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 Refus de l'échec scolaire

 L'Echec scolaire vu par ...

 Témoignages d'acteurs

  Monique Algouarch
  Olivier Brossier
  Bernard Corvaisier
  Stéphanie de Vanssay
  Olivier Dupuy
  Jacques Fraschini
  Jeanne-Claire Fumet
  Alexis Lucas
  Ostiane Mathon
  Yves Scanu
Refus de l'échec scolaire - 2009
Qui se soucie de l'échec scolaire ?

Chaque année, environ 200 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ou avec une certification de faible qualité ; soit presque le tiers d’une classe d’âge. Parmi ceux-ci, 30 000 sont pratiquement analphabètes. Pourtant, en cette période de rentrée où s'égrènent les conférences de presse, il est frappant de constater que cette question qui devrait être la priorité du système éducatif, n'apparaît  généralement que de façon marginale dans ces réunions.


C'est le cas, par exemple, du dossier de presse ministériel de rentrée. L'éducation prioritaire y est absente. Mais, parce que le ministre affirme son souci de lutter contre les inégalités, à la place on parle d'aide personnalisée, d'accompagnement scolaire.


Comme si l'échec scolaire était affaire de personne. Evidemment il y a aussi de cela. L'échec scolaire touche parfois un enfant favorisé. Pourtant un coup d'œil sur les statistiques illustre sa dimension sociale. Ainsi si 4% des enfants de cadres sont en retard en sixième, c'est le cas de 34% des enfants d'inactifs. Juste 8 fois plus…


Comme si aussi tout avait déjà été dit et essayé. Comme si l'Ecole ne pouvait rien y faire. Parce qu'effectivement les 254 collèges et les 1710 écoles classées "Ambition réussite" bénéficient de moyens supplémentaires. Finalement s'impose l'idée que la composition sociale d'un établissement est le critère déterminant de réussite et que rien ne peut aller contre cette pesanteur.


Pourtant tous les établissements, à caractéristiques sociales égales, n'ont pas les mêmes résultats. C'est par exemple ce que montre l'expérience de S Connac, enseignant en zone populaire. C'est aussi ce qu'a établi Y Reuter quand il a étudié les écoles Freinet du Nord. Il a pu montrer qu'elles étaient plus efficaces que les autres écoles socialement identiques. Ce qui veut dire que la pédagogie reste un levier efficace dans un établissement.


Pour mieux s'intéresser à la lutte contre l'échec scolaire, faisons du social et de la scolarisation précoce. Mais intéressons-nous aussi aux établissements qui réussissent. Tirons en les leçons. Acceptons l'idée que la plus-value pédagogique existe.


François Jarraud


Le Café pédagogique

http://www.cafepedagogique.net


Journal d'école

Par Olivier Brossier


Pré-rentrée

 

Affamé a dévoré tout l’été. Il a vu, écouté, compris… et a encore faim. Il est prêt.

N’importe quoi a passé ses vacances tranquillement. Le malheur, c’est la rentrée, ou plutôt la « corvée ».

Couronne astiquée tout l’été par sa cour, Reine-mère est là et bien là. Au cas où on ne la remarquerait pas, une seule petite heure suffira.

Lacune a subi quelques sarcasmes qui l’ont encore enfoncé dans ses difficultés. Elle tient la main de son cousin Stressé qui arrive avec la pression familiale comme chaque année.

Trousse parée, Scolaire est prête. Cahier de vacances complété. Dans les starting-blocks… Tout fou l’excité s’est fait beau. Vivement que ça commence !

Elle attend que ça arrive, Toute faible la timorée et ne sait pas encore si elle est prête.

Mal dans sa peau surnage dans le tunnel non éclairé de sa situation familiale comme lors de chaque vacance. Il essaie de ne pas se noyer. Alors, la rentrée, ce sera une journée comme une autre dans sa vie compliquée.

 

C’est lui, c’est elle. C’est lui dix minutes. C’est elle une journée. C’est lui un trimestre. C’est elle toute une vie. Ce sont eux, les personnages de mon récit et ceux de mon quotidien aussi. Ce sont des enfants, mes élèves. Je les vois à chacun des jours de mon travail. Je les écoute, je les regarde, je leur parle, je les enguirlande, je les aide, je les félicite, je les console, je les pousse, je les aime puis je les ai en horreur. A leur tour, ils me questionnent, me cherchent, m’ignorent, me détestent, m’adulent, me rejettent, me fantasment, m’agacent. Ils sont dans ce que j’écris et ils sont dans ce que je vis. C’est d’eux et de plein d’autres autour d’eux dont parle cet écrit.

 

Je suis comme tout le monde, j’ai mes excès, mes défauts, mes qualités, mes troubles. Je suis un homme naïf et utopiste. J’ai pas envie de faire récit du mec qui a un malaise avec son métier. Parce que ce n’est pas le cas. J’ose espérer que cela ne sera pas lu ainsi. Je vais juste m’en débarrasser, c’est ça. Je vais l’écrire, ça me soulagera, un point c’est tout. Parce que j’en ai assez de lire et d’entendre des conneries venues de toutes parts et jamais véritablement contrées. En général, ce sont des idioties de râleurs invétérés et aigris.

 

Je ne suis ni spécialiste, ni chercheur mais rien qu’un petit instit. Quand j’étais encore étudiant, mon prof d’histoire ancienne m’avait bien fait sentir tout le mépris que porte une certaine population à notre métier. « vous n’allez pas vous contenter de ce métier, vous valez beaucoup mieux » m’avait-il dit, en gros, après un passage à l’oral et un travail à rendre qu’il avait particulièrement apprécié. Il recrutait ses futurs étudiants, j’imagine, j’étais en licence et lui essayait de m’attirer vers la recherche. Je lui avais répondu que j’avais besoin du contact avec le réel, d’action quotidienne. Le métier de chercheur « en bibliothèque ou aux archives » et son quotidien dans l’ombre ne m’intéressait pas. Trop de patience pour obtenir une satisfaction à long terme

 

C’est un écrit-réaction. Il s’agira certainement de formuler ce que je ressens de négatif dans ce que je vois, ce que je vis, ce que je lis… Bien entendu, on parle plus de ce qui ne fonctionne pas. Sur quoi je vais m’étendre dans le but de me détendre, je ne sais pas encore. Je ne sais pas où je vais en commençant à écrire donc on verra bien.

 

Je ne veux pas avoir l’air d’un donneur de leçon proférant mes vérités à qui veut l’entendre mais j’imagine qu’à certaines oreilles cela passera pour cela. Je crois profondément que la plupart des enseignants font leur travail en toute bonne intention et qu’ils aiment ce qu’ils font. C’est bien pour cela que les ministres successifs ou certains auteurs dont je parlerais plus loin peuvent avoir honte de mettre dans le même sac du discrédit l’ensemble d’une profession à l’intérieur de laquelle tant de travailleurs sont dévoués et croyants. Je crois aussi que certains font ce qu’ils peuvent. Je veux dire avec ce qu’ils sont ou ce que l’école et la vie a fait d’eux ou ce qu’ils ont fait d’eux-mêmes. C’est d’abord une affaire humaine l’école et c’est bien pour ça qu’il est compliqué de faire changer certaines mentalités. Il y a des évidences pour moi qui ne le sont pas pour d’autres. C’est peut-être pour ça que j’ai décidé d’écrire. Au risque de passer pour un prétentieux au yeux de tous.

 

Donc j’ai choisi le « pauvre » et « méprisable » métier d’instit. Pourtant je n’ai pas hésité, certain de m’épanouir dans ce métier qui m’avait pourtant été dévalorisé, je le saurai plus tard, par un de ces représentants de l’élite « cultivée » de ce pays. Ce prof aurait pu faire partie de la clique des Jean Paul Le Brisé, les omniprésents médiatiques. Ceux qui écrivent des âneries et que les médias adorent parce qu’ils font résonner dans l’opinion publique toutes les réactions humaines enfouies qui apparaissent avec le début de vieillesse (peur de la mort, j’imagine !). Alors j’écrirai mon quotidien parce que ces mecs m’agacent. J’espère agacer à mon tour pour ceux qui liront. Mais au moins, éventuellement, j’aurai écrit toute mon horripilation plutôt que de ressasser. Comme je l’ai dit plus haut, au minimum, ça me soulagera.

 

J’avais parcouru les livres si malheureusement connus des éléments de la clique avec pour l’un d’eux ce titre qui crétinise. J’étais pas allé bien loin, parce que j’avais pas le temps de perdre mon temps. En écrivant ces lignes, je me sens obligé maintenant de les lire en entier. Je le ferai. J’avais pourtant relevé déjà des énormités « à mes yeux » et des contradictions fortes essentiellement dans le domaine qui me concerne : l’école primaire. Vous savez, celle qui se tape comme au collège toutes les difficultés sociales et qui doit se débrouiller, tiraillée entre des parents tour à tour inquisiteurs, consommateurs, dépressifs  ou déboussolés et une administration qui administre et qui a des ministres. Et ces auteurs, entre autres gens, sont en partie la cause du malaise.

 

Est-ce que je vais dire que tout va bien ? Je ne suis pas assez aveugle pour cela. Il y a des milliards de choses à modifier et je le sais. Une chose cependant dont je suis certain, ces solutions proposées par les soit-disant  spécialistes télévisuels, voir par des ministres sont des foutaises ! Ces solutions qui font du bien à l’oreille du français de l’opinion publique ne sont pas les bonnes et n’ont pas fait leurs preuves. Ne regardons que la génération de nos parents et rendons nous compte des dégâts que cette école du soit disant savoir au cœur de l’école a engendré. Des personnes bien souvent incapables d’apprendre parce que persuadés d’être de mauvais élèves.

 

Quelle école a-t-on ? Quelle école veut-on ? Quels élèves avons-nous ? Je ne parlerai que d’école primaire, le seul domaine que je connaisse. Je me garderai bien de faire de la chose scolaire un tout de la maternelle à l’université. Inutile de généraliser à mon sens. Bien qu’il faille évidement une direction générale.

 

Il y en a eu des occasions depuis que je travaille qui auraient pu déclencher l’écriture. Des ministres (dont l’avant dernier, M. de R. aurait été le plus magnifique des déclencheurs), des parents (mais j’y reviendrai sûrement avec ce journal ; y’en a chaque année pour déverser sur nous leurs aigreurs ou difficultés ou pour remettre en cause notre travail en ayant aucune conscience de ce que nous faisons avec leurs chers petits), des collègues (parce que l’Education Nationale c’est beaucoup de personnes et il y a des crétins-suiveurs, faut le dire aussi).

