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Université d'Automne SNUIPP 2011
En immersion chez les instits

L’Université d’Automne du Snuipp avait un air d’école de demain. Pas du côté des nouvelles technologies, ne les cherchez pas elles n’étaient pas conviées; non mais les thèmes abordés, la curiosité, le désir de comprendre, la mise en perspective de ses propres pratiques au regard des théories exposées offraient aux participants les rôles simultanés d’acteurs de l’école et d’apprenants. L’Université d’Automne était une belle illustration de la formation tout au long de la vie, sur son volet non formel celui derrière lequel on se poste dans une attitude ouverte où l’on sait qu’enseigner c’est aussi apprendre.

Plus de 300 personnes venues de 52 départements ont ainsi pris la route vers le Sud, aux frontières de la Catalogne, pour commencer leurs vacances par une dose de savoirs. Motivés c’est certain car à Port Leucate, l’heure n’est pas à la communion ou à l’introspection partagée, les conférences bousculent les représentations et réclament une attention soutenue.

A 90% syndiqués, les participants auraient ils laissé à la porte revendications et résultats aux élections professionnelles ? Non ; les unes et les autres alimentent les conversations à l’heure des pauses et surgissent de ci de là dans les questions et interventions lors des débats. Ici à Port Leucate, à l’ombre des Pyrénées, ce que l’on cherche avant tout ce sont des réponses, des éléments que les formations académiques ne fournissent plus ou pas. Sur le terrain, on vit et on ressent la nécessité de changer, d’évoluer, de construire une école hors du modèle de Jules Ferry désormais inadapté. Alors, à Port Leucate, l’air marin stimule la curiosité, on ouvre ses écoutilles pour aborder avec intelligence les questions vives d’une époque scolaire en pleine (r)évolution. On vient apprendre pour mieux enseigner.

François Dubet :"Le cancre poétique a disparu de l'univers scolaire"

A l’heure de la finale mondiale de rugby,  François Dubet donnait conférence et la salle était comble. La concurrence était rude mais la déception n’était pas de mise. En deux heures le sociologue a dressé un portrait détonant de l’école telle qu’elle ne peut plus être et telle qu’elle pourrait devenir.

 

L’école de Jules Ferry est morte, vive l’école

Pour François Dubet, nous arrivons au bout d’un cycle, celui de Jules Ferry. La massification du système scolaire s’est faite sans changer l’école. Lorsque l’école primaire n’est plus devenue la dernière étape, aucun changement n’a été opéré sur les programmes, la formation, la pédagogie, alors que plus d’élèves étaient accueillis.

Dans le portrait d’une école qui va mal, les inégalités scolaires sont pointées en premier sans qu’elles puissent être corrélées avec les inégalités sociales. Au Québec les inégalités scolaires sont plus faibles que les inégalités sociales. En France, on constate le contraire. Il y a beaucoup d’élèves trop faibles et, contrairement à l’idée reçue, nos élites sont pas si bonnes que cela comparées à d’autres pays. La massification a augmenté le niveau scolaire sauf que depuis 1996,.le niveau ne monte plus, il a tendance a baisser. Le plaisir d’apprendre devient une donnée rare. Les élèves ont peur, sont stressés, les familles aussi. Les enseignants vont mal, la carrière n’attire plus en témoigne le peu d’écho des dernières campagnes de recrutement. La perte de confiance dans l’école n’apparait pas dans les sondages mais se lit dans les pratiques avec par exemple une montée en puissance de l’enseignement privé. Dans certains quartiers, l’école est plus détestée que la police et le conseiller d’orientation est le personnage le plus haï.

Malgré ce sombre constat, François Dubet est optimiste. La campagne électorale se jouera sur l’école. L’histoire scolaire est en train de basculer. Il ya dix ans, le sentiment d’une école française performante était partagé, aujourd’hui le malaise est reconnu. La réaction nostalgique, le rêve d’une école à la Jules Ferry est dans ce contexte tout à fait normal. Une partie de l’opinion scolaire est réactionnaire, s’invente une histoire. « Réapprenons à lire, à compter comme autrefois, foutons des claques aux gamins comme autrefois », pour François Dubet, le propos fait fausse route mais trouve un écho dans une tradition française de conservatisme. Il ya cinquante ans, ne pas avoir de certificat d’études n’affectait pas l’avenir professionnel. Aujourd’hui un enfant qui échoue à l’école vit une tragédie, il est socialement perdu. « Le cancre poétique a disparu de l’univers scolaire ». « Il faut avoir le courage de dire que l’école républicaine a été une école formidable qui a construit la république. Mais arrêtons de nous laisser berner par Brighelli, Finkelkraut qui rêvent, disent des absurdités. »

Cachez ces inégalités que je ne saurai voir

Les inégalités scolaires continuent de progresser alors que des moyens ont été mis pour les amoindrir. Elles s’accroissent tout au long de la scolarité, après chaque étape sélective. « Au bout de 5 étapes sélectives, l’écart passe de 1,3 à 10 entre enfants de milieu populaire et bourgeois » précise François Dubet. La suppression de la carte scolaire a accentué les écarts même si auparavant un tiers des parents trichaient. « Chacun de nous est pour l’égalité sauf pour nos gosses. ». Mais remettre la carte scolaire serait dire aux pauvres qu’ils n’ont plus de chance de s’en sortir Le rapport à l’école a changé. Il est devenu un rapport de consommation. François Dubet cite l’exemple du collège Clisthène qui accueillait au départ des élèves de milieu populaire. Au vu des résultats obtenus au Brevet, la classe bourgeoise fait des pieds et des mains pour faire entrer leurs enfants à Clisthène. Tout le monde sait que les écoles ne sont plus équivalentes. « Il faut prendre en compte cette réalité au lieu de faire le dimanche un discours égalitaire et le lundi de mettre ses enfants dans les meilleures filières. »

L’excellence pour tous est un oxymore. La création du collège unique s’est faite dans l’idée d’un prolongement de l’école élémentaire. Tout le monde ira au collège comme tout le monde auparavant allait à l’école primaire. Le modèle réservé jusque là aux seuls élèves, environ 10%, qui allaient en second cycle est strictement transposé. Et pour palier aux difficultés, des sections spécialisées ont été mises en place. Un processus de tri s’est mis en place. Le collège est le premier cycle du lycée, le lycée, le premier cycle des écoles prépas, le primaire premier cycle du collège, la maternelle le 1er cycle du primaire. Il faudrait arrêter de noter pour stopper le processus de tri. Même s’il n’est pas satisfaisant, il faudrait permettre au moins l’acquisition du socle commun. Attendre de tous les gamins un niveau élevé en expliquant aux élèves les plus faibles qu’ils sont nuls n’est pas satisfaisant. « La justice d’une école ne se mesure pas au nombre d’enfants pauvres qui entrent à Normale Sup mais au devenir des enfants pauvres à la sortie de l’école » nous dit François Dubet.

