leur participation à un modèle de société qui semble aller à la dérive. D'ailleurs les 30 propositions faites à l'issue de ce rapport tentent d'aller dans le sens d'une régulation plus grande : par la loi, par les recommandations et un peu par l'éducation, comme ces propositions autour de l'Education aux Médias et à l'informations. Mais finalement, les problèmes abordés dans ce rapport le sont du point de vue des institutions et non pas des acteurs (ou même des actants), car il semble oublier que ce sont des humains qui sont derrière tout ce qui circule sur les réseaux. Nous citerons à ce sujet cette proposition étonnante : "3. Lutter contre le biais de popularité - Permettre aux utilisateurs de mieux se représenter l’état du réseau et la prévalence réelle des opinions en désactivant par défaut les métriques de popularité et l’éditorialisation algorithmique, et en mettant en avant des métriques permettant de juger de la qualité épistémique des contenus (historique de partage notamment)." Au-delà du bien-fondé de la recommandation, on peut s'étonner de sa spécification (qui comprend ?) mais surtout on s'interroge sur l'ampleur du problème qui pourrait bien toucher d'abord ceux qui en ont parlé dans ce rapport et ceux auxquels il est destiné !!!

 

Suite à une initiative gouvernementale en lien avec l'Europe, un Vademecum, publié et mis en ligne le 20 janvier 2022 apporte en 90 pages un grand nombre de ressources sur ce sujet. Toutefois, rien de nouveau sous le soleil, on fait une recension, mais cela ne fait pas évoluer le modèle scolaire, la forme scolaire. Par contre ce travail a le mérite de fournir des repères, des réflexions qui seront utiles à tous les acteurs de l'éducation (parents y compris). Il semble intéressant d'ailleurs que ce document aille au-delà du cercle scolaire dont on sent qu'il a du mal à sortir. On le sait, le monde scolaire ne parvient pas à s'adresser aux familles, et parfois même aux jeunes car trop enfermé dans un fonctionnement piloté par des programmes et une organisation descendante.

 

Contrôle parental

 

Enfin pour terminer et se tenir au courant : on pourra suivre l'évolution de cette loi sur le contrôle parental, portée par le député Studer et qui devrait passer prochainement au Sénat. Ce texte, d'une autre nature est aussi l'occasion de s'interroger sur ce que les politiques envisagent pour aider/se substituer(?) aux parents dans le contrôle des usages d'Internet et du web par leurs enfants.

 

Bruno Devauchelle

 

 

Par fjarraud , le vendredi 28 janvier 2022.

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