 

Le déclencheur d’écriture c’était jeudi, jour de rentrée pour les élèves, le maire du village dans lequel je travaille, qui se trouve être aussi conseiller pédagogique en sport de ma circonscription (celui qui essaie tant bien que mal avec le peu de moyen et de temps qui lui restent de favoriser la pratique sportive à l’école et d’aider les jeunes collègues, l’un de ses personnels qui est compté malhonnêtement parmi ceux qui sont enseignants sans classe pour expliquer qu’il y a trop d’enseignant !). Le maire, donc, avait invité la population scolaire à inaugurer la salle informatique de l’école. Et lui aussi, que j’apprécie par ses côtés généreux et travailleurs (il fait beaucoup pour la commune et l’école sans jamais se faire mousser une seconde), était agacé. Vous allez me dire qu’il faut se calmer mais, au contraire, il est nécessaire de s’agacer et de dire ce que l’on voit et comprend. Il s’agaçait contre les médias qui relayaient en cette rentrée 2007, sans distinction comme à leur habitude, un rapport annonçant l’échec d’une école qualifiée de malade. Il affirmait l’exact contraire et s’insurgeait contre cette manière de présenter l’école. En discutant plus tard avec lui, il pensait que c’était une manière en douceur de préparer l’opinion à une privatisation progressive de l’école car en effet, puisqu’elle échouait, il fallait changer le système. Bien que j’ai du mal à croire à la collusion média-pouvoir dans ces domaines mais que je crois plutôt à l’attitude souvent bêtement suiveuse de certains journalistes, ceci expliquerait beaucoup de cela. En y repensant, il avait raison de réagir. Je me suis dit, il faut réagir aussi. Il réagissait devant un député, devant un représentant de la gendarmerie, devant un représentant des impôts qui avait cédé à l’école des ordinateurs d’occasion pour qu’on ait une salle informatique digne de ce nom (système D de l’école, j’en reparlerai sans aucun doute !) et devant quelques élus du village et une vingtaine de parents venus l’écouter. Parmi ces parents, bien entendu, beaucoup de consciencieux déjà persuadés du bon fonctionnement de notre école. Ceux qui opineraient du chef quand l’un des dignes représentant de la clique parlera lundi soir à la télé n’étaient pas là.

 

Il faut que je présente mon école. Trois classes « double niveaux » dans un village de viticulteurs de 500 habitants. Et tout de suite, j’arrête le cliché qui s’immisce dans votre « peut-être » cerveau urbain, ce n’est pas un milieu privilégié et tranquille avec des enfants sages et intéressés pour qui l’école « va de soi ». Dans notre région nous connaissons aussi les familles en détresse, paumées et ne sachant pas comment s’en sortir. Les résultats aux évaluations nationales (on en reparlera de ces sacro-saintes évaluations servant à tous les constats !) sont faibles en comparaison de ceux nationaux. Village n’est pas synonyme de tranquillité et facilité. Tout en disant cela, je ne veux pas paraître comme quelqu’un de fatigué avant que l’heure de la retraite ne sonne. Je suis bien conscient que certaines difficultés sont bien plus importantes dans certaines villes et campagnes. Mais quand même, il doit y avoir plus simple. Les régions, les milieux mieux protégés et donc dans lesquels nous serions mieux payés « au mérite » (au résultat des élèves) existent aussi.

 

Il s’agit donc d’un petit village, et comme souvent dans notre département, regroupé pédagogiquement avec un village voisin. Les élèves du CE1 au CM2 étant chez nous et les maternelles-CP étant dans le village voisin, à 5 kilomètres de là. Les élèves prenant le car tous les jours s’ils sont de l’autre village.

Nous sommes 4 collègues dans cette école. Une directrice en place depuis 13 ans. Deux nouvelles jeunes collègues qui arrivent dans le métier (premier poste pour l’une et stage « filé » pour la deuxième qui est en formation à l’IUFM). Et moi-même, m’occupant des plus âgés de l’école. Il y a aussi un contrat « assistant d’éducation » à mi-temps aidant au mieux les enseignants pour soulager la charge de travail. Dans l’école voisine, 3 classes et 3 collègues ainsi que le personnel municipal (parce que classe maternelle) et un assistant d’éducation à mi-temps.

L’école est un vieux bâtiment rénové au fur et à mesure des possibilités financières offrant des classes relativement agréables bien que vite surchargées si nous dépassons les 25 par classe. Nous avons 22 élèves par classe ce qui est un très bon effectif, agréable à gérer. La cour est toute petite pour notre effectif et des travaux vont jalonner cette année scolaire afin de gagner quelques m².

Dans cette école, nous sommes chanceux. Un maire et un conseil municipal à l’écoute et désireuse de soulager le quotidien scolaire à la moindre occasion en améliorant les locaux pour faciliter la pratique de toutes les matières scolaires. Il est très important de se sentir soutenu. Certains collègues souffrent de ce manque de considération. Et on peut se demander, comment est-on arrivé à une situation où l’instituteur n’est plus considérer ? Cela vient-il des enseignants, du système scolaire, des politiques, du changement de notre  société ? Un peu de tout cela, certainement.

 

Voilà pour le cadre.

 

Et le cadre ça a son importance. Combien d’école impraticable existe ? Combien de collègues obligés de se débrouiller face à l’inertie voir face à la pingrerie de certains maires de village ?

Un exemple : en maternelle, vous vous devez de faire de la « motricité ». Pour faire plus clair, quotidiennement vous devez mettre en place un certain nombre d’activités mettant en jeu le corps, par lequel nombres de progrès et connaissances passent. Dans un village non loin du nôtre, il y a une école maternelle avec, chance formidable, le foyer communal de l’autre côté de la cour. Idéal pour y mener la motricité quotidienne. Eh bien, malgré de nombreuses demandes d’autorisation, ce foyer est interdit d’utilisation pour l’école. La motricité se fera donc dans la cour (automne, hiver et printemps) ou pas du tout. Raison de ce refus, il faut faire le ménage après.

 « et si on rentre en chaussettes messieurs dames de la mairie !

- Impossible, le foyer est retenu pour d’autres activités ! »

Certainement une association pour fanatique de « l’homme invisible » !

 

Les exemples comme celui-ci pourraient se multiplier.

Pourquoi demandez-vous un ordinateur, messieurs dames les enseignants ? Cela ne sert qu’à jouer ! Pourquoi voulez-vous des équipements sportifs alors qu’ils ne connaissent pas l’orthographe ? Pourquoi commencez l’anglais en CE1 alors qu’on est nul en langues en France et qu’ils arrivent tous avec le même niveau au collège qu’ils aient fait ou non de l’anglais ? Un ensemble de bêtises entendues en réunion révélateur d’un milieu, d’une société, d’une époque…

 

Ceci raconté, je ne pense pas que ce genre de petits soucis cause un quelconque problème à notre clique JPLB puisque leur marotte est de dire que l’élève doit simplement recevoir le savoir assis bien sagement sur sa chaise, savoir bien évidement choisis dans le catalogue du savoir indispensable et universelle décidé par on verra qui.

 

Et la méthode alors ? Il me faut la présenter.

 

Dès le début de mes expériences dans la carrière et comme tout un chacun, j’ai essayé de travailler en observant les autres lors de mes stages de formation. La chance que j’ai eue, à mes yeux, c’est de démarrer dans une école où j’étais seul. J’ai donc démarrer de façon traditionnelle avec l’aide de manuels et de fichiers (j’étais en CE1-CE2). Très vite, j’étais insatisfait du résultat et j’ai cherché une autre façon de travailler ou pour être plus juste j’ai cherché une variation dans la façon de travailler. Je me suis tourné vers la méthode coopérative, méthode issu de la pédagogie Freinet et je suis allé faire mon petit marché d’idées (le mercredi ou le samedi matin dans des écoles du Gard entre collègues consentants et bénévoles et mis en place par des collègues passionnés et travailleurs). Depuis, les idées fonctionnant (mais ne résolvant pas tout) ont été conservées dans mon fonctionnement prenant l’espace d’autres types de travail en classe puisque bien entendu le temps n’est pas extensible. La pédagogie Freinet, je ne vais pas l’expliquer en long en large ici. Je me contenterai d’en insérer quelques exemples à l’intérieur de mon récit pour éclairer la situation. Pour faire vite, il s’agit de philosophie d’abord « que vient faire l’élève (tous les élèves !) à l’école ? », de méthode ensuite « qu’utiliser comme système pour être fidèle à la philosophie ? » et de trucs pratiques indispensables au bon fonctionnement de la classe. Je les présenterai au fur et à mesure de l’écriture. Cela sera le paragraphe nécessaire du professeur qui professe. Déformation professionnelle.

 

Donc je vais écrire, sous quelle fréquence, je ne sais pas, en prenant quelle forme, aucune idée mais je vais écrire et j’espère au final (bien que ça peut paraître prétentieux) que ma réaction devant mon écran sera une autre réaction, comme celle de l’un ou de l’autre, qui ajoutait à d’autres réactions, à d’autres écrits pourront changer quelques mentalités ou du moins faire résonner (ou raisonner !) un autre son de cloche. Et si j’étais impoli avec mes aînés de la clique JPLB, que je pourrai allègrement traité de cloches, je prétendrai que leur vision cloche et que la mienne cloche certainement aussi mais d’un plus joli son.

 

Première période : Septembre-Octobre

 

Jours de rentrée

 

Affamé, celui qui comprend la situation scolaire (qui la joue collectif déjà à son petit âge) est bien là. Il est en général discret. Il travaille de manière autonome et est partant pour tout et tout le temps. Je crains que ce ne sera pas de lui dont je parlerais le plus, surtout les jours difficiles. Bien qu’il le mériterait mais après tout.

 

Reine-mère aussi est là. Trousse plus que remplie bien que l’école fournisse tout le matériel, résultat de la levée de son impôt auprès de ses parents-gueux lors des passages nombreux et répétés dans les temples de la consommation. Après les quelques minutes d’usage où elle restera discrète, elle reprendra la parole qui lui est dévolue, montrera ces nombreux achats aux copines et ne les montrera pas aux « ennemis ». Elle commencera son travail de règne. Première remarque, première moue, premiers yeux montés au ciel. Une nouvelle année commence… Ou comment rentrer de plein fouet dans le quotidien qu’on avait essayé d’oublier durant les vacances.

 

N’importe quoi est arrivé en retard ou a loupé le premier jour ! Bon, c’est pas grave c’est le début de l’année, on va essayer de ne pas lui faire payer les difficultés de ses parents.

 

Tout fou l’excité est tout sourire. Heureux d’être là bien que ne sachant pas trop pourquoi. C’est un enfant, rien de plus normal.

Toute faible la timorée ne se fait pas remarquer. Il ne faudra pas l’oublier celle-là.

 

Lacune et Stressé se serrent les coudes. Ils ont plein de questions inutiles dans leurs têtes et des yeux qui interrogent. Vais-je encore me faire remarquer ? Vais-je y arriver ? Les parents ont bien dit et répété pendant les vacances que cette année, c’est le CP. Qu’il faudra absolument savoir lire à Noël comme le cousin machin. Cette année tu rentres en CE2 alors y’en a marre des fautes d’orthographe. Cette année c’est le CM1, attention tu vas devoir apprendre des notions beaucoup plus difficiles. Cette année c’est le CM2 et si tu veux aller au collège… Et puis bien entendu, cette année la petite section de maternelle, il faudra que tu écrives ton prénom en majuscule, tu sais ?