Le crédo de la réussite

L’Ecole de Jules Ferry a été construite sur le modèle de l’Eglise, une école dans laquelle l’autorité des maitres n’est pas l’autorité de la personne mais de la fonction ; la vertu du maître d »école est implicitement admise. L’instituteur est à l’abri des demandes sociales« Nous avons fait une école sanctuaire. Il n’y a pas de parents, d’argent ». Pour l’école de Jules Ferry, le monde c’est le pêché où l’argent et le sexe sont bannis. Les filles sont d’un côté, les garçons de l’autre. L’élève est sacré et l’enfant est profane avec une opposition entre l’âme et le corps. L’économie reste à la porte. Le modèle possède son aspect sombre : « dans les quatre murs d’une classe, on peut mettre des claques, un bonnet d’âne. »

Ce monde là n’existe plus. il s’est défait sous l’effet de la massification, il n’y a plus de sanctuaire scolaire. « Le maitre il est vous et moi, c’est lui qui fabrique sa propre autorité » nous dit François Dubet. Les parents interviennent de plus en plus. Les maitres ne sont plus les seuls détenteurs de la culture. Les enfants ont accès à d’autres sources de connaissances. Il est impossible désormais de revenir au modèle sanctuaire.

Quand le cadre institutionnel se désagrège, les individus se retrouvent au devant de la scène. La motivation pour le métier a changé, la motivation à aller à l’école aussi, liée souvent à l’obtention d’un diplôme qui permettre de vivre. Les enseignants ont le sentiment à la fois que les inégalités claquent à la figure mais que l’organisation même du système symbolique se défait. « Le métier est épuisant parce qu’on est plus dans le « sortez les cahiers ». Le pilotage se fait de moins en moins dans la norme et de plus en plus par les résultats. Ce pilotage privilégie le marché scolaire et renforce le risque d’entrer dans une logique QCM où les moyens de pilotage deviennent l’outil pédagogique. Les réformes s’amoncellent sans que le cœur du problème soit attaqué. Les politiques scolaires sont devenues illisibles pour les enseignants, les parents.

Inventer l’école pour tous

François Dubet poursuit son portrait sombre de l’école avec un focus sur les élèves en échec scolaire. Les « dys » se multiplient, pour chaque problème un « dys » constate t’il. Il existe un risque réel d’hyperspécialisation pour répondre à des problèmes ciblés. Depuis la réforme Darcos, les élèves en difficulté font du rattrapage tandis que les autres s’amusent. Le prof fait classe à un tiers des élèves. En Rhône-Alpes, ce sont 100 000 jeunes qui ont disparu des statistiques, sortis de l’école sans diplôme et sans laisser de traces. Le modèle de l’égalité des chances méritocratiques est selon François Dubet un modèle à combattre. Certes, la position sociale doit venir de son propre parcours et pas d’un héritage mais c’est un leurre de croire que l’origine sociale s’efface le temps de l’école. Pire encore, le modèle produit des effets pervers. Il responsabilise l’élève dans sa réussite comme de son échec. La violence scolaire vient de là aussi. Avec la méritocratie il n’y a pas de devoirs envers les vaincus. Alors, que deviennent-ils ? La priorité devrait être donnée aux vaincus, aux élèves les plus faibles.

François Dubet appelle à la réforme, une réforme résolue pour construire une école meilleure. Les enseignants apprendraient leur métier avec une formation initiale solide. L’école élémentaire et le collège seraient couplés afin que ce dernier ne soit plus fait uniquement pour de futurs Bac S. L’établissement existerait au-delà de l’échelon administratif avec une réelle communauté éducative. Les enseignants y seraient présents bien au-delà de leurs heures de cours.

L’école d’aujourd’hui vue par François Dubet est définitivement celle du passé. Celle du futur reste à construire. Mais quelque soit le temps, le regard vif du sociologue ouvre des pistes pour un débat tout à fait d’actualité à la veille des présidentielles.

Apprendre s'apprend aussi hors de l'école

Les apprentissages ne sont pas cloisonnés dans les murs de l’école. Des colonies de vacances aux structures d’accompagnement scolaires, ils investissent d’autres lieux en lien ou non avec l’institution scolaire. L’éducation se vit en continu et le rapprochement entre tous les modes d’acquisition de savoirs est un enjeu. La table ronde organisée dimanche matin se faisait l’écho d’une longue histoire de voisinage entre temps de loisir et temps d’école.

Le temps des loisirs, le temps de l’épanouissement

Dès l’avènement de la scolarisation obligatoire, le temps libre devient un enjeu éducatif. Les colonies voient rapidement le jour avec des objectifs hygiénistes. On se préoccupe de la santé de l’enfant, de son épanouissement physique et intellectuel. Le jeu s’impose comme un espace de liberté où l’enfant va développer sa capacité d’agir. Avec le jeu on est dans le second degré avec une absence relative de conséquence, une certaine frivolité qui facilite l’apprentissage. Le jeu pour apprendre de façon impromptue est resté dans le temps des loisirs.

