Daniel Bloch : Quelle réforme pour la voie professionnelle ?  

A la veille d'une grande manifestation des enseignants des lycées professionnels contre une réforme rétrograde, consultons Daniel Bloch. Père du bac professionnel, ancien recteur, ancien président des différents conseils école - entreprises, Daniel Bloch publie un livre qui retrace "Une histoire engagée de l'enseignement professionnel" (PUG) de Chevènement à Pap Ndiaye. Il revient sur la naissance du bac professionnel. Il analyse son évolution. Et jette un regard sévère sur la façon dont E Macron lance une nouvelle réforme. Il élève le débat et pose les bases, comme en 1985, d'une réforme véritable de l'enseignement professionnel au regard des besoins du pays.

 

Comment devient-on le père du bac professionnel ?

 

Un peu par hasard. J'étais président de l'Institut polytechnique de Grenoble et très engagé dans les relations école entreprises. Il y avait des discussions sur le contrat de plan mais rien à l'Education nationale. Jusqu'à Chevènement cherche quelqu'un et qu'un membre de son cabinet donne mon nom.

 

Quels étaient les objectifs du bac pro ?

 

L'objectif était de faire en sorte de redresser la balance extérieure de la France. Chevènement venait du ministère de l'Industrie. Arrivant à l'Education nationale il m'a donné mandat de voir comment relever le niveau de compétences des français. Le bac professionnel était un des éléments de cette politique. La mission école entreprises a été mise en place en octobre 1984 et nos propositions, avec le bac pro, sont faites en janvier 1985 et validées par le ministre le 28 février. Il y avait déjà le projet de 80% d'une classe d'âge en fin d'études secondaires avec le projet de Lycée du 21ème siècle d'A. Prost. Ca devait être 50% bac et 30% CAP. On l'a transformé en 80% bac grâce au bac pro.

 

Etes vous satisfait de la réussite de ce bac ?

 

On a fait monter d'un cran la culture ouvrière et professionnelle. Le bac professionnel a produit 3 à 5 millions de bacheliers qui ont rendu service au pays et cela sans l'apprentissage. Jusqu'en 2009 je suis satisfait de son évolution.

 

Pour vous comment concilier les exigences d'une formation utile aux entreprises etle droit à une formation durable pour les jeunes ?

 

En aucun cas avec de l'adéquationnisme. On a fait des projections pour l'emploi en 2000 en tenant compte de l'évolution de la société et de l'économie. On a voulu avoir un temps d'avance. Et on a créé une catégorie de personnels qui n'existait pas et qui change la sociologie du pays.

 

Quand on lit les motifs de la réforme de 1985 on a l'impression de lire ceux de toutes les réformes suivantes y compris celle d'E Macron. Qu'est ce que ça vous inspire ?

 

De 1985 à 1992 on n'a pas été que dans le discours. On a fait du concret avec Chevènement puis Monory et Jospin qui ont bien compris les choses. Ensuite ça s'est dilué. Le nombre de bacheliers et de BTS a augmenté jusqu'en 2000 puis il s'est arrêté.

 

Aujourd'hui on dit qu'on va remplacer les heures de cours en lycée professionnel par des heures en milieu professionnel. Le discours de Chevènement serait bien différent. Il dirait : "on a pas 6 milliards mais 60 milliards de déficit commercial, que fait-on ? Que fait on aussi des difficultés des banlieues ? L'aspect social et économique étaient beaucoup plus mis en avant. Mais aujourd'hui il n'y a plus de conseil national économie éducation.Le quinquennat Blanquer n'a pas été une période d'avancée pour l'enseignement professionnel, bien au contraire.

 

Le bac pro a connu deux réformes récentes, celle de Darcos et de Blanquer. Que regard jetez vous sur chacune ?