 

Scolaire attend que ça démarre. Attend de pouvoir prouver qu’il y arrive comme chaque année. Attend de séduire le nouvel enseignant que voilà. « Alors ! Ils arrivent ces cahiers neufs et la gomme sous cellophane, ces exercices et ces poésies à réciter, ce calcul mental pour que je finisse premier ! » s’impatiente-t-il.

 

Mal dans sa peau cache tant bien que mal son mal être. Il est plutôt content d’être là. Il s’échappe un peu de la nasse de son quotidien. Il oublie quelque peu ses soucis. Combien de temps y arrivera-t-il ?

 

J’ai fait de l’Histoire à l’université et j’étais, un parmi des milliers, le prototype de l’élève taillé pour réussir à la faculté de l’époque. J’ai été essentiellement Scolaire. J’apprenais, j’avais une note potable, passable disons et j’avançais dans les études sans trop de difficultés. Parfois je ressemblais à Tout fou l’excité et cette manière d’être m’empêchait d’approfondir. D’autres fois Toute faible la timorée perdant mes moyens à l’oral. J’ai eu ma licence puis le concours d’instit… L’Histoire ne me passionnait pas. Et encore j’étais dans une petite faculté dans laquelle certains profs savaient rendre les cours intéressants et surtout dans laquelle l’évaluation n’était pas une épreuve de « recrachage » pur. Il y avait beaucoup de commentaires de textes obligeant à la réflexion. Par moment, j’y ai pris goût, le goût de la découverte et de l’énigme.

 

Ce matin, jour de rentrée, notre président décrète le plus de sport à l’école. Il aime ça. Faut quand même que ça soit avantageux d’être le chef, normal !

 

Tout fou l’excité  joue au handball. « Tire au sol, tu seras plus efficace, tu poseras plus de problème au gardien. » Après 3 essais infructueux. « Tout fou, je t’ai dit, tire au sol tu verras le résultat ! ». Plusieurs échecs plus tard « Tout fou, ça fait dix fois que je te dis de tirer au sol ! » Puis après une réussite et deux et trois autres « Maître j’ai marqué !!!! - T’as tiré où tout fou ?  - Au sol, maître ! » Et voilà ! Le mercredi parfois, j’accompagne un groupe en journée sportive USEP hors temps scolaire. Il s’agit de journées sportives diverses et variées proposées aux élèves. Non pas afin de fabriquer des champions mais bien pour la valeur éducative de ces rencontres.

 

Il faut voir ce qu’apporte le sport à certains élèves. Je ne parle ni physiologie, ni santé. Je parle apprentissage, comprendre que tout est apprentissage. A la radio, le jour de l’annonce du plus de sport, moults interviews d’élèves débitant les bêtises servies par leurs parents. Ah ! Le micro-cour, encore plus performant que le micro-trottoir pour découvrir ce que pense réellement l’adulte. Il transpirait de ces paroles toute la condescendance que peut avoir la population à l’égard du sport scolaire. « C’est de l’amusement », « ça empêche de se concentrer sur le vrai travail », « ça coupe le rythme ». Y’avait du concentré, en effet, qui parlait, concentré d’ânerie. Réussir à l’école, c’est d’abord savoir écouter. Rien de plus probant pour un enseignant que d’expliquer un jeu ou un exercice sportif et de constater et ainsi de faire constater à l’élève lui-même qu’il n’a rien suivi et qu’il se retrouve comme un clampin au milieu du terrain sans rien comprendre. Bonne manière de le pousser à « véritablement écouter ». Et je ne parle pas des besoins physiologiques de l’enfance auxquels répond le sport. Première ânerie, première crétinerie.

 

N’importe quoi récupère ses cahiers. Pas de plaisir de recevoir des cahiers neufs comme la plupart des élèves. C’est un instrument de torture que représente ce cahier pour le flemmard qu’il est. Pas de sacralisation du cahier, pas de sacralisation de l’école. Lendemain de rentrée. Il manque des pages à ce cahier : « dis-moi N’importe quoi, que s’est-il passé ? - Maître ma sœur voulait dessiner alors elle a arraché les pages de la fin. - Tu sais que c’était ton cahier de maths N’importe quoi. Que tu vas travailler dessus toute l’année, qu’il va falloir s’appliquer pour qu’on puisse lire tes réponses. Tu sais que ce cahier est important, que ce que tu viens faire à l’école c’est important, que tu dois être concerné par tes affaires, ton travail. Tu sais aussi que ce cahier que tu as mutilé a été acheté par la Mairie, qu’il n’est pas gratuit… - Oui monsieur, c’est à quelle heure la récré ? »

 

Ce matin, jour de rentrée nationale de l’éducation, le premier ministre Fillon y est allé de ses petites phrases sur une radio. Comme d’habitude, pour les personnes de son camp, il a parlé de l’EN comme d’une entreprise employant les mots « efficacité, optimisation, objectifs » tout en déclarant que tout n’était pas question de moyens financiers et humains. Ben, bien sûr ! Dans la même journée, j’ai vu le film « l’esquive » et sa prof de français qui lance la pratique théâtrale d’un texte de Marivaux avec ces élèves. Elle n’optimisait pas ! Elle n’était pas efficace (au sens patronal du terme) ! Elle prenait des risques et ça marchait, ça révélait, ça bousculait des élèves. C’est une fiction bien entendu, mais si proche de la réalité du courage qu’il faut avoir pour se lancer dans des situations inconfortables. J’ai souvent eu ce sentiment d’être à la limite du possible avec mes élèves. Pas loin du fiasco mais pourtant j’ai recommencé et souvent, ça a marché. Pour des résultats et un intérêt largement supérieur à toute autre activité.

 

Trois jours de rentrée, si la Sarko-team me voyait, ils me paieraient moins. Parce que je ne suis pas efficace, je prends mon temps, je rassure, je discute, j’explique, je rééxplique, je fais bichonner les cahiers, un par un, pas tous à la suite, une page de garde par ci et une page de garde par là. Je laisse l’occasion à mes élèves de s’approprier chacun de ses cahiers. De savoir à quoi ils vont servir. Comment est-ce qu’on doit les utiliser ? Pourquoi il faut les utiliser de telle ou telle façon ? Prenons le cahier de brouillon. Bel exemple de détournement d’utilité. Il est souvent utilisé comme cahier « d’essai ».  C'est-à-dire un cahier pour s’essayer avant d’écrire sur le cahier du jour, soit un cahier de plus pour « optimiser » le cahier au propre. Un cahier déjà stressant. J’explique à mes élèves que je ne veux pas que ce soit un cahier comme cela. Ils ont le droit de le prendre à l’envers, dans l’autre sens, de gribouiller, de s’énerver, de raturer, de barrer rageusement, de ne pas écrire appliqué… Cela les étonne, ils n’ont pas l’habitude de traiter un cahier de cette sorte ! Je dis aussi que les autres cahiers doivent être soigné et qu’il faut faire des efforts pour arriver au résultat. J’imagine que c’est quelque chose de répandu mais je sais aussi que beaucoup de collègues ont du mal à laisser un cahier ayant des allures de désordre comme ce cahier de brouillon. Le désordre, ça dérange. On n’est pas des artistes, bordel ! Et pourtant, on devrait, un peu plus !

 

N’importe quoi le trimballé est arrivé 3 jours après la rentrée et reparti au bout d’une semaine. Il ne s’agit pas de gens du voyage mais de gens du voyage obligé de la misère sociale. Il vivait dans un camping. Il repartait vers un autre camping. Ce n’était pas choisi, c’était subi. Lui et son frère seront

certainement comptabilisé dans les 15% d’élèves ayant de grosses difficultés en rentrant en sixième. Ah ! Cette école qui ne fait pas son boulot ! Qui relâche des élèves n’ayant pas le niveau, quelle honte !

 

« Encore, encore » dit Scolaire au moment de l’exercice n°3 p 24, suivi du 6 p 32. C’est la preuve qu’il y arrive. C’est le moment qui pourra lui permettre de se comparer aux autres et de se rassurer sur lui-même. Il y arrive, c’est grisant. Quand il a fini, il en veut d’autres des preuves. Encore et encore des preuves. Affamé, Reine mère, Tout fou et Toute faible ont aussi fait les exercices. Cela leur a apporté du vocabulaire, de l’aisance, les a fait travailler.

 

N’importe quoi le flemmard est en CM2 et a frappé dès le premier exercice de grammaire. Exercice simple de ponctuation (mets les points et les majuscules). Sans aucun malaise, N’importe quoi est arrivé le sourire aux lèvres en n’ayant fait que copier le texte sans avoir mis ni majuscule, ni points. Enfin si, je dois être juste, il avait tout de même mis une majuscule au début du texte et un point à la fin. Bien entendu il y en avait quelques uns à placer. Bien entendu, il le savait aussi. Je sais déjà que le travail essentiel avec cet élève sera de lui faire toucher du doigt qu’un petit effort de temps en temps ne fait pas de mal ! Le reste on fera ce qu’on pourra.

 

Stressé était capable de réussir cet exercice mais le problème est que ses parents lui ont dit qu’il fallait qu’il n’ait que des 19 ou des 20, cette année. Alors le travail est un calvaire, l’angoisse prend le dessus, le travail n’avance pas. Il ne retirera de cet exercice que le sentiment de la peur. Travailler sous la pression, c’est quelque chose qu’il saura faire plus tard quand le sous-chef le poussera à faire mieux.

 

Lacune le sait. Elle n’y arrivera pas. Déjà l’année d’avant, elle n’y arrivait pas, alors !

 

Cette situation traditionnelle de leçon – exercices d’application est fréquente en classe. Elle est en apparence indispensable. L’apparence, ça me fait penser à l’apparence. Je connais comme vous des tas de gens qui se foutent du fond et n’aime que l’apparence des choses. Nos écoles en sont remplies d’apparences trompeuses. La plus criante, ce sont les instits qui paraissent être de bons instits parce qu’ils font beaucoup « travaillé » ! Ceux qui vont pousser les chers petits dans leurs retranchements avec moult exercice 3 page 24 suivi de l’exercice 6 page 32.  Au début de ma carrière, j’ai pas fait le malin, j’ai pris les manuels de maths, de lecture, d’orthographe-grammaire-conjugaison comme tout le monde. Très vite, je me suis rendu compte de la supercherie. Des exercices incompréhensibles, dénué de sens, des lectures inintéressantes, des manuels sortant des phrases de grands auteurs de leurs livres pour que nos jeunes ne s’exercent pas sur des mots « qui puent la merde ». Excusez, je viens de voir l’esquive !