Isabelle Montfortet précise que des études montrent une corrélation positive entre activités extra-scolaires et niveau de performance scolaire. C’est moins le contenu des activités que la façon d’apprendre, de les mettre en œuvre qui favorise un réinvestissement dans le cadre scolaire. Elles permettent de se familiariser avec des situations collectives. Pour les adolescents, elles offrent une autre scène pour évoluer, hors contexte familial et scolaire. Les activités de loisirs favorisent l’estime de soi, développent un caractère identitaire. La convivialité et le partage des significations génèrent des apprentissages. Toutefois, un équilibre est nécessaire dans les loisirs pour éviter un surcroit de stress. Les enfants qui participent le plus à des activités sont ceux qui disent vouloir le plus rester chez eux, ne rien faire.

Avec le temps est apparu le concept d’enfant apprenant. Les activités de loisirs sont agréées avec un projet éducatif. La frivolité, l’incertitude, liées au domaine ludique se fraient un chemin lorsque la formalisation n’est pas poussée à l’extrême. Le cadrage doit laisser une place à l’enfant en tant que sujet, acteur qui vit et apprend dans l’instant.

Reprendre le chemin des apprentissages

Autre situation d’apprentissage hors temps scolaire, les initiatives du type réussite éducative s’inscrivent dans une complémentarité avec l’école. A Hérouville Saint Clair, la Ligue de l’Enseignement mène une action sur la scolarisation des enfants en difficulté. Delphine, coordinatrice du dispositif est venue témoigner sur l’accompagnement. L’accompagnement concerne l’enfant en premier lieu mais aussi les parents. Le lien est souvent distendu entre la famille et le système scolaire, un système méconnu et qui fait peur. Les attentes sont fortes et il faut dialoguer pour que la pression sur les notes se relâche. Le dialogue entre les parents demande parfois à être apaisé. Dans la maison, l’enfant doit trouver la place pour apprendre, au propre comme au figuré.

Les compétences de l’enfant sont valorisées. Il commence par s’auto-évaluer afin de définir ses difficultés et poser ses objectifs pour l’accompagnement qui durera douze semaines. Une courbe de progression lui permettra de mesurer ses progrès au regard de son objectif. Un contrat pédagogique est signé par l’enfant, sa famille, l’institution et l’accompagnateur.

Les activités proposées sont multiples et visent aussi une ouverture sur le monde et sur le territoire. L’enfant pourra aller à la bibliothèque, travailler sur des recettes de cuisine, le jardinage, s’orienter vers des structures associatives et sportives. Un accompagnateur doit imaginer des situations qui redonnent du sens aux apprentissages, mettent le jeune en mouvement Des parents d’enfants accompagnés interviennent sur des activités, valorisant ainsi leurs propres compétences. La démarche de projet est privilégiée, démarche importante pour des jeunes qui souvent ne vivent que dans l’instant. Un axe santé peut aussi être abordé. Le manque de sommeil est un problème récurrent, il faut apprendre à respecter des règles d’hygiène de vie. Et, lorsque le problème est plus grave, des structures de santé prennent le relais.

Delphine analyse les difficultés rencontrées. La première tient dans les relations avec la ville qui finance l’action. Il existe un réel risque d’instrumentalisation de l’action, un affichage de l’initiative qui irait à l’encontre de la discrétion et de la confiance envers les familles. La deuxième difficulté concerne les accompagnateurs qui doivent garder une posture neutre ; observer une certaine éthique de l’accompagnateur. Il faut rester dans un rôle complémentaire et résister à l’envie de faire une école bis. Le manque de relations avec l’équipe éducative est un troisième obstacle. Des relations existent avec des écoles primaires, des enseignants de collège mais elles correspondent à des initiatives individuelles. Or, ces relations sont indispensables pour que les effets positifs de l’accompagnement soient pleinement réinvestis dans la scolarité.

Silence, l’éducation complémentaire est en danger

De ce partenariat souhaité et faiblement vif entre association complémentaire, école et collectivité territoriale ; naissent incompréhensions et risques. Philippe Clément de la Ligue de l’Enseignement souligne le changement profond opéré dans le financement des associations complémentaires. Auparavant, la reconnaissance de leurs activités dans la formation des citoyens suffisait au Ministère pour évaluer et attribuer des moyens. Aujourd’hui, c’est la logique d’appel d’offres qui prédomine, avec ses incertitudes et ses cahiers des charges peu adaptés. Dans le Calvados, les relations avec les associations complémentaires font l’objet d’une convention pluriannuelle qui permet de revenir à la définition d’objectifs politiques. Ce n’est pas le cas partout.

L’éducation populaire a du mal à se retrouver dans la logique d’appel d’offres, purement technique. Elle prône le primat de l’éducabilité, la capacité de se former à toutes les étapes de la vie. Elle se situe sur le champ de l’éducation non formelle tout au long de la vie pour former le citoyen à participer à la vie de la cité. Tout individu est dépositaire de savoirs qu’il faut parfois remettre en mouvement en passant par une étape de reconnaissance des ses savoirs enfouis.

Au-delà de cette difficulté à faire co-exister deux logiques apparemment antinomiques, celle du cahier des charges et celle d’une éducation non formelle, les associations complémentaires sont mises en situation délicate par les baisses de financement. Progressivement, les subventions se tarissent, mettant en danger des activités reconnues depuis le début de la scolarisation obligatoire comme constitutives de l’éducation.

Le mouvement est lent, insidieux mais en disparaissant, ces associations emporteront avec elles des méthodes, des approches, des savoir-faire, qui offrent aux enfants, et aussi aux adultes, une nouvelle chance de nouer avec la réussite scolaire. Aujourd’hui, elles s’organisent pour faire face et se mobiliser, rompre aussi avec le silence qui accompagne la mort lente d’un secteur essentiel pour une éducation s’affranchissant des murs.

Echec scolaire : la culture contre l'évitement

Serge Boimare pose LA question « Faut-il faire une révolution pédagogique pour réduire l’échec scolaire ? » Et sa réponse est oui. Tout au long de sa carrière d'enseignant et de directeur de CMPP, il a rencontré des enfants, des adolescents normalement intelligents, normalement curieux mais en échec scolaire. « 15% des élèves sortent de l’école sans avoir acquis les savoirs de base, 15% d’intouchables par nos propositions pédagogiques.

