« Il sera désormais possible de passer une épreuve d’éducation musicale sans écouter la moindre œuvre, ni entendre un extrait sonore, ni mobiliser les compétences d’analyse auditive pourtant essentielles aux apprentissages dans cette discipline. Une évaluation musicale sans écoute revient à demander à un candidat d’analyser un tableau sans le voir, ou de commenter une chorégraphie sans l’avoir regardée » écrit Julie Hyvert dans ce billet pour le Café pédagogique.
Professeure d’éducation musicale et chant choral, formatrice à l’INSPE de Grenoble et docteure en anthropologie sociale et culturelle, elle met en lumière les modalités du nouveau concours de recrutement des écoles qui ignorent les spécificités de la musique. « Une épreuve d’éducation musicale sans écoute au CRPE est une aberration pédagogique, et une impasse culturelle »
Le silence de la musique au concours de professeurs des écoles
L’arrêté définissant les modalités du nouveau concours de recrutement des professeurs des écoles en Licence 3 en 2026 précise qu’en arts, les épreuves portent sur deux composantes choisies parmi les trois domaines suivants : arts plastiques, éducation musicale, histoire des arts. Il est indiqué que, « à partir de documents de nature diverse, les questions visent à apprécier la culture générale artistique des candidats, leur capacité à articuler connaissances et réflexion, à analyser l’expérience de la rencontre avec les œuvres ».
Si cette formulation peut sembler équilibrée au regard des autres disciplines de la polyvalence, elle pose un véritable problème dans le cas de la musique, dont la spécificité artistique et pédagogique repose avant tout sur l’expérience sonore. En effet, il sera désormais possible de passer une épreuve d’éducation musicale sans écouter la moindre œuvre, ni entendre un extrait sonore, ni mobiliser les compétences d’analyse auditive pourtant essentielles aux apprentissages dans cette discipline. Une évaluation musicale sans écoute revient à demander à un candidat d’analyser un tableau sans le voir, ou de commenter une chorégraphie sans l’avoir regardée.
Pourquoi c’est un problème ?
Sur le plan épistémologique, cela dénature la musique en la réduisant à un simple objet discursif, figé. Or, la musique est un art du son, du sensible, du temps, de l’émotion et de la perception. Parler de musique sans l’écouter, c’est en ignorer l’essence.
Sur le plan didactique, cela écarte un pilier fondamental de l’éducation musicale à l’école : l’écoute active. Les programmes officiels insistent sur la reconnaissance des timbres, des formes, des contrastes, autant de compétences impossibles à développer ou évaluer sans supports sonores.
Sur le plan professionnel, ce choix crée un décalage profond entre les compétences évaluées au concours et celles attendues en classe. Un enseignant du premier degré doit vivre la musique avec ses élèves, pas seulement en parler.
Depuis le XIXe siècle, l’enseignement de la musique à l’école n’a cessé d’être fragilisé. Il a souvent été marginalisé, relégué aux marges des emplois du temps, et privé de formation solide. Mais aujourd’hui, on touche un nouveau point bas : la musique devient évaluable sans être entendue.
Certes, une formation en éducation musicale sera prévue en Master MEEF après l’obtention du concours. Mais le moment du concours est fondateur : il oriente les représentations, il établit ce qui est légitime, ce qui compte. Ne pas évaluer l’écoute en musique, c’est envoyer un signal fort : cette compétence n’est pas prioritaire.
Ce n’est pas la disparition de la musique, mais sa dévaluation symbolique.
J’appelle à une révision urgente de cette épreuve : elle doit garantir, a minima, la présence de supports sonores, écoutés et travaillés avant ou durant l’épreuve. Il ne s’agit pas de complexifier l’épreuve, mais de respecter la nature même de la discipline.
La musique ne peut pas se transmettre sans être écoutée. L’éducation musicale ne peut pas se vivre sans passer par les oreilles.
Une épreuve d’éducation musicale sans écoute au CRPE est une aberration pédagogique, et une impasse culturelle.
Julie Hyvert