 

Pour être honnête, il doit exister tout de même des manuels plus récents certainement plus adaptés mais je ne les utilise pas donc je ne vais pas juger. Revenons à nos apparences ! Qu’est-ce c’est confortable de balancer des exercices aux élèves pour les corriger collectivement ensuite, qu’est-ce que c’est doux de donner une lecture suivie de multiples questions, qu’est-ce que c’est calme, reposant, d’avoir le silence assis à sa chaise de « maître » distribuant les chuuuuuuts qui vont bien (tic répandu chez l’enseignant, peut-être que mon dernier soupir sera un chut !) et regardant fièrement ces jeunes qui, finalement, sont travailleurs. Bon, sauf l’autre idiot, pas foutu de comprendre un exercice simple, et celle-là qui rêve constamment à je sais pas quoi, et… Et bien voilà, cet instit qui fait honnêtement son travail, qui apporte quand même quelque chose aux élèves bien entendu, je ne le nie pas, paraît comme le plus sérieux des enseignants. Le cahier est nickel, les notes sont sur 10, le travail parait conséquent. Et pourtant, l’expérience que j’ai de cette situation, somme toute ayant toutes les raisons de plaire, m’insupportait. Tout simplement parce qu’à côté d’autres situations possibles, quelle pauvreté, quelle inutilité ! Ce ne sont que des exercices qui constatent que certains élèves savent et que d’autres non. Ils ne modifient rien ou pas grand chose. Tout en n’étant pas totalement inutiles, je le répète. D’ailleurs, j’en donne aussi mais peu et choisi dans un but précis avec du vocabulaire adapté à tous.

 

N’importe quoi arrive avec son petit sourire aux lèvres. Le sourire « je te prends pour une bille ». Dis-moi N’importe quoi tu as fait les mêmes erreurs que Tout fou l’excité, explique-moi ça. Pas de réponse et sourire « ultra bille » qui ne s’effacera que si la fin de journée est difficile et que l’enseignant s’énerve beaucoup. Une fois, deux fois, dix fois N’importe quoi recommencera

 

Pour Lacune, c’est un calvaire et si quelques Lacune sont dans la classe, il est très difficile de les aider efficacement lors de ces exercices. Souvent Lacune est Lacune depuis le début de sa scolarité. Dès la maternelle, les difficultés sont là. D’où viennent-elles ? J’espère apporter des réponses avec mon témoignage. Seule solution, donner l’occasion à Lacune de progresser en lui donnant du travail individuel. Qui va la faire revenir en arrière de ses difficultés pour rendre le progrès possible. Et puis soutenir, soutenir, soutenir. Mettre en confiance. Mais tout cela doit se faire en classe avec les autres alors que tout le monde travaille en individuel. L’échec lors de l’exercice collectif ne sert pas. Tous les élèves sont des Lacune en puissance, tous les élèves sont des Lacune dans certains domaines.

 

 C’est une philosophie, celle qui dit que chacun des élèves peut réussir. Alors comment s’y prendre à la place des exercices d’application traditionnels ?

 

 

Le paragraphe nécessaire du professeur qui professe

 

Si la situation leçon et exercices d’application est pauvre, que proposer alors ? Dans la pédagogie coopérative, il y a la reconnaissance des différents rythmes des élèves. Vous me direz que c’est évident, qu’entre frères et sœurs les différences existent déjà  alors entre élèves de différentes familles… Nous sommes d’accord. Partant de ce principe, proposez le même exercice à tous les élèves aux rythmes de travail différent, est-ce réaliste ? Non. Bien que des aménagements soient possibles, bien que l’on puisse proposer une quantité de travail modulable, à partir du moment où l’exercice est collectif il y a tout un tas de déviances à constater. Pour Stressé et Lacune, peur de la noyade. Pour N’importe quoi, tentation de la copie et de la réflexion en transat. Pour Scolaire et Affamé, le manque de nourriture. Pour Tout fou, le dérapage non contrôlé sur exercice inintéressant lors de la course avec élément de son âge. Pour Toute faible, la peur de se faire aider. A la longue, les comportements se renforcent, les mauvaises habitudes se prennent et il est bien difficile de les faire évoluer.

La pédagogie coopérative propose d’organiser le travail individuellement sous forme de contrats avec les élèves. Il s’agit d’une certaine quantité de travail à fournir. Deux changements essentiels dans cette organisation : aucun élève ne travaille en même temps sur la même chose, les élèves s’organisent en autonomie. Ainsi, expression écrite, fiches de lecture ou de maths, poésies, résolutions de problèmes… sont tour à tour travaillés par chacun des élèves. Chaque élève a un contrat correspondant plus ou moins à sa vitesse de travail. C’est à l’élève de choisir (avec plus ou moins de possibilités selon son permis ou sa ceinture de comportement, j’expliquerai plus loin) l’ordre dans l’organisation de son travail. Il va chercher ses fiches, il s’inscrit pour recevoir de l’aide ou des corrections. A partir d’un certain niveau d’autonomie, il se corrige seul. Il y a dans cette organisation un changement essentiel dans le comportement demandé à l’élève, il est actif. Il a une part importante dans l’organisation de son travail. Il peut moduler selon son humeur ou sa forme. Il n’est plus simplement passif attendant que le travail à faire tombe des mains de l’enseignant sur sa table. Chose supplémentaire, il est payé pour le travail fourni grâce à une monnaie d’école. Cette monnaie est reçue contre un travail fourni, un effort fourni donc pas forcement un travail juste. Un travail sur lequel l’élève a buté et a du demander de l’aide à un camarade ou à l’enseignant est bien plus enrichissant qu’un travail d’application bêtement réussi par application. De plus cette monnaie tient compte des différents rythmes des élèves qui sont pousser à fournir le plus de travail possible (en privilégiant le qualitatif) mais pour lesquels on prend en compte le rythme de travail.

Quels sont alors les inconvénients qui expliqueraient que la situation magistrale est en vigueur dans la grande majorité des situations scolaires ? Premièrement, l’organisation demande de l’organisation ! La situation étant éclatée dans tous les sens, l’enseignant doit descendre de son estrade et accepter les moments de flottements, les pertes de contrôle. Dans un premier temps, la situation est angoissante donc inconfortable. Il faut trouver les « trucs » qui feront fonctionner la séance pour tous. Cela demande, lors de la mise en place, tâtonnements et pertes de temps. Deuxièmement ce mode opérationnel que l’on pourrait comparer à une ruche a les apparences d’un grand foutoir. L’enseignant Piedestal n’aime pas donner l’impression de ne pas maîtriser la situation. Troisièmement, N’importe quoi ne se transforme pas en Affamé comme par miracle. Il profite bien entendu de la situation pour faire ce qu’il sait le mieux faire, c'est-à-dire rien. Reine-mère profite de la brèche ouverte par la simili-liberté pour régner et perturber ses sujets.  Cependant, pour les autres, dans ce temps de contrat tout est mieux. Affamé et Scolaire ont toujours à manger. Stressé travaille à son rythme et petit à petit se détend. Lacune reçoit de l’aide de ses camarades et du maître beaucoup plus fréquemment. Tout Fou fait moins la course et Toute Faible trouve petit à petit sa place. Pour l’enseignant du bas de l’estrade, la satisfaction d’avoir pu aider ceux qui en avaient le plus besoin et d’avoir dégager du temps pour travailler individuellement sur de l’expression écrite ou des mathématiques est grande.

Que les leçons d‘Histoire en face à face soient utiles à des lycéens, évidemment, même si elles sont ennuyeuses. J’affirme ici que la plupart des leçons que nous faisions en classe primaire frontalement, en utilisant des manuels plutôt moins que bien écrits, en faisant apprendre le sacro-saint résumé de la leçon sur Napoléon par cœur, n’a strictement aucune utilité. Ah si, peut-être à commencer à séparer le bon du mauvais « élève », celui qui fera le travail coûte que coûte, qui réussira son « évaluation » pour faire plaisir aux parents ou à l’enseignant, mais qui aura oublié cette leçon et cet apprentissage poussif dès le lendemain puisqu’elle n’avait que de sens que celui d’être évalué. Alors que les élèves peuvent et devraient être passionnés par l’Histoire !

 

 

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Bienvenue dans le monde merveilleux de l’Education Nationale : pays des nantis privilégiés aux longues vacances.

 

Mal dans sa peau arrive dans l’école, tout nouveau, tout malheureux. Celui-ci a beaucoup de mal à réussir sa rentrée. Il se plaint de mal au ventre, présente de nombreuses difficultés en classe semblant « se bloquer ». Quelle a été la solution de la mère : venir à l’école se poster de l’autre côté de la grille assister au mal être de son fils. Le frère suivant également. Bonne manière de pousser un enfant à se mêler aux autres. Qui veut aller dire à cette mère qu’elle se trompe, qu’il ne faut pas agir comme ça ?

 

Conseil de classe. Toute faible n’ose pas ouvrir, ne serait-ce que pour soupirer d’ennui, la bouche. Quasi impossible de l’entendre les quatre premiers jours. Pendant le conseil, une question est intervenue concernant le prénom d’une Toute faible, nouvelle dans l’école. Les autres ont eu du mal, apparemment, à connaître le véritable prénom de cette dernière. Celle-ci a eu du mal à me confirmer son prénom ! Tout cela parait confus ? C’était le cas.

 

Pendant le conseil, Tout fou le nouveau a joué au jeu du petit rigolo et a été tout de suite arrêté par ses camarades. Les anciens de l’école n’auraient pas eu idée d’aller si loin, persuadés que ce qui allait se jouer lors du conseil les concernait. Le nouveau n’avait pas encore saisi et c’est normal.

 

Conseil de classe. Un élève se plaint d’un autre qui le harcèle en jouant à lui faire des clins d’œil. Reine mère répond qu’elle a un problème à l’œil qui la fait cligner. Franche rigolade dans la classe. Reine mère tombe du haut de sa toute-puissance et vient de découvrir que ça ne marche pas toujours. Il lui faudra quelques situations telles que cette dernière pour considérer ses camarades autrement que comme des sujets.

 

N’importe quoi le frappeur agit à tout moment à l’aide de sa violence. Il est le digne représentant de ses ancêtres bagarreurs. Il frappe sur plus petit que lui. Il frappe parce qu’il ne sait pas s’exprimer. Il frappe pour parler la même langue que son père (tu seras un homme mon fils !) mais il frappe. L’adulte lui dit et lui répète que ce n’est pas bien, l’adulte le réprimande. Rien de rien ne le stoppera sauf s’il arrive à ressentir ce que le frappé ressent. De mes yeux, j’ai vu frappeur réalisait qu’il abîmait non seulement son camarade mais dans le même temps qu’il se mettait tous les autres à dos. Comment l’aurait-il réalisé si la discussion collective et le témoignage protégé et encouragé de ses victimes n’avaient pas été possibles lors du conseil. Bilan : Frappeur a arrêté de frapper. Après un bon trimestre de discussion, d’un conflit par dizaine de minutes, il est passé assez rapidement à une récréation apaisée et amusante. Avec une parole adulte qui n’a pas joué les premiers rôles.

 

Mal dans sa peau n’est pas mal qu’avec sa peau mais avec toutes les autres peaux. En général, le conseil (au moins le premier) est un moment difficile à passer pour elle. Accusée par tous, elle prend le rôle naturel dans un groupe de tête de turc. Tout est de sa faute et le conseil la punit comme il se doit. Elle a droit à la sévérité réservée à ceux qui n’ont pas d’amis. Elle encaisse. On lui confirme qu’elle est mauvaise, comme on le lui répète à la maison ou ailleurs. Seule l’échange, entre elle et l’élève ou l’adulte présent au conseil pourra servir à faire comprendre à tous que les raisons de son comportement et les réactions sauvages du « groupe » sont la conséquence d’un mal être. Et de chercher des solutions… Passé l’instant sauvage, les enfants comprennent bien que chacun a un rôle à jouer pour que les comportements s’améliorent.