Repérer les stratégies d’évitement

Les difficultés d’apprentissage sont la plupart du temps analysées en termes de déficits alors que deux fois sur trois la difficulté d’apprentissage sévère est liée à un fonctionnement intellectuel particulier; une stratégie d’évitement de pensée. Deux questions se posent. Comment faire la différence entre ceux qui sont dans cet évitement de pensée et ceux qui ont des manques à combler ? Quelle pédagogie pour relancer cette capacité à penser alors que souvent ce sont des activités de compensation, de rattrapage qui sont proposées.

Serge Boimare détermine plusieurs points de repère. L’enfant qui emprunte la stratégie de l’évitement déclenche des idées d’autodévalorisation au moment de la construction intellectuelle. Il développe une forme d’inquiétude, de malaise marqué par des sentiments parasites, des émotions excessives. Il cherche à éviter le temps fort de l’apprentissage, le temps de la construction. Un relais est passé au corps : l’enfant va se mettre à bouger, faire tomber le matériel. Il peut aussi manifester des symptômes psychosomatiques : maux de tête, crampes. L’enfant ou l’ado en stratégie d’évitement ont beaucoup de mal à se rattacher à la règle. Il est tourné vers lui ; il réagit aux ressorts les plus archaïques de la motivation. Son langage a du mal à passer le stade argumentaire. Il existe une réelle difficulté à utiliser le langage pour communiquer avec les autres.

Les causes de cet évitement tiennent souvent au manque d’entrainement à l’épreuve de la frustration. Les interactions langagières précoces ont leur importance en apprenant à être dans le hier, le demain et pas seulement dans le ici et maintenant. Il existe quatre contraintes de l’apprentissage : reconnaitre ses manques, être capable d’attendre, respecter des règles, être capable d’entrer dans un temps de solitude. Pour apprendre, il faut accepter ces contraintes

Ces élèves construisent de stratégies particulières pour apprendre. Le conformisme de pensée se retrouve chez les enfants qui aiment faire et refaire ce qu’ils savent faire. Ils vont le moins possible dans la recherche, l’investigation. Le conformisme de pensée amène une inhibition du potentiel intellectuel. D’autres élèves réagissent rapidement, par association de pensées. Ils vont vite mais ont du mal à entrer dans l’apprentissage technique, de la lecture notamment. Une troisième stratégie consiste à développer une forme de rigidité mentale. Elle s’accompagne souvent de problèmes de comportement chez des adolescents notamment qui considèrent l’entrée dans le monde de l’apprentissage comme un affaiblissement voire une féminisation. Ici, c’est la peur de l’entrée dans le monde des idées considérée comme une perte de pouvoir qui prédomine.

Miser sur la culture et le groupe

Pour remettre en route la capacité de penser de ces élèves, l’enseignant doit considérer leurs besoins fondamentaux être intéressés, être nourris ; trouver du sens dans les apprentissages, appartenir au groupe. En premier lieu, il faut travailler la cohésion groupale, qui bénéficie à tous les élèves. La pédagogie différenciée vient après. L’approche collective permet aussi un entraînement à l’expression personnelle, au débat. Il faut aussi travailler dans la durée. On ne permettra jamais à ceux qui ont des difficultés de s’en sortir si on recherche des résultats immédiats.

Pour réussir cette remobilisation des élèves en stratégie d’évitement, Serge Boimare mise sur la culture et le langage. Il propose de consacrer chaque jour une heure à l’apprentissage humaniste avec un apport culturel qui engage un travail d’expression. L’enseignant commence par la lecture à haute voix favorisant un travail de restauration de reprise de l’écoute pour ceux qui ont des difficultés à écouter dans un groupe. Un temps d’entrainement à l’expression et au débat vient ensuite, moment riche pour structurer la pensée. Là aussi, la patience est de mise : il faut sans doute une année pour constater que la pensée se structure avec le langage. Enfin, un passage à l’écrit progressif y compris par le dessin clôture la séquence. L’intérêt pour les apprentissages est renforcé. Tout le monde participe et un patrimoine commun est construit par le groupe.

Pour l’enseignant, être confronté aux difficultés d’apprentissage sévère n’est pas simple. Les enseignants souffrent de cette difficulté qui les pousse à déclencher en réponse une forme de culpabilité ou une forme d’agressivité. La stratégie d’évitement est vécue comme une contestation du savoir La culture est quelque chose de très stimulant pour les élèves en difficulté, pour tous les enfants. Elle protège aussi les enseignants; l’évitement de penser est contagieux. Ce type de travail s’engage en équipe. Le travail d’expérimentation, de réflexion commune produit des effets sur les enseignants et redonne plaisir à travailler. La culture et la co-réflexion sont deux éléments importants pour maintenir notre plaisir à enseigner.

L’heure d’apport culturel ne s’oppose pas au cadre académique. Son contenu peut être trouvé dans les programmes. Ce travail ne se fait pas dans la contestation, la marge. Il est très facile de faire des parents des alliés : les enfants vont avec plaisir à l’école, et ramène des éléments, des questions à la maison.

La révolution proposée par Serge Boimare n’en est pas une si l’on se contente de considérer la solution pédagogique énoncée. Si l’on s’attache plus largement à regarder ce qu’elle implique elle en est une : prendre en compte les difficultés d’apprentissage les plus profondes pour fonder une pédagogie incluant tous les élèves. « L’école ne sait pas s’adapter à ceux qui n’ont pas ces compétences psychiques » nous dit Serge Boimare. Pour qu’elle le fasse, le temps et la mise entre parenthèses des évaluations s’imposent. Miser sur le groupe et laisser les savoirs prendre racine dans le plaisir d’apprendre, utiliser la culture comme clé de déverrouillage, trois propositions pour une révolution en douceur.

Déontologie : un code à construire

Ethique et code, norme et morale, la question d’une régulation des pratiques professionnelles se pose pour les métiers où les relations humaines sont au cœur de l’exercice. Le métier d’enseignant n’y échappe pas. Qu’est ce qu’on peut, doit , ne peut pas faire ?

De l’implicite vers l’explicite

La question effraie aussi marquée par la multiplication des injonctions venues d’en haut venues d’ailleurs. Erick Prairat enseignant en sciences de l’éducation à l’Université de Nancy plaide lui pour l’élaboration d’un code de déontologie construit par la profession et évolutif.