 

La réforme Darcos a surtout été celle d'E Woerth, ministre du Budget. C'est le passage du bac pro de 4 à 3 ans décidé pour réduire le nombre d'enseignants. Personne ne demandait cette réforme ni les enseignants, ni les entreprises. L'expérimentation qui avait été faite montrait que ce n'était positif que pour un petit nombre de bacs professionnels. Blanquer a fait une réforme cosmétique avec des choses qui coutent cher comme la co intervention. La modification de la seconde, avec les familles de métier, s'est faite au détriment de la professionnalisation. Elle était un peu obligatoire car les élèves arrivent deux années plus jeunes avec un niveau encore plus faible. Le système s'est détérioré avec la baisse de niveau et la déprofessionnalisation. L'objectif aujourd'hui devrait être de voir comment faire une marche en avant et non une marche arrière.

 

E. Macron lance une nouvelle réforme avec le doublement du temps des stages et l'adaptation de l'offre de formations aux besoins locaux des entreprises. Qu'en pensez vous ?

 

Actuellement il y a une grande distance entre les syndicats de la voie professionnelle et le projet de la ministre. Cela a été mal introduit. Si on supprime ces heures de cours en lycée pour les remplacer par des heures en entreprise on supprime 8à 10 000 emplois (sur 66 000 professeurs de lycée professionnel NDLR). De plus les syndicats ont l'impression que tout est fait à l'avance y compris dans les groupes de travail. On ne voit pas de place pour une vraie discussion.

 

A mon avis il faudrait, et je pense qu'il n'est pas trop tard, modifier fondamentalement l'approche de la réforme de l'enseignement professionnel, telle qu'elle a été engagée.

 

J'ai suggéré que soit dressé rapidement, dans un premier temps, un état des lieux si possible partagé, coiffé d'un simple chapeau définissant les objectifs : la montée en gamme des compétences de la population pour contribuer à la compétitivité et à la réindustrialisation du pays, en y ajoutant la nécessité d'inclure un volet culturel et social. Une réforme sur le fond des enseignements professionnels apparait bien à tous comme une nécessité, après tant d'années de réformes essentiellement cosmétiques.

 

Il s'agirait, dans un deuxième temps de définir, toujours en concertation, quatre ou cinq chantiers prioritaires à engager avec l'appui de groupes de travail susceptibles d'émettre des propositions pouvant être prises en compte, si possible, en temps réel. Le temps presse.

 

Surtout ne pas faire présider ces groupes de travail seulement par des recteurs avec des inspecteurs généraux comme rapporteurs :  personne ne peut en effet considérer que la conduite des enseignements professionnels au cours des dernières années ait été judicieuse. A l'inverse, la présentation actuelle de ce projet de réforme est telle qu'elle parait attribuer les difficultés actuelles aux enseignants eux-mêmes...Elle les montre du doigt, en déchargeant ceux qui ont eu la responsabilité de la conduite de ces enseignements, y compris au niveau de l'administration centrale ou des cabinets ministériels, de toutes leurs responsabilités.

 

En résumé j'ai proposé d'entamer au cours des quelques semaines qui viennent une vraie concertation et non un simulacre de concertation, avec des conclusions de fait écrites à l'avance. Il ne s'agit pas pour moi de rejeter à priori l'allongement des périodes de formation en milieu professionnel. Tout au contraire, les ayant introduites dans les CAP et au sein du baccalauréat professionnel. Mais de justifier d'autant plus facilement leur allongement qu'il s'accompagnerait aussi d'une formation générale approfondie, ce qui nécessite aussi un temps plus long.

 

Parmi ces groupes de travail, devraient naturellement émerger, par exemple, des thèmes comme le CAP, le Bac pro, les BTS, les bachelors professionnels et les maitrises professionnelles - car il faut penser à construire des filières complètes afin de rendre plus attractive la voie professionnelle en même temps qu'en confortant sa fonction économique et sociale. Mais aussi des questions relatives aux collèges, aux Campus des métiers et des qualifications, aux recrutements et aux carrières des PLP. Et aussi à la gouvernance même des enseignements professionnels. Qui pourrait soutenir qu'elle n'est pas elle-même à réformer ? Avec là aussi des propositions de réformes rapidement opérationnelles.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

Daniel Bloch, Une histoire engagée de l’enseignement professionnel de 1984 à nos jours. Du baccalauréat professionnel aux campus des métiers et des qualifications, PUG, ISBN 9782706152764, 20€

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 17 octobre 2022.

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