 

L’impact des remarques entre élèves lors de ses réunions est bien plus important que celui de l’adulte pour réussir à modifier le comportement.

 

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Le paragraphe nécessaire du professeur qui professe (encore !)

 

Une autre institution à présenter : le conseil de classe. C’est le cœur, le poumon de la classe. Le moment où les élèves ont force de propositions, de discussions… Pratiquée depuis des lustres par certains collègues, cette obligation de « discussion-débat » n’est apparu que récemment dans les textes officiels.  Et comme tout outil de classe, tout est dans la manière de mettre en place ce travail. Il peut être un excellent moyen comme un affreux paralysant. Nous y reviendrons certainement. Je ne pense pas que la clique aimerait ces discussions de classe d’une demi-heure. Ils, j’imagine, trouveraient cela fort peu efficace et repoussant insuffisamment l’élève comme simple réceptacle du savoir délivré. Et pourtant, que faut-il à l’enfant avant qu’il devienne un élève recevant ? De la motivation, de l’envie, de la confiance, de la compréhension de lui-même et de la situation, bref tout un tas d’éléments qu’une partie de la classe que j’ai cette année n’a pas.

 

C’est de la démocratie en marche. C’est de l’éducation civique en actes et non en discours

 

Cette institution essentielle dans la pédagogie coopérative permet aux élèves d’avoir la parole dans un cadre. Cela donne la possibilité à tous de s’exprimer. Des Toute faible après un temps d’adaptation, et se sentant en sécurité, prennent également la parole. Par l’intermédiaire d’un système d’inscription via une boîte et des points de couleur, les élèves s’inscrivent pour demander (une responsabilité dans la classe (métiers), un permis…), proposer (un changement dans l’organisation, une nouvelle activité…), remercier ou féliciter (un camarade qui a aidé ou fait des progrès…), se plaindre (d’un camarade ou même parfois de l’enseignant…). On discute alors des sujets, puis on propose et on vote. Après quelques séances menées par le maître, la séance est dirigée par un président élève et un secrétaire élève. Les réunions sont parfois intéressantes, parfois ennuyeuses pour les enseignants Piedestal que nous sommes. Mis à part Mal dans sa peau, trop mal dans la classe comme partout par ailleurs, tous les autres élèves attendent le conseil avec impatience. Le silence se fait en général tout seul dès le début du conseil. Les élèves apprennent alors à prendre la parole, argumenter, écouter les arguments et idées des autres, voter, chercher des solutions et prendre des décisions justes, distribuer la parole. L’enseignant régule, tempère, explique, argumente seulement si nécessaire. Les élèves savent que le maître garde en dernier recours son droit de véto sur telle ou telle proposition non recevable. Il est en sécurité. Ce qui est traité en classe doit rester entre nous.

 

Autre institution dans l’école, le conseil d’école. Nous réunissons les 3 classes de l’école une fois toutes les 5 à 6 semaines pour trois quarts d’heure de discussion. Nous abordons les soucis inhérents aux récréations (gestion du matériel…). Nous apprenons à discuter pour mieux vivre ensemble. Nous réglons les problèmes d’élèves violents dans la cour. Lors de ce temps, nous sommes entre 60 et 70 élèves et les enseignants. Il est intéressant de constater comme il est difficile pour les adultes dans ce cadre de lever le doigt pour prendre la parole comme les élèves eux-mêmes. En effet ce moment est géré par un président élève distribuant la parole (remarques, propositions et votes) et un secrétaire élève tenant les inscriptions. Les enseignants tout en aidant les deux « responsables » élèves (la situation étant compliquée à gérer), sont donc censés lever le doigt pour demander la parole quand ils veulent participer au débat. Et c’est compliqué et difficile. Accepter que les explications confuses et les arguments fallacieux et enfantins des uns et des autres et attendre son tour pour les contrer calmement et par conséquent efficacement n’est pas travail aisé. L’enseignant a tout le reste du temps droit divin de prise de parole. Ce qui est normal. En revanche, dans cette situation, il faut se montrer exemplaire pour les autres. J’étais cet adulte pressé et offusqué dès la première remarque mal formulée et indélicate. En regardant agir un collègue calme et posé et en réalisant ce que ce comportement adulte avait comme poids auprès des élèves, j’ai compris l’importance de ce détail. La réaction de départ de l’enseignant est de stopper illico presto l’élève lourdaud, de mettre le holà dès qu’une parole choquante à ses yeux est prononcée. Dieu sait que des raisonnements stupides et des solutions radicales sortent de la bouche de nos enfants. Mais il faut savoir laisser parler, réagir calmement et cela a son effet. Mais c’est compliqué à accepter pour les enseignants que nous sommes. Il y a cette tendance à se sentir responsable dans le cadre scolaire de ce qui sort de la bouche des élèves de « sa » classe. Comme si on pouvait tout. Descendre de sa toute puissance, compliqué pour un adulte (sinon pourquoi tant de dictateur, tant de tyrans, tant d’amour de l’homme pour le pouvoir…), alors difficile pour un enseignant, un « maître » qui porte bien son nom en l’occurrence. De la même manière, personne n’est plus dissipé qu’un enseignant avec un autre enseignant en réunion de travail. Faites ce que je dis mais… A leur décharge, les réunions de travail sont bien souvent soporifiques et inutiles.

 

Lors de ces discussions collectives bien souvent dérisoires se jouent pourtant, à mon sens, la formation du futur démocrate. Si je veux réformer, il faut que je m’exprime (et donc que je sache m’exprimer). Si je veux mettre en avant, je dois convaincre, argumenter. Si je veux que ma demande soit acceptée, je dois avoir un vote favorable. Savoir si deux ballons ou trois pourront être utilisés dans la cour et où et à quel moment est un travail long et patient de démocratie.

 

Par le passé, une famille (une mère serait certainement plus juste) avait retiré son fils de ma classe. Cet élève était doué, taciturne (dessinant seulement au stylo noir), plutôt renfermé si mes souvenirs sont bons. La mère dans un premier temps demande à me rencontrer pour aborder les difficultés relationnelles de son fils avec les enfants de son âge et les adultes. Je lui dis ce que j’en pense. Quelques jours plus tard, les parents par ailleurs divorcés (le père était semble-t-il en mission commandée) viennent me voir et m’annoncent qu’ils retirent leur chérubin. Raison invoqué : leur petit surdoué ne supporte pas les méthodes Vichystes que j’utilise. Il s’agissait du fameux conseil de classe durant lequel était discuté notamment des conflits entre élèves et par conséquent des difficultés que cet élève posait aux autres. S’en suit une série de remise en cause du travail que je faisais et des méthodes que j’utilisais. Le père après avoir sorti les phrases préparées du discours n’en rajoutant plus, la mère continuait à jeter son fiel sur ma personne. Si bien que je dus la faire sortir de force (en la poussant) pour en finir. Croyez-moi les jours qui suivirent furent compliqués à vivre heureux. Souvent et malgré la connaissance de la médiocrité ambiante, la moindre remise en cause du travail et du choix d’organisation proposé fait mal au sommeil. C’est con mais c’est comme ça.

 

Bienvenue dans le monde merveilleux de l’Education Nationale : pays des nantis privilégiés aux longues vacances.

 

2ème semaine et premier clash avec un parent. Ce matin, récréation, un élève me rapporte des propos de la mère d’un mal dans sa peau accompagnant les élèves dans les moments périscolaires. Elève que j’ai dans la classe pour la seconde année. Elle aurait dit, après qu’un élève l’ait agacé, que je laissais tout faire dans ma classe et que j’étais un c.. . Me voilà enquêtant pour savoir si cela parait plausible et d’autres élèves prenant le car me confirment ces propos. Mon sang ne fait qu’un tour et je demande à cette chère madame de venir me voir dès que possible. Ce qu’elle fait le soir même. Il faudrait revenir à l’an passé pour cerner le personnage et je ne pourrais le coucher qu’un jour « non-violent ». Bref, je me rends compte après qu’elle m’avoue les paroles à quelque chose près qu’elle ne se rend même pas compte de la gravité des propos. Et qu’elle se défend en disant qu’elle aussi elle aurait des motifs de plainte. J’y reviendrai un autre jour parce que là j’en peux plus de ce con de boulot. Quand les idiots, par définition ils ne s’en rendent pas compte, se donnent tous les droits pour juger de notre boulot, et il y en a de plus en plus, cela est tout simplement insupportable. Bêtement, par le passé, ceux-là fermaient leurs gueules, je me dis !

Lendemain de crise. Voyez j’ai encore du mal à raconter  le n’importe-quoi de la situation d’hier. C’est encore trop frais dans ma tête et la situation est trop abracadabrante.

Je raconte deux semaines plus tard.

Mal dans sa peau le menteur est un de ces élèves insaisissable. Y’a peu de fil qui sort de lui pour qu’on puisse l’attraper. Il est malheureux. Isolé. Rejeté par les autres. Cherchant des histoires. Je m’en inquiète. Il fait mal au cœur. Il n’a pas de difficultés pour acquérir les notions de français et de maths. Par contre, il a énormément de difficultés à être autonome. Vider sa table des cahiers qui ne lui servent plus au fur et à mesure est une tâche hors de sa portée. Il a des résultats excellents. Voilà à quel prix ! Chaque jour de sa vie semble être un calvaire, sa mère, celle dont nous avons parlé plus haut le faisant trimer pour les devoirs et semblant y prendre plaisir. Alors bien sûr = bachotage intense donne résultats excellents. Pour l’exemple, elle lui fait recommencer 4 fois une poésie copiée sur son cahier sous prétexte d’une écriture inacceptable (alors qu’elle est vous l’avez compris plus que correcte). Il sait ses leçons parfaitement et doit y passer un certain nombre d’heures. J’ai essayé toute l’année passée de leur (parce qu’il y a le père mais il est éteint) faire comprendre que cet enfant avait besoin de respirer et d’être mieux dans sa peau. Qu’il fallait travailler plus son autonomie que de le faire trimer. Y’a rien eu à faire. J’étais le laxiste, celui qui laisse tout faire. Je ne faisais pas du dressage donc ça ne pouvait pas aller. Heureusement qu’elle était là pour qu’il réussisse à l’école. Et j’en passe des remarques désobligeantes, vulgaires et idiotes. Pour couronner le tout, cet élève est menteur. Il a fait croire pendant un mois qu’il n’avait pas de devoirs. On le comprend, c’était une manière de se protéger. Alors ce fameux jour au cours duquel j’apprends qu’elle me démonte auprès des élèves pendant son activité professionnel, je la vois le soir et lui dit droit dans les yeux que son comportement est inacceptable. Elle enchaîne en me rétorquant après avoir reconnue ce qu’elle avait dit, qu’elle a des choses à me reprocher et me sort une histoire délirante que lui avait raconté Mal dans sa peau le menteur et qu’elle avait cru bien entendu. Je tombe sur le cul allant jusqu’à douter de ce que j’avais dit ou fait. Après des échanges houleux, elle s’en va en me disant qu’elle au moins a reconnu et que j’aurais pu reconnaître moi aussi ! Bref. La cause est perdue ! Elle est persuadée de savoir mieux que moi ce qu’il faut demander à un élève et ce que doit être l’école. Elle n’a pas de doutes et imagine comprendre la situation de classe parfaitement. Je n’ai pas envie d’alourdir son cas mais je dois dire qu’elle n’est pas la seule à régler ses comptes avec l’école en passant par l’enseignant. Malheureusement, nous subissons ce genre d’attitude au quotidien. Nous sommes un des premiers interlocuteurs dans la société pour ceux qui vont mal. Qui veut prendre la place du nanti ?