Ne pas se tromper de mot. Passer de la morale à la déontologie permet de quitter la sphère personnelle pour se situer dans un domaine commun, partagé. L’élaboration d’un code favorise l’émergence de règles, une migration de l’implicite, de ce qui est pensé être communément admis à de l’explicite. Pendant longtemps, le monde de l’école était un univers de semblables, on était ici mus par la même motivation, on utilisait le même langage. Les enseignants enseignaient sans qu’à aucun moment leurs compétences ne soient remises en cause. La diversité dans la profession et l’émergence de la judiciarisation ont changé la donne. « Quand nous sommes dans un corps où on se ressemble les uns et les autres et dans un univers où les usagers recourent peu au droit, la déontologie peut être perçue comme une contrainte. Mais quand on se ressemble de moins en moins et où les usagers recourent de plus en plus au droit pour réguler les conflits alors la déontologie devient un outil de régulation. » Pour Erick Prairat, un code s’impose.

Les contours d’un code

Pour lui, le code doit être minimaliste et respecter une sobriété normative en énonçant un nombre limité de recommandations. Il doit rester dans le domaine du raisonnable, évitant l’extravagance pour qu’il fasse facilement l’objet d’un consensus professionnel. Enfin, il doit faire silence sur deux choses : la raison du choix du métier et les éléments didactiques afin de préserver la liberté pédagogique et la liberté d’être différent.

La co-construction est de rigueur : un code de déontologie ne s’impose pas, il émerge d’une profession qui inventorie les règles à respecter, s’auto-gouverne en définissant les bonnes pratiques. Il a pour préambule une définition identitaire, une précision sur ses missions. Une profession est un groupe de professionnels, une communauté de pratiques qui revendique une utilité publique. L’enjeu de la déontologie est de trouver des points communs pour faire profession tout en restant différents. Elle n’invente rien, elle valide des éléments existants. Il ne s’agit pas de jeter l’anathème mais d’effectuer un tri entre bonnes et mauvaises pratiques sur un plan socio-moral.

Les contours d’un métier

Sans doute la profession enseignante est trop importante pour élaborer conjointement son propre code de déontologie. Le mouvement viendra peut-être de communautés plus restreintes, de corps soumis particulièrement à la judiciarisation des rapports entre la société et l’école : les directeurs d’établissement par exemple. Il peut aussi venir de professionnels dont les pratiques s’orientent vers la citoyenneté comme les CPE. Dans l’immédiat, la réflexion sur la création d’un code de déontologie est menée essentiellement par l’enseignement catholique.

La proposition d’Erick Prairat a de quoi surprendre. Pourtant, au fil de son exposé, l’assistance s’est laissée convaincre tant la définition du métier d’enseignant et les contours de sa mission devient une nécessité. Le métier a changé sans qu’on ait pris le temps de qualifier ces évolutions et de mesurer leurs impacts. Les relations avec l’environnement, les parents balancent entre exigence de réussite, présence trop discrète et investissement dans l’école. Selon les lieux, les équipes, les projets, les fonctions de l’enseignant varient d’un périmètre bordé par les contours de la classe à un rôle actif dans la vie sociale du quartier, de la ville.

Enseignant : une seule et même profession qui revêt des réalités différentes. Au-delà de l’aspect identitaire, l’enjeu est aussi de clarifier les relations entre une profession et ses interlocuteurs dont les attentes se télescopent au-delà du raisonnable.

 

De la déontologie enseignante

http://www.puf.com/wiki/Quadrige:De_la_d%C3%A9ontologie_enseignante

 

Voyage en visages, un monde en dessins

Gilles Porte est directeur de la photographie, réalisateur, notamment du film « la mer monte ». Il est papa aussi. Un jour, en accompagnant Syrine, sa fille, à l’école maternelle, son attention est attirée par les petits dessins qui identifient chaque porte-manteau. Les vêtements se ressemblent, s’uniformisent, les dessins non. De cette observation nait une idée qui va voyager du XVIIe arrondissement de Paris au Sri-Lanka en passant par les îles Fidji et le Bénin, un projet artistique qui s’orne peu à peu de couleurs politiques.

Un papier noir, un crayon blanc

« Dessine-toi ». Dessiner son portrait en blanc sur papier noir, être photographié et porter en regard autoportrait et portrait. Ce sont d’abord les enfants de la classe de Syrine qui se prêtent au jeu. Les réalisations sont autant de vignettes qui composent des posters élaborés par Gilles Porte. Ils sont exposés dans le square voisin de l’école. Des exemplaires papier sont vendus aux parents pour le compte de l’association des parents d’élèves. L’idée est confrontée au cadre : pour exposer, Gilles Porte a du créer une association ; la vente des photos a été limitée par les contraintes du droit à l’image. L’exposition est un succès. Placées à hauteur d’enfant et en extérieur, les bâches sont accessibles à tous, l’art à portée de main. L’une d’elle est volée, à la place un texte inspiré des « stances à un cambrioleur » de Brassens est affiché. Quelques jours après, la bâche dérobée est restituée.

Gilles Porte emmène sa fille au Kenya rencontrer d’autres enfants, d’autres horizons. Il emporte aussi ses papiers noirs et ses crayons blancs. Le projet fait son premier voyage et visite les enfants massaï. Il ira ainsi dans 38 pays, rencontrera 4000 enfants, toujours dans le cadre d’une classe avec la complicité d’un enseignant. De temps à autres, Syrine l’accompagne. Le projet s’étoffe aussi. Dans sa deuxième version, les enfants après avoir dessiné leur portrait sur le papier, le font sur une vitre. Ils prennent le temps qu’ils désirent et sont filmés avec en arrière plan une bâche identique pour tous les pays. Pour financer son projet de film, Gilles Porte va voir les chaînes de télévision qui lui demandent de trouver un sponsor. Il refuse les marques qui enfreignent les droits fondamentaux en particulier de l’enfant. Car en voyageant avec son projet, le réalisateur rencontre la vie fragile menée par les enfants dans de nombreux pays, leur souffrance aussi parfois. C’est vers les associations qu’il se tourne : clowns sans frontières, solidarité laïque, l’Unicef ou la ligue des droits de l’homme. Son projet est né en 2007 et en 2009 sont célébrés les vingt ans de la déclaration des droits de l’enfant. L’une nourrit désormais l’autre. Les portraits-autoportraits deviennent autant de témoignages sur ce qu’est être enfant tout autour du monde.

