« S’intéresser à la muséohistoire en didactique, c’est considérer qu’apprendre aux élèves à développer une posture historienne lors de sorties scolaires, c’est les rendre moins passifs face aux savoirs qui leur sont transmis, afin qu’ils se demandent pourquoi on leur montre les choses ainsi. C’est donc apprendre à se poser des questions historiennes » explique Lucie Gomes. Professeure d’histoire-géographie en lycée pendant 15 ans, elle est devenue maîtresse de conférences en didactique de l’histoire. Ses travaux portent sur le développement des compétences critiques en classe et sur les liens entre histoire et mémoires.
Vous parlez de muséohistoire comme méthode didactique, pouvez-vous expliquer ?
Nous décidons de faire de cette formation un cas d’étude pour questionner didactiquement la lutte contre le négationnisme. Nous utilisons le Cadre d’apprentissage par problématisation. Apprendre à lutter contre le négationnisme, ce serait apprendre aux élèves des démarches d’élucidation des narratifs négationnistes par des questionnements historiens pour mener une enquête critique.
La muséohistoire est un objet d’étude en histoire. Il s’agit de s’intéresser à ce que les musées essaient de transmettre comme savoirs à leurs visiteurs : que mettent-ils en avant ? Que laissent-ils de côté ? Et de quelles façons ? S’intéresser à la muséohistoire en didactique, c’est considérer qu’apprendre aux élèves à développer une posture historienne lors de sorties scolaires, c’est les rendre moins passifs face aux savoirs qui leur sont transmis, afin qu’ils se demandent pourquoi on leur montre les choses ainsi. C’est donc apprendre à se poser des questions historiennes et devenir ce qu’on appelle un visiteur expert.
Quels enjeux ? Comment cela se passe avec les élèves dans des lieux de mémoire comme Oradour-sur-Glane sur lesquels portent vos recherches ?
Dans le cadre de ma recherche à Oradour-sur-Glane, les enquêtes de muséohistoire qu’ont menées des élèves et que j’ai étudiées consistent à se demander pourquoi le massacre du 10 juin est montré de cette façon-là. Les élèves doivent donc confronter ce qu’ils savent avant la visite, ce qu’ils ressentent et comprennent pendant celle-ci afin de développer des hypothèses pertinentes discutées avec leurs camarades. Apprendre à construire et évaluer des hypothèses historiennes sur ce lieu de mémoire peut leur permettre d’expérimenter ce qu’est d’être critique avec ce qu’on dit sur le passé, voire avec le présent.
La recherche sur les compétences critiques et l’enseignement de l’histoire, est-ce nouveau ?
Oui et non. La didactique de l’histoire est un champ de recherche relativement récent et nous sommes très peu nombreux en France. Mais nous nous appuyons sur des travaux parfois assez anciens sur les obstacles épistémologiques ou sur les modes de raisonnement des élèves sur le passé. De nombreux professeurs construisent déjà de leur côté des dispositifs pour développer les compétences critiques des élèves : c’est demandé dans les programmes et ils savent que c’est constitutif de la pratique de l’histoire.
Notre travail de didacticien et de didacticienne n’est pas de leur dire comment faire, mais nous produisons des données de recherche pour les analyser et comprendre de façon plus fine comment les élèves apprennent et ce qui bloque. On utilise ensuite ces savoirs didactiques en formation pour les futurs enseignants et enseignantes.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