 

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Bientôt la réunion de rentrée avec les parents. Comme chaque année, ceux qui sont en capacité de comprendre seront là. Ceux qui râleront tout le reste de l’année ne viendront pas. Ainsi ils pourront bavasser toute l’année sur ce qui se fait dans la classe sans y comprendre grand-chose. Et surtout, râler parce qu’on ne travaille pas forcément comme « à leur époque ». Que peut-on y faire ? Subir. C’est fou ce qu’on peut subir ! Les élèves, les parents nous « chargent » de leurs difficultés. C’est un collègue qui résume ainsi le poids que l’on porte dans ce métier.

 

« Aide moi à faire seul ». Cette phrase de Maria Montessori, pédagogue italienne connue, je l’ai donnée en pâture aux parents lors de la réunion de rentrée. Certains me disaient leurs difficultés lors de la séance des devoirs du soir (je ne donne quasiment que des leçons à revoir et de la lecture, pas de devoirs écrits). Difficultés avec leurs enfants récalcitrants. Ces parents sentaient bien qu’il fallait les lâcher en douceur comme le préconise la phrase mais semblaient quelque peu incapable de le faire. Surinvestissement, peur de mal faire, d’être un mauvais parent. Y’aurait vraiment besoin d’une « éducation des parents » pour avoir des repères. Certains seraient demandeurs et ça ferait du bien à toute la famille. Je pense que ça devrait exister et ceci dès la très jeune enfance. Avoir des repères, c’est essentiel.

 

Dressage ou éducation. Certaines personnes croient dur comme fer qu’avec les enfants il faut agir comme un dresseur de fauves. Ils reproduisent certainement mais ne s’imagine pas qu’un enfant a besoin d’autre chose que ça. Lors de la réunion de rentrée, j’évoquais le fait qu’éduquer, qu’enseigner c’est viser l’avenir et ne pas espérer un résultat immédiat. Que ceux qui visser leurs enfants prenaient le risque que ça leur pète à la gueule plus tard et qu’il ne fallait pas s’en plaindre alors. Y’a eu une réaction dans l’assemblée. C’est déjà pas mal.

 

Pour beaucoup d’instits, c’est apparemment compliqué de ne plus rester de « bons élèves », c'est-à-dire de remettre en cause ce qu’ils ont appris, l’utilité de ce qu’ils ont appris, l’efficacité de ce qu’ils ont appris. Ils reproduisent. Rien de neuf dans ce que je dis ! Changer d’optique, trouver des solutions adéquates, prendre des initiatives, ce n’est pas forcement ce qu’on a appris à ces anciens bons élèves, appliqués qu’ils étaient. Pourquoi remettraient-ils en cause le système qui leur a permis de réussir ?

 

Ca y’est, N’importe quoi la tricheuse a sévi. Elle a fait l’exercice parce qu’il fallait le faire. Elle a triché en utilisant la calculette. Elle n’a strictement rien compris (additions de décimaux). Elle s’est fait prendre et a pleuré. Comprendra-t-elle un jour ce qu’elle vient faire ici, dans cette classe ? Saura-t-elle un jour ce qu’est le plaisir de comprendre ou de réussir après des efforts consentis ? Pas certain. C’est une de ses élèves pour qui le tout cuit est le seul effort comestible.

 

Les CM2 ont passé des Evaluations Nationales (en 2007). C’est nouveau sans l’être. Et comme d’habitude, qui dit évaluation, dit aberrations ! Ainsi, l’expression écrite est évaluée. Il s’agit d’écrire quelque chose d’inintéressant en devant utiliser des mots imposés inintéressants. Il se trouve que la plus douée en expression écrite a eu les moins bons résultats ! Simple en effet, les critères sont la longueur du texte, l’écriture de 2 phrases correctes, l’utilisation des mots imposés, les majuscules et point, l’utilisation des temps et le respect d’une consigne. Si le texte est écrit petit ou gros, on s’en fout (on compte les lignes !). Si le texte ne veut rien dire dans sa globalité, on s’en fout (tant que deux phrases sont correctes !). Si le texte est imaginatif, tourné vers quelque chose qui peut nous mener ailleurs, on s’en fout (vaut mieux faire chiant mais avec les points et les majuscules). Bref une belle connerie. Et je ne parle pas de l’évaluation de vocabulaire, c’est bidonnifiant !

 

L’expression écrite. C’est s’exprimer ou pas ?

 

Le paragraphe nécessaire du professeur qui professe (encore, ah non !)

 

Qu’est-ce que s’exprimer ? Est-ce appliquer la leçon sur comment je dois m’exprimer ? Est-ce écrire la lettre à son correspondant décalque de la lettre du voisin ? Est-ce trouver sa voix ? Son style ? Son expression ? Ainsi on confond bien souvent (et dans les écrits officiels aussi), écrire (écriture copie ou production de texte par le mimétisme ou le modèle) et expression écrite. Bien qu’on ne s’exprime pas à partir de rien, que ce soit dans les domaines artistiques (arts plastiques, musique…) ou en littérature, on doit d’abord laisser l’expression poindre et ensuite la corriger pour qu’elle atteigne son but (être lue et comprise ou du moins apprécié). Comme dans beaucoup de domaines, le travail se fait à l’envers. On privilégie le modèle à reproduire plutôt que l’expression propre. Je ne dis pas qu’il faut éviter toute activité d’application (que ce soit en expression écrite ou dans d’autres domaines). Mais il faut d’abord que l’élève soit actif et que cela parte de ce qu’il est. Le problème est que cette situation est compliquée à gérer et inconfortable pour l’enseignant Piédestal.

 

La pédagogie coopérative prône l’élève actif, qui participe, dans tous les domaines. L’enfant qui s’exprime. Mais attention pas n’importe quand, pas n’importe comment. Dans un cadre avec des règles. Mais la place et la liberté nécessaires à cette expression est prévue. Ainsi en ce qui concerne l’expression écrite, la correspondance scolaire est un espace de liberté lors duquel je parle des thèmes qui me concernent ou me plaisent (la présentation de la lettre, à la condition que la lettre soit facilement lisible, est également libre). Les « textes libres » sont aussi des moments pendant lesquels je m’exprime librement (des récits, des poésies, des histoires longues ou des articles pour le blog de l’école sont ainsi écrits). L’élève a le choix du thème. Il demande ou non de l’aide de la part du maître ou des camarades.

 

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4ème semaine de classe. La fatigue commence à se faire sentir. L’usure du métier, l’usure au bout de 7-8 semaines de classe, cette fatigue nécessitant les vacances. Personne ne peut la comprendre s’il ne la vit pas. Mais là, je me plains et j’aime pas ça ! Un des gardes travaillant à la mairie me chambre toujours sur les vacances tout en reconnaissant qu’il ne pourrait pas supporter les gosses 6 h par jour ! C’est un métier pénible. Qui charge la tête de celui qui le fait avec cœur.

 

Vendredi dernier, je suis rentré heureux de tout ce que j’avais fait. Tout a fonctionné et tout a été utile ! J’ai été un excellent prof de ponctuation. L’exercice du tableau était bien choisi. Le travail autonome (qu’on appelle contrats a été intéressant). Le calcul mental a servi à tous (c’est pas toujours le cas). En sciences, les expériences ont été très enrichissantes (j’ai appris autant que les élèves, c’est un bon signe !). La séance de sport, au poil avec des tas de solutions qui ont marché. Et la lecture d’un conte écrit avec beaucoup d’humour a été un plaisir pour les élèves qui je pense ont compris que la lecture, c’était aussi la découverte de quelqu’un qui écrit avec un style. Et pour finir, deux élèves ont lu des textes libres de qualité. Une poésie et une histoire qui auront valeur d’exemple pour tous. Que du positif. Je m’envoie des fleurs !

 

Bienvenue dans le monde merveilleux de l’Education Nationale : pays des nantis privilégiés aux longues vacances.

 

La fameuse mère de Mal dans sa peau le menteur est revenue toute peureuse pour me demander devinez quoi ! De lui signer un papier lui stipulant que son fils était heureux avec elle. Voilà le genre de situation qui paraisse incroyable mais qu’on vit chaque jour. Elle en avait besoin pour l’avocat (histoire de divorce).

 

 

Je viens de lire un charmant petit livre, qu’en temps qu’ « éducateur », j’ai reçu ce matin signé de notre président. Il nous parle solennellement d’éducation, de mission de l’école et tout le baratin. Le constat est somme toute réaliste et pas déplaisant à lire. Que nous soyons passés d’un déséquilibre brimant les enfants à un autre qui les « laisse tout faire », c’est réel. Mais que dire des solutions proposées. Aucune. De belles phrases, moins d’adultes dans l’école, la valorisation du mérite. Quel mérite ? Le mérite de l’élève qui a la chance d’avoir une excellente mémoire, une excellente orthographe, des dons mathématiques par rapport au petit dyslexique qui s’accroche pour apprendre ses tables et qui va se taper des mauvaises notes dès son arrivée au collège. Ce n’est pas toujours celui qui bosse le plus qui a le plus de résultats. Ce n’est pas souvent celui qui a la meilleure note qui a le plus de mérite. C’est beaucoup moins simple que ça. Mais faut vivre dans le fantasme plutôt que dans la réalité. Le fantasme de l’élève méritant. Je ne dis pas qu’il n’existe pas, je dis qu’il n’est pas toujours celui qu’on croit. M. notre président doit se trouver méritant, assurément. Il doit penser que nous constatons que c’est évident. Il n’a certainement eu  que peu d’occasion de se trouver devant un élève en échec scolaire. Il ne sait pas ce que c’est. Je ne parle pas de N’importe quoi le glandeur, qui ne s’intéresse à rien et qui veut que comme à la maison tout tombe tout cru dans sa petite cervelle. Je ne parle pas de celui à qui on n’a donné strictement aucun désir d’apprendre et qui vient à l’école parce qu’elle est obligatoire. Je parle de ce gamin méritant, travailleur, acharné parfois, qui n’y arrive pas. Non pas qu’il ferait un bon manuel, comme il serait aisé de le classer. Celui qui a juste du mal à correspondre à notre façon écrite d’évaluer. Bien souvent, ce même élève est le plus intéressant de la classe. Le plus cultivé, le plus curieux, le plus à l’aise à l’oral, rempli d’intelligence que notre système va gâcher. Est-ce qu’il le mérite ?