Tour du monde en 4000 visages

Au fil des 80 courts-métrages réalisés, on retrouve ces témoignages. Au Burkina, les enfants se dessinent tout petit. Au Bénin, Gilles n’a pas trouvé de papier alors les enfants ont dessiné sur une ardoise. En Egypte, une petite fille se dessine voilée alors qu’elle ne l’est pas. Au Niger une petite fille de cinq ans porte le voile. Au Niger, un enfant n’a pas de prénom. C’est un enfant sourd. Les enfants sourds ne reçoivent pas de prénom. Les enfants inuits se dessinent sur un empilement de roues, ils reprennent le principe des inutsuks, bonhommes en empilement de pierres qui permettent de se repérer dans la steppe. Beaucoup d’enfants de roms se dessinent avec une maison alors qu’ils vivent en tente ou en caravane. En France et au Japon, les autoportraits sont souvent ornés de couronnes et pas en Afrique même quad il y a des rois. Tasmine, la petite palestinienne, se dessine enfermée. Son école est collée au mur et pour y aller, elle passe chaque matin quatre check point.

Des anecdotes, Gilles Porte en ramène de chaque pays, de jolis souvenirs de rencontre aussi. Les enfants qui le touchent ont de temps à autre un air de ressemblance avec l’enfant qu’il était : un jumeau qualifié d’hyperactif. Alors dans ses voyages, il prête attention aux jumeaux et à leurs dessins pour montrer dit il « que ce n’est pas parce qu’on est jumeaux, qu’on est identique ». A Madagascar, selon le territoire où ils naissent, les jumeaux portent chance ou portent malheur. Des orphelinats accueillent les jumeaux abandonnés marqués par la superstition. En Italie, il rencontre Lorenzo, un enfant hyperactif que sa mère ne veut pas laisser dessiner de crainte qu’il ne casse la vitre. Gilles Porte la rassure, l’enfant prend le marqueur et crève l’écran de sa présence éclatante. En Australie, il est saisi par la beauté d’un dessin exécuté par une petite aborigène, le miroir d’un Miro. Aux Iles Fidji, un petit garçon pleure de frustration, il ne parvient pas à dessiner une tête parfaitement ronde, efface et efface de son bras déjà teinté de feutre.

Ces rencontres Gilles Porte souhaite qu’elles ne soient pas sans lendemain. Les classes qui ont participé au projet verront les films présentés par des associations partenaires comme l’Unicef s’il ne peut pas y aller. En France, le DVD sortira début décembre. Lui projette déjà un documentaire qui viendra visiter une partie des enfants dix ans après, pour voir comment ils ont grandi, comment ils dessinent et s’ils dessinent encore. Le projet « dessine-toi » n’en finit pas d’évoluer. Des scientifiques suisses ont contacté le réalisateur pour pouvoir étudier les dessins. Des exploitations artistiques, en danse notamment, sont à l’étude. Rien de moins étonnant, « Dessine toi » grandit naturellement, nourri par la belle idée que le dessin d’enfant est universel.

Enfant de migrant, enfant tout simplement

L’enfant de migrant est avant tout un enfant. Pour comprendre ses particularités, établir une dialogue avec sa famille, François Giraud, psychologue clinicien à l’hôpital Avicenne de Bobigny propose une approche transculturelle. A partir du travail qu’il réalise depuis plus de vingt ans, il expose comment ôter de notre regard les à priori qui brouillent nos représentations et notre compréhension de ce qui fait souffrir enfants et parents de migrants.

Etre migrant

L’histoire des migrations dans le 93 épouse l’histoire avec un grand H : africains du nord, maliens de Kayes, sénégalais, tamouls se succèdent et se rejoignent dans ce département proche de la capitale. Tous nous renvoient ce sentiment d’étrangeté que la langue, les mots ne suffisent pas à amoindrir, affectés par la façon dont chacun les utilise, selon sa culture. Dans l’approche transculturelle, il s’agit d’abord d’écarter les à priori liés à la caractérisation extrême des cultures, cette façon de résumer à une caractéristique une population venue d’ailleurs. Il existe une universalité des psychismes. Chaque individu va selon sa culture fabriquer cette universalité psychique, dans une écologie intellectuelle, cognitive. L’approche pluridisciplinaire permet de porter attention aux conditions culturelles dans lesquels les enfants se trouvent.

Qu’est ce qu’être un enfant de migrant ? L’interrogation est vaste. L’enfant migrant existe depuis longtemps. Il était breton ou limousin du temps de l’exode rural. La migration est à la fois un mouvement de séparation (émigration) et d’agrégation (immigration). C’est un mouvement d’arrachement et sentiment de perte que l’on peut ressentir douloureusement mais qui peut ne pas être ressenti tout de suite. On peut émigrer seul comme les maliens de Kayes, région où un enfant est désigné dans une famille pour partir gagner de l’argent. On peut aussi émigrer en famille ou rejoindre une communauté. C’est un mouvement d’acculturation, de découverte. En quittant un pays, on vient dans un autre, on devient étranger, doublement étranger, dans son pays d’origine et dans son pays de destination.

Traumatismes et vulnérabilités

Les traumatismes migratoires sont réels. Le sentiment d’étrangeté peut parfois être agréable lié à la nouveauté, à la découverte. Mais tous les migrants ressentent une perte des évidences. Comment fait-on la cuisine par exemple. Pour les réfugiés, les traumatismes sont liés aussi à la perte du statut social, perte d’un métier que l’on ne peut plus exercer, d’un rang, d’une condition. S’ajoutent, la nécessité de prouver que dans son pays on se trouve dans une situation dangereuse, la situation d’attente dans un centre, le récit du drame qui a poussé à migrer. Il existe aussi des traumatismes psychiques liés à des guerres, la torture, la répression.

