Un bout de bilan des mandats du président Macron pour l’école ? Les absences d’enseignants connaissent une hausse depuis 2018, la question de leur remplacement devient critique. Le rapport de la commission des finances du Sénat, publié le 12 juin 2025, alerte sur un système à bout de souffle : absences de courte ou longue durée de plus en plus fréquentes, vivier de remplaçants insuffisant, coûts mal mesurés. En 2023-2024, 7,5 millions de demi-journées d’absence ont été comptabilisées. Les élèves perdent jusqu’à 7,4 % de leur temps d’apprentissage dans le Second degré. Si la mission d’information, menée par le sénateur Olivier Paccaud (LR) conclut que « la diminution des absences des enseignants implique d’améliorer significativement leurs conditions de travail et de revaloriser leurs missions », aucune proposition n’est faite dans ce sens. Le rapport pointe qu’ « il est urgent de procéder à une hausse du potentiel net de remplacement des enseignants », mais ses recommandations, à coût nul, risquent de fragiliser encore davantage une profession déjà éprouvée.
Depuis 2018, une hausse continue des absences, liée principalement à la santé
Depuis 2018, les absences d’enseignants dans les écoles et établissements du second degré ont augmenté de 16,8 % en moyenne. Elles sont en majorité liées à des raisons de santé. En 2023-2024, ce sont 7,5 millions de demi-journées d’absence qui ont été enregistrées, avec une progression particulièrement marquée des congés de maladie ordinaire.
Dans le Premier degré, 41,5 % des demi-journées d’absence sont liées à des congés maladie ordinaires, une hausse de près de 30 % depuis 2018 (de 2,43 à 3,12 millions de demi-journées). Dans le Second degré, 61,2 % des enseignants absents le sont pour raison de santé, avec un passage de 9 105 à 12 035 enseignants absents pour ce motif sur la période.
« Malgré une hausse des absences, majoritairement pour raison de santé, les professeurs sont moins absents en moyenne que les autres salariés », rappelle le rapport. Il relève que le taux moyen d’absence des professeurs est inférieur de 13% à celui des salariés du secteur privé.
Le temps partiel thérapeutique, rémunéré à taux plein depuis 2020, est également (remis) en cause dans le rapport. Il représente aujourd’hui 10 % des absences longues des enseignants du Second degré, contre 3,4 % en 2018.
Des absences longues en progression
Le rapport du Sénat relève une hausse de 15,6 % des absences de longue durée (plus de 15 jours) entre 2018 et 2024. Au total, 17,4 millions de journées de ce type ont été comptabilisés en 2023-2024.
Cette tendance traduit l’usure croissante du personnel enseignant face à des conditions de travail jugées dégradées, ce dont témoignent de nombreuses enquêtes et témoignages.
Une crise du remplacement, et une hausse de 93,8% du non-remplacement dans le Second degré depuis 2018
La tension ne vient pas uniquement de l’augmentation des absences, mais surtout de leur non-remplacement. cette question préoccupe les familles qui dénoncent les inégalités et la rupture dans la continuité du service public.
Dans le Premier degré, les absences non remplacées ont augmenté de 49 % entre 2018 et 2024 et de 93,8 % dans le Second degré.Les journées d’absence de longue durée non remplacée ont doublé depuis 2018.Pourtant, la politique du remplacement se concentre depuis 2022 sur les absences de courte durée, avec la mise en place du Pacte et du controversé Remplacement de courte durée (RCD).
Le taux de remplacement est de 78,3% en moyenne dans le Premier degré. Dans le second degré, il varie fortement selon la durée de l’absence, en moyenne il est de 94,8 % pour les absences longues dans le Second degré, mais seulement de 10,6 % pour les courtes.
4,3 % du temps scolaire perdus en moyenne par classe
Ce défaut de remplacement entraîne des pertes d’enseignement significatives. Le rapport estime qu’en moyenne 4,3 % du temps scolaire est perdu chaque année par classe. Cela représente 2,2 % dans le Premier degré et jusqu’à 7,4 % dans le Second degré.
Certaines académies sont particulièrement touchées : Ile-de-France, Outre-mer, Strasbourg, Corse, ou encore des zones rurales comme l’Orne, la Creuse ou le Gard.
En moyenne, ce sont près de 5,5% des enseignants absents dans l’année, avec des disparités territoriales.
Des remplaçants trop peu nombreux et souvent contractuels dans le Second degré
Le vivier de remplaçants n’a pas suivi l’évolution des absences. Dans le Second degré, ils ne représentent que 2,5 % du corps enseignant, et pour 46 % sont contractuels. Dans le Premier degré, ils constituent 10,9 % des effectifs, avec 17 % de contractuels.
Le ratio est stable depuis 2018, mais insuffisant avec l’augmentation des absences. Les enseignants disponibles ne suffisent tout simplement plus à couvrir les absences.
Un coût du remplacement largement sous-évalué
Le rapporteur pointe qu’officiellement le budget alloué au remplacement reste stable, avec 4,2 milliards d’euros, soit 4,7 % de la mission « enseignement scolaire ». Mais la mission d’information signale que ce coût est largement sous-estimé. Les heures supplémentaires (HSE) et les dispositifs du Pacte enseignant ne sont pas comptabilisés, alors qu’ils représentent 130 millions d’euros en 2023-2024. Depuis 2018, le coût de ces heures supplémentaires a été multiplié par 5,5.
Des recommandations …
Face à ce constat, le rapport émet plusieurs recommandations, censées être à faible coût :
- Centraliser la gestion des remplacements au niveau départemental (au lieu des circonscriptions), pour élargir le vivier dans le Premier degré.
- Augmenter d’une heure par mois le service des enseignants pour assurer les remplacements de courte durée, sans compensation salariale.
- Planifier les journées de formation en début d’année scolaire, pour éviter qu’elles pèsent sur le temps de classe (elles représentent près de 10 % des absences, et 86,5 % d’entre elles ne sont pas remplacées).
- Accorder un « bonus mutation » aux enseignants qui assurent régulièrement des remplacements, pour valoriser cette mission difficile.
- Redéployer des enseignants à la faveur de la baisse démographique, pour renforcer le potentiel de remplacement.
Il souligne également que les professeurs du Premier degré qui accueillent des élèves de collègues absents ne peuvent pas bénéficier d’un dispositif, comme le Pacte.
« La diminution des absences des enseignants implique d’améliorer significativement leurs conditions de travail et de revaloriser leurs missions », reconnaît le Sénat.
… Et un paradoxe entre constat et solutions proposées
Si le rapport reconnaît en creux la dégradation des conditions de travail des enseignants, ses préconisations apparaissent pour beaucoup comme contradictoires avec les constats énoncés. La hausse de la charge de travail, l’extension géographique des missions, et l’absence de moyens budgétaires supplémentaires soulèvent des interrogations.
Le rapport est éclairant sur la dégradation du service public et la santé de ses agents depuis 2018, mais sans remise en cause du cadre global, du cap politique ni des politiques d’austérité éducative, portées notamment par le groupe politique auquel appartient le rapporteur spécial.
Djéhanne Gani