 

Bienvenue dans le monde merveilleux de l’Education Nationale : pays des nantis privilégiés aux longues vacances.

 

Un soir de la semaine, nous voyons une mère d’un nouvel élève. La jeune instit qui l’a en charge est déconcertée par l’élève en question. Elle nous demande d’assister à l’entretien à une collègue et moi. Cet élève semble avoir de grosses difficultés sur les acquis et n’a pas pour autant prolongé d’un an son CE1. En convoquant la mère, elle nous adresse une lettre mentionnant toutes les actions qui avaient été menées pour aider son fils. Cela fait déjà un mois que nous sommes rentrés et elle n’avait encore rien dit ! L’entretien se passe dans les pleurs, parfois malgré la demande de la collègue qu’il reste dans une autre salle les pleurs ont lieu devant l’enfant qui passe. Nous sommes dans le pathos complet, cette mère est mal pour son fils, ne sait comment l’aider et fait le contraire de ce qu’il faudrait. L’enfant le voit, le comprend et en plus de ses difficultés bien réelles doit en jouer. Tout ça est extrêmement compliqué. Qui veut être l’assistante sociale, la psy de cette femme ?

 

 Mes deux jeunes collègues sont en train de se rendre compte de la misère sociale que nous prenons de plein fouet en débutant ce métier. Je me rappelle de ma première année et de ma découverte de cette réalité insoupçonnée avant de commencer. Des situations sociales, familiales, des comportements d’adultes que l’on ne peut imaginer avant de se mettre à travailler vraiment. Si tant est qu’on ait grandi dans un milieu relativement protégé. Ce qui est souvent le cas des instits débutants. Toutes ces situations qui font dire de temps en temps « mais comment veux-tu que cet élève comprenne quelque chose au subjonctif ! ». C’est le temps de la découverte pour elles de cette réalité. Parfois, on se demande qui peut imaginer ces situations que nous rencontrons mis à part les travailleurs sociaux et les métiers accueillant ou s’occupant de ce public. Est-ce que notre cher président à une idée de ce qu’est une personne complètement larguée ? Je ne crois pas.

 

* * *

 

Tiens Lacune a pointé le bout de son nez. 2 + 2 euuuuuuhhhhhh ? Je rappelle que j’enseigne à des CM2. Je sais que j’en aurais pour toute l’année. Un : la remettre en confiance. Deux : reprendre les bases en trouvant le temps nécessaire à ce travail.

 

Mais je garde confiance, une Lacune de l’an passé que j’ai pour la deuxième année est en train de se métamorphoser. Elle prend confiance, elle affiche de la volonté, elle a l’air de s’approprier des notions qui auparavant semblaient lui passer à une hauteur intersidérale au-dessus de la tête. Et pourtant, je suis en conflit avec la famille qui considère qu’on ne bosse pas dans cette école. Je vous passe les détails, cela me fatigue rien que de l’évoquer.

 

J’ai des nouvelles parfois des collégiens qui démarrent leur secondaire après être passé par notre école. Pour certains d’entre eux, dès le début septembre commencent les notes. Et dès le début septembre on constate un découragement quand c’est compliqué. Et là encore, je parle d’élèves travailleurs qui n’ont pas, comme on dit pudiquement, de facilités. Et ça me fait chier au plus haut point que des profs puissent commencer l’année en mettant des 5 et des 6 à une grosse partie de la classe pour les accueillir au collège. Franchement, y’a aussi des collègues complètement sans jugeote.

 

 

 

F comme fonctionnaire

(petite rubrique inutile consistant à s’agacer inutilement à propos de ceux qui voient jalousement les enseignants comme des planqués)

 

J’ai décidé que j’allais noter toutes les fois que je travaille pour la gloire. C'est-à-dire quand je travaille parce que j’ai le sentiment que c’est intéressant pour mes élèves et que ce n’est pas considérer par ma hiérarchie. Ce n’est pas dans le but de me faire plaindre, ce n’est pas pour répondre aux débilités rabâcheuses stigmatisant le privilégié de fonctionnaire. Juste pour vérifier ce que ça donne à la fin de l’année. Alors première réunion non comptabilisée, les rencontres USEP. Il s’agit d’organiser des rencontres sportives (3 dans l’année) avec les collègues des villages alentours. Cela permet de donner un but aux séances de sport et de réunir les élèves qui se retrouveront au collège ensuite. C’est évidement motivant et enrichissant pour les élèves. Nous essayons de varier les sports afin de faire découvrir le plus de possibilités aux élèves. Nous étions donc une vingtaine de volontaires pour prévoir sports, dates, lieux, organisations humaines et matérielles. Tout au long de l’année, nous ferons donc :

- rencontre 1 de la course longue et de la découverte de sports tels que badminton, hockey, baseball, escalade, escrime, ultimate (ça se joue avec un frisbee), rocheball (une sorte de jeu de balle).

- rencontre 2 des sports collectifs en tournoi, rugby, handball, volley, baseball.

- rencontre 3 athlétisme saut en longueur et hauteur, lancer d’anneaux et de poids, course de vitesse et relais.

Ces rencontres seront bien entendu préparées en classe tout au long de l’année (tout ceci est bien réfléchi et rodé !). Voilà pour la petite leçon de choses !

 

Plus largement ça me fait penser aux heures que je passe à travailler et je me suis amusé à comptabiliser le volume horaire d’une semaine. Chaque jour de classe, c’est 8h-18h non stop, un quart d’heure pour manger à midi avec les collègues pour essentiellement parler de travail ! Soit 40 h. Il faut rajouter environ 3h le mercredi si on fait une moyenne. Et disons 3h le week-end en moyenne. Il y a des week-ends libres et des week-ends bien remplis avec les cahiers à corriger. Soit 47h de travail hebdomadaire. Sommes-nous censés travailler autant, je ne le crois pas. Je pense que nous devons 36h mais je n’en suis pas sûr. Bien entendu je ne prends pas mon cas pour une généralité mais je ne le prends pas non plus pour une exception. Loin de là. Donc …

 

Alors dans le privé, ils vont nous sortir leurs 70h et bien rigoler. Ils vont nous dire qu’eux aussi ont un métier stressant et tout le tintouin. Je ne le nie évidement pas. Mais je pense que tous ceux qui se sont occupés d’enfants savent la disponibilité demandée par les enfants et l’énergie nécessaire. Il faut reconnaître que cela use et fatigue énormément. Je le dis en précisant que je ne m’en plains pas, je le vis et je le raconte c’est tout. C’est un métier pénible et les vacances sont indispensables à la ressource.

 

Aujourd’hui, dimanche, je rentre d’amener chez une collègue les lettres des élèves aux « correspondants » que nous échangeons chaque semaine parce que comme beaucoup de collègues ayant adopté la démarche de pédagogie coopérative, nous croyons qu’il faut donner sens aux apprentissages. Chaque semaine les élèves écrivent des lettres pour leurs correspondants et ce travail est utilisé pour parler orthographe, conjugaison, grammaire, syntaxe… avec les élèves. A travers ce travail, nous parlons aussi respect de l’autre, curiosité, politesse, « vivre ensemble » (le mot du moment à la mode)… Combien de fois ai-je du expliquer à un élève qu’en s’adressant à son corres’, il fallait commencer par lui dire bonjour, qu’il ne fallait pas l’agresser dès les premiers mots de la lettre parce que la lettre reçue manquait de soin ou qu’elle contenait quelques erreurs. Bref rajoutons une demi-heure de route chaque semaine pour réaliser cet échange avec ma collègue. Je ne me plains pas, je fais la liste ! Je suis heureux de travailler ainsi et que les élèves y trouvent du contentement. Non simplement parce qu’ils y trouvent du plaisir mais parce que ce travail est riche et permet de gros progrès dans beaucoup de domaines. Au risque que cela passe pour un travail « récréatif ». On a souvent l’impression que quand les élèves prennent du plaisir, c’est que ce n’est pas du vrai travail !  C’est dans l’inconscient collectif je pense. Ma jeune collègue relaie bien cette idée quand elle me dit que lors d’une séance de sciences en situation collective de réflexion, puis lors de la mise en place par les élèves de l’expérience, elle craint que les élèves aient l’impression que ce soit la récréation et qu’ils l’expriment ainsi à la maison. Ou encore une ancienne collègue qui trouvait que lire le livre de lecture suivi sans donner un questionnaire écrit, c'est-à-dire en travaillant à l’oral, ce n’est pas du travail pour les élèves. On vit avec cette pression sociale de l’idée que le travail c’est la peine, c’est le silence, c’est l’ordre, c’est l’écrit… Idioties !

 

* * *

 

Une semaine que je n’ai pas trouvé le courage d’écrire. Nous sommes à la septième semaine et la lassitude s’empare de ma volonté et la bouffe toute crue. C’est le moment si nécessaire que les vacances arrivent. Avec l’expérience, je sais que l’énergie reviendra comme à son habitude. Mais j’ai besoin de penser autre chose que pédagogie et consorts. Donc je n’écris plus pourtant ce n’est pas la matière qui manque. Il reste encore une semaine.

 

F comme fonctionnaire (la suite)

Comme je l’ai déjà écrit plus haut, je participe au comité départemental USEP du Gard. Humblement, j’apprends à comprendre comment elle marche, à quoi elle sert. Bien évidement les soucis de financement sont au premier rang. Mais la philosophie de l’association est d’abord de proposer du sport scolaire. Cette désignation n’est pas dénuée de sens. Elle vient en opposition au sport « en club ». Elle met en avant la pratique éducative du sport. Elle refuse l’unique sport business.

 

Mercredi avant les vacances, je me rends à l’assemblée générale de l’USEP. Il s’agit d’une association s’occupant de l’EPS à l’école. Elle favorise la pratique sportive en finançant les cars et en aidant à l’encadrement de rencontres sportives qu’elles soient en temps scolaire (comme déjà évoqué plus haut) ou hors temps scolaire (c'est-à-dire certains mercredi pour les instits et les élèves volontaires). Cette association est essentielle à la vitalité du sport scolaire. Elle est d’autant plus essentielle que, bien qu’en partenariat avec des fédérations sportives qui ont un autre intérêt, elle véhicule une philosophie indispensable à la pratique sportive. Elle favorise la pratique de sports variés, elle impose l’enfant acteur (organisateur, arbitre, scoreur…). Elle ne met pas l’accent sur la compétition (pas de médailles, de coupe pour les meilleurs, un classement très vite annoncé…) mais sur la pratique plaisir, santé, respectueuse, conviviale de l’E.P.S (Education physique et sportive). Une pratique d’abord éducative. J’ai décidé que j’allais m’investir un peu plus dans cette association à cause de ces principes. Je vous raconterai.