Les enfants de migrants ont des périodes de vulnérabilité : lors des tous premiers apprentissages, de l’entrée à la maternelle et de l’adolescence. Ce sont des moments de construction de soi et de passages qui rappellent le mouvement de la migration. Dès la petite enfance, les parents s’interrogent : quelle langue je vais parler à mon enfant. La séparation de la vie en compartiments, la vie à l’école, la vie à la maison, la vie dans le quartier est un risque. Des enfants de migrants qui ne parlent pas à l’école peuvent très bien parler à la maison. Le lien entre la famille et l’école s’avère précieux, la compréhension du contexte familial également.

Raisonner les différences

La culture structure le contexte. Tous les hommes sont semblables donc différents. Un enfant de migrant est un enfant comme les autres. Tous les humains ont les mêmes capacités cognitives mais qui se développent dans des contextes différents ce qui génère des besoins différents et potentialités en jachère.  Chaque peuple résout de façon spécifique des problèmes universels. La migration arrache les gens à leur culture et leur en apporte une autre.

L’école laïque est confrontée à des pratiques religieuses . Pour un enfant venant d’une culture marquée par la pratique religieuse, l’approche de laïcité sera difficile. Le raisonnement analogique doit nous aider à comprendre une culture. Un bon musulman signifie un homme accompli dans un pays musulman mais pas dans une vision laïque.

Ce raisonnement est utile aussi pour envisager la question du bilinguisme. Parfois la langue qui va se parler à la maison va être compliquée. Les langues se mélangent et les univers linguistiques sont parfois assez complexes dans les familles. La langue maternelle est la langue du cœur, des sentiments, la langue de l’échange dans la famille. L’apprentissage d’une autre langue favorise l’acquisition d’une gymnastique linguistique. Dans l’échange entre les familles et l’école, la traduction est un mouvement qui va aider à la négociation entre deux univers. Il y aura toujours une distance mais elle sera réduite, du chemin sera parcouru les uns vers les autres.

L’approche transculturelle essaie de trouver des ponts entre les cultures. Toutes les sociétés ont des écoles, des instruments de transmission. Les méthodes et les contextes sont différents. Ecole coranique, école missionnaire, école pour adultes, les représentations sont marquées par le contexte d’origine. Lorsqu’ils arrivent en France, les parents vont souvent à l’école pour apprendre la langue. Les enfants se révèlent parfois plus alertes pour apprendre, amenant par ce fait une expérience d’inversion des générations.

Ouvrir nos regards

Les enfants de migrants ont des difficultés spécifiques mais n’ont pas beaucoup plus de difficultés que les autres enfants issus des mêmes classes sociales. L’école est le cœur du projet migratoire,. Il existe des difficultés mais surmonter ces difficultés c’est progresser. Or, migrer c’est vouloir progresser. Les parents de migrants attachent beaucoup d’importance à la réussite scolaire mais ne comprennent pas toujours son fonctionnement. L’échec scolaire pour les migrants est plus qu’un échec, c’est une désillusion par rapport au projet migratoire.

Travailler avec l’environnement familial de l’enfant est complexe. Il existe mille et une formes de familles entre polygamie et famille recomposée. Il faut trouver le bon interlocuteur sans fragiliser la parentalité. Le rôle des grands frères et des grandes sœurs est important : ils connaissent le système scolaire et peuvent guider les plus jeunes. Il faut toutefois maintenir l’autorité des parents. et confirmer la parentalité. La migration bouleverse les équilibres familiaux, les relations hommes/femmes notamment. L’observation des migrants nous interroge aussi sur nos propres modèles. Dans un village africain, il y a des papas et des mamans, ce sont les adultes, l’enfant est élevé par l’ensemble de la communauté. Face à la solitude éducative que ressentent un certain nombre de parents, le modèle n’est il pas à considérer ? De même, la polygamie ne renvoie t’elle pas à des façons de fonctionner moins affirmées dans les familles où au père et à la mère s’ajoutent des relations extra conjugales ? Enfin, le phénomène de religiosité n’est il pas une rigidification ponctuelle qui sera vite effacée par le changement induit par la migration ?

Car, François Giraud le précise, migrer c’est changer. Etre enfant de migrant, ce sont des potentialités, la capacité de changer comme l’on fait les parents. L’approche transculturelle qu’il propose nous apprend à ouvrir notre regard pour comprendre le contexte de l’autre, ouvrir un dialogue qui ne fait plus de l’enfant de migrant un étranger mais réellement un enfant comme les autres.

  Inclusion : nécessaire et pourtant insuffisante

En matière de scolarisation des enfants en situation de handicap, les politiques françaises sont aussi la traduction de politiques européennes et internationales. Philippe Miet observe ces politiques et constate une véritable lame de fond depuis une quinzaine d’années en faveur de l’inclusion. Comprendre les raisons de cette évolution c’est aussi comprendre le changement de regard que porte une société sur le handicap, la différence.

Un changement de regard

Les mouvements de personnes handicapées et de leurs familles ne sont pas étrangers à cette évolution. Les textes européens reflètent certaines revendications se nourrissant aussi des pratiques développées dans d’autres pays. Les différences sont nettes entre les pays européens, différences liées aux systèmes éducatifs et à leur gestion de l’hétérogénéité, différences dans le langage, dans la façon de nommer les handicapés. Personnes en situation de handicap, à besoins spécifiques, à besoins particuliers, autant de termes, autant de situations.

Il y a 20 ans on réduisait la personne à ses déficiences, son handicap. Aujourd’hui on considère que les déficiences existent mais c’est l’environnement qui créé la situation de handicap. Philippe Miet cite comme exemple un cinéma dont les aménagements ne permettent pas l’accès à un paraplégique. Qui est handicapé : la personne ou le cinéma? La réponse diffère selon les pays. En Suède : c’est le cinéma qui est handicapé par la personne. La personne handicapée n’est pas toujours en situation de handicap. La notion de« situation de handicap » permet de rééquilibrer la relation entre déficience et environnement, et de montrer tout ce que l’environnement ne met pas en place pour que la personne puisse participer à la vie sociale. On peut alors observer comment l’école permet la participation de l’enfant à la vie sociale. Dans la vision écossaise, les enfants handicapés n’ont pas de besoins particuliers, les réponses et le soutien qui leur seront apportés seront des soutiens additionnels ou complémentaires.

L’Europe de l’inclusion

La question du handicap est sensible dans tous les modèles éducatifs mais il n’y a nulle part une réponse parfaite. Le choix s’opère entre scolarisation en milieu ordinaire et scolarisation en milieu spécialisé. Depuis dix ans, le paysage change très vite et la distinction Nord/Sud s’estompe. Les pays du Sud, comme l’Espagne favorisent de plus en plus l’inclusion. En Belgique, en Allemagne ou en République tchèque, la scolarisation séparée est due à la structure par filières du système scolaire. Il existe également des écoles spécialisées pour certains handicaps tels que la surdité et le polyhandicap.

L’évolution vers une politique d’inclusion est dominante, portée par des revendications liées aux droits de l’homme et par des politiques aux raisons tout autant humanitaires qu’économiques. La Convention des droits de l’enfant réaffirme l’accès à la scolarité pour tous. La convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées élaborée en 2006 propose d’aller à l’encontre des barrières qui empêchent les personnes handicapées d’exercer leurs droits fondamentaux. L’article 24 concerne l’éducation avec un accès inclusif à l’enseignement sur la base de l’égalité avec les autres. Le Conseil de l’Europe en tant qu’autorité morale a émis une recommandation sur la désinstitutionalisation, pour que les enfants handicapés vivent dans leur famille et qu’on leur offre des services de proximité. La famille est réaffirmée comme lieu principal de l’éducation. L’éducation n’est pas un domaine de compétences de l’Union Européenne. Pour stimuler les évolutions de pratiques, des outils ont été élaborés en particulier sous forme de programmes, comme Léonardo ou Comenius afin de favoriser les échanges de bonnes pratiques. De leurs côtés, les organisations liées au handicap ont élaboré la déclaration de Salamanque pour une école inclusive. Dans la déclaration de Madrid, elles plaident pour une évolution du regard sur le handicap, appelant de leurs vœux un regard social plutôt que médical, une politique de non discrimination basée sur des actions positives plutôt qu’une politique de ségrégation, une politique de droit et plus de charité, un accompagnement au lieu d’une assistance.

L’inclusion se différencie de l’intégration. Si l’on souhaite intégrer dans un système scolaire un enfant qui a une déficience, on va lui demander de s’adapter à un système existant, à la pédagogie, aux rythmes, aux locaux. Si l’on souhaite inclure les enfants souffrant d’une déficience, on va dès le départ concevoir l’organisation, l’architecture, les locaux, l’accompagnement, pour prendre en compte les besoins de l’enfant dans la vie de l’école. Toutes les ressources ne sont pas obligatoirement dans l’école mais l’école doit trouver les solutions dans l’environnement.

Contradiction à la française

Aujourd’hui, en France on commence à parler de scolarisation inclusive. Comparativement à d’autres systèmes éducatifs européens, le manque de souplesse constitue un frein et la question de l’autonomie de l’école se pose. Les pays qui développent de très bonnes pratiques sont des pays dans lesquels les directeurs ont une grande autonomie en matière de recrutement des personnels ou de budget par exemple. La réussite de pratiques inclusives passe aussi par une proximité importante entre recherche et école pou résoudre des questions concrètes. Elle implique un développement de la pédagogie individualisée, personnalisée, un travail en équipe et une formation des acteurs. L’apprentissage mutuel entre enfants doit être considéré comme un principe d’éducation. La conception des locaux, des transports, des infrastructures favorise l’accès de tous à l’école. Enfin, une ouverture vers les partenaires extérieurs est nécessaire pour prendre en compte toutes les situations.

Les politiques françaises en matière de handicap sont issues de deux ministères, celui de la Santé et celui de l’Education Nationale avec des difficultés pour les faire travailler conjointement. Le secteur médico social a développé des expertises dans les établissements fermés, établissements qui s’ouvrent progressivement. La désinstitutionnalisation, l’approche inclusive amènent des changements profonds avec la nécessité de collaborer avec les milieux ordinaires et génèrent des inquiétudes. Le milieu médico-social doit être une vraie ressource pour l’école. Or, les cultures et les approches sont différentes.

Mais l’obstacle principal pour une véritable inclusion réside dans les contradictions de ce qu’est l’école aujourd’hui. L’école est de plus en plus dans la compétition, dans la sélection, la normalisation avec des moyens en baisse. Comment un enfant handicapé peut il y trouver sa place ? L’école inclusive est incompatible avec la compétition et nécessite des moyens adaptés. Il s’agit de voir plus les capacités que les incapacités. Comment on reconnait les différences, la diversité des enfants ?

Il existe une réelle contradiction entre la réalité et les textes sur le développement de l’école inclusive. Derrière la question de l’accueil de l’enfant différent c’est un modèle de société qui est interrogé, la réponse réclame une certaine cohérence et de véritables moyens.

De Lalonde à Port Leucate

Pour la onzième édition de son Université d’Automne, le Snuipp quitte Lalonde pour s’installer au bord de la Méditerranée audoise, à Port-Leucate. Lieu différent mais principe identique : réunir enseignants et chercheurs pour donner à l’école un visage plus juste, soucieuse de la réussite de tous.

L’heure est à l’ouverture : ouverture artistique avec la présence de Didier Lockwood et Gilles Porte, ouverture hors murs de l’école avec une fenêtre ouverte vers les apprentissages extra-scolaires, ouverture vers les différences. La classe sera aussi visitée du côté des disciplines, du côté des méthodes et des pratiques avec des conférences sur l’enseignement en primaire des langues, des pratiques artistiques, des mathématiques et du français.  François Dubet viendra clore les trois jours en s'interrogeant sur "Que doit offrir les écoles".

L’Université d’automne foisonne d’éclairages et de thèmes. Une bonne raison d’aller à Port Leucate et de vous raconter échanges et conférences.

Le programme :

http://www.snuipp.fr/IMG/pdf/SNUIPP_UniversAutomneR.pdf

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