 

Stressé a réussi son coup. Il s’est empêché de réfléchir. Et a fait ses dégâts. Ce matin, travail simple de calcul mental de soustractions. Montée de stress inévitable pour celui qui se considère comme « nul » et qu’on n’arrête pas chez lui de marquer au fer comme élève médiocre. A partir de là, plus rien n’est possible. Dans les yeux cela se voit, le mur est déjà là. Pas moyen de sauter par-dessus. Le travail de longue haleine commence. Celui dont on n’est pas sûr qu’il donne des résultats et qui prend du temps. 1 : effacer du disque dur de cet élève qu’il est nul en maths, la destresser, 2 : reformater c'est-à-dire reprendre les bases et montrer petit à petit que tout peut se comprendre et s’acquérir, 3 : réinstaller, rattraper le retard. Quand en plus, depuis l’an passé, il y a un conflit avec la mère qui a essayé de changer cet élève de classe considérant que nous ne travaillons pas en classe comme il le faudrait. Le fameux  « nous à notre époque, on faisait du français et des maths matin et après-midi ». Mère qui considérait également que nous faisions trop d’arts plastique, d’E.P.S. (éducation physique et sportive (je ne dis pas sport parce que les mots ont leur importance, vous l’avez compris), de musique… Bref je lui avais vertement conseillé d’écrire directement au ministre concerné pour contester les matières enseignées et les horaires. Elle empêchait son fils de partir trois jours avec la classe dans le cadre d’un projet scolarugby et me disait que c’était sa manière de protester. Je lui rétorquais que cela mettait son fils dans un état de stress permanent mais elle ne m’a pas entendu je pense. D’autant qu’elle n’était pas claire avec sa fils, le tenant le bec dans l’eau depuis des semaines. Cette mère faisant évidement partie des personnes ne s’étant jamais déplacée pour venir à une réunion comprendre comment était organisée la classe.

 

J’ai déjà des soucis d’adultes moi tu sais s’est épilée les jambes. 1 m 36.

Eh ben maître, j’ai dit à ma copine que je m’ai épilée et qu’une autre a entendu et qu’elle le dit aux autres et que les autres ils font que m’embêter et que l’année dernière aussi elle avait eu des problèmes et que sa mère elle s’était énervée et qu’elle va pleurer et qu’elle va encore rien écouter à la leçon sur les décimaux et qu’elle va rien faire pendant son contrat parce que c’est grave.

 Ah, les soucis !

 

Trois jours pour se régénérer.  Pour se reconstituer. C’est le minimum syndical pour de nouveau avoir des envies de réfléchir. Repenser à son travail sans avoir le soupir qui accompagne. Que tous ceux qui quand on leur parle des vacances des enseignants essaient les 7 semaines d’affilée puis on en reparle. Y’a quelques années,

j’avais eu la chance (je dis la chance parce que cette possibilité et ce type de projet n’existe plus depuis) lors d’un projet expo-science de récupérer une semaine pour travailler au calme sur le projet et avancer la partie incompressible dévolue à l’enseignant. Je peux dire que les soirées étaient bien plus agréables. Je rentrais en ayant l’impression de n’avoir pas travaillé, j’étais serein et calme. La pression exercée par les élèves malgré eux, je veux dire que même s’ils se comportaient idéalement ce serait pareil et nous savons tous que ce n’est bien entendu pas le cas, cette pression vide toute l’énergie. Ceci expliquant souvent que l’enseignant choisisse des méthodes d’enseignements moins gourmandes en énergie bien que moins intéressantes sur le plan des apprentissages. Et certains jours, les jours avec soupirs, je le comprends. Pour mon cas, j’en suis incapable. Je ne sais pas travailler autrement qu’à l’énergie. Je ne dis pas ça pour m’envoyer des fleurs, c’est juste dans mon caractère.

 

Deuxième période Novembre-Décembre

 

 

 A SUIVRE ... ?

23 septembre : 2de Journée du refus de l'échec scolaire

Chaque année, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme. Un gâchis humain, social, économique, que notre pays ne doit plus accepter! Sous le parrainage de François Dubet, la deuxième édition de la Journée du refus de l'échec scolaire, organisée par l'Afev en partenariat avec Curiosphère, ESF, les Cahiers pédagogiques et le Café, abordera le thème des collégiens, et plus particulièrement la question du passage entre l'école primaire et le collège. Elle aura lieu le 23 septembre simultanément à Paris, Lyon et Nantes. Vous pouvez vous inscrire en ligne.

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Le programme

Echec scolaire : le dossier du Café

Qui se soucie de l'échec scolaire ?

Alexis Lucas

La question de l'échec scolaire a t-elle un sens au bout de plusieurs années d'enseignement ?

L'échec scolaire, un malentendu ?

Alors que j'entame ma huitième année dans un Lycée Professionnel de Roubaix pour enseigner les Lettres et l'Histoire auprès de jeunes allant de 15 à 20 ans, j'observe qu'à chaque fois que j'ai des entrants en seconde professionnelle, la question de l'échec scolaire empoisonne le regard de nombreux élèves qui se voient et se vivent comme des ratés, car tout le problème est la dissémination de cette idée d'échec au sein même de l'image de soi.

Plus je tourne et retourne cette question de l'échec scolaire, plus je me dis: « c'est vrai que l'enseignant peut se croire lui aussi en échec scolaire vu ses difficultés à mener à bien sa tâche si le public est hostile, si l'hétérogénéité est grande ou si l'effectif déborde la salle.

Et si j'osais, je dirais que cette notion d'échec voile parfois même la perception que se font les gens d'un établissement sous prétexte que le classement annuel n'est pas bon.

Personnellement, je ne comprends pas bien ce que veut dire échec scolaire car la réussite à l'école, c'est un projet que l'élève doit porter en lui-même pour lui-même. Si je prends le cas des classes que je viens d'accueillir, ne sont en échec, non pas ceux qui ont des difficultés (près de la moitié de mes classes selon certains critères) ou qui sont primo-arrivants (10°/), mais ceux qui ne savent pas pourquoi ils sont là.

Comme ma toute première mission, c'est au fond de modifier la perception que se font les élèves de la réussite, j'ai d'abord été tenté par la réalisation de projets avec mes élèves, comme la réalisation de courts-métrages ou la rencontre d'écrivains, parce qu'au bout du détour se trouve le miroir qui permet de savoir qui l'on est.


Et cette année comment refuser l'échec ?

Aujourd'hui, cependant, je me pose à nouveau comme chaque année la même question : en quoi le fait d' innover par des projets conjure t-il l'échec scolaire ? Et c'est vrai que cette année, pour régler la question de l'échec scolaire, j'ai décidé de ne rien faire.

Oui j'ai bien dit ne rien faire. Comme chaque année, j'ai envie de tout reprendre à zero car j'ai déjà tout oublié.

Je vais donc faire cours, c'est à dire ne m'occuper de Littérature, d'Histoire, de Géographie ou d''éducation civique pour éviter de lâcher la proie pour l'ombre :

1.      alors que nos programmes changent et que nos horaires s'alignent peu à peu sur celles du lycée,

2.      alors que la télévision, internet ou le téléphone évolué menacent à chaque seconde l'attention au travail de nos élèves,

3.      alors que l'horloge biologique et sociale de nos élèves les éloignent un peu plus de ce dont je parle :

Je ne veux cette année que :

*          structurer la parole partagée et le relationnel pour amener l'échange (écouter, s'écouter, réagir, donner son opinion, rédiger, réécrire, se taire)

*          encourager les fantaisies (lire, écouter et voir pour écrire, inventer, copier, réinventer)

*          travailler (moi)et travailler (eux)nos nouveaux programmes

*          démarcher (construire, alterner, redire, relancer, valoriser, donner des bons points)


On pourrait dire « Que de banalités ! » ?

Lutter contre l'échec scolaire, cette année, c'est pour moi creuser et faire creuser les questions qui forgent l'esprit critique et fuir le divertissement[1] du monde moderne.



Yves Scanu

Exerçant depuis plus de 15 ans, dans une école maternelle située dans un quartier défavorisé de la ville Saint-Étienne j’accompagne dans leurs apprentissages des enfants âgés de deux à cinq.

Je ne devrais pas dire « je » d'ailleurs car en fait nous sommes une petite équipe de quatre enseignants dont trois travaillent ensemble depuis 15 ans. Le vocable « difficultés scolaires », « élèves en échec » nous l'avons souvent mis de côté ; à l'instar de Mireille Brigaudiot nous préférons plutôt dire « enfants prioritaires ». Et ainsi, nous nous confrontons à la difficulté d'enseigner. En effet, ne serait-il pas plus juste d'appréhender les choses sous ce nouvel angle. Il est fort probable qu'un nombre conséquent d'élèves est capable d'apprendre, de progresser quelles que soit la pédagogie adoptée par leurs enseignants. Et cette facilité que nous rencontrons avec la majorité, nous leurre nous autres enseignants et nous laissent parfois impuissants face à certains enfants, pour qui, apprendre ne coule pas de source.

Ces 15 années vécues auprès de ce public très défavorisé nous a contraint à toujours être à la recherche de nouvelles stratégies pour aider c’est tout jeunes élèves dans la construction de leurs apprentissages.

Une des difficultés majeures est de les enrôler dans les diverses situations que nous pouvions leur proposer. Nous avons rapidement compris que le soutien des parents était un levier pertinent. Il nous fallait les enrôler aussi, leur expliquer ce qu'est l'école maternelle, en faire des alliés pour nous aider à accompagner leur enfant. Emmener son enfant à l'école et lui dire : « tu vas bien courir, tu vas bien jouer, bien rigoler avec les copains… » ou lui dire : « quel travail vas-tu faire, que va vous apprendre la maîtresse… » ces deux discours opposés vont forcément avoir un impact très différent sur la manière dont l'élève va se projeter dans sa matinée.

C'est pourquoi nous avons construit différents dispositifs pour rendre visible l'école et le travail que nous devons mener avec nos élèves.

Tout au long de nos 15 années dans cette école nous avons mené diverses actions, certaines furent de véritables impasses, d'autres nous semblent avoir eues des effets positifs. Je vais essayer de vous les exposer.

Au tout début, l’objectif en direction des parents que nous nous étions fixés étaient de «les faire participer». Nous n'avions que ce mot à la bouche, il faut qu'il « participe ». Et nous avons bien sûr inventé divers dispositifs. Le premier que nous avons subi était une proposition du REP (réseaux éducation prioritaire) : une animatrice de quartier sollicitait les mères d'élèves pour qu'elles viennent confectionner des gâteaux avec un petit groupe d'élèves au sein de l'école. Je dis bien que ce dispositif nous l'avons subi et ceci pour une double raison d'une part c'était une action du REP dont il était difficile de se soustraire et d'autre part nous n'avions aucune relation avec ces parents et nous ne leur parlions aucunement d'école. Cette pseudo-participation à la vie de l'école se résumait à entrer dans l'école pour faire un gâteau avec son enfant. Il nous a fallu une grande énergie pour remettre en cause cette animation proposée à toutes les écoles maternelles du quartier. À force de conviction nous avons pu faire évoluer ce dispositif en confectionnant nous-mêmes les gâteaux avec les élèves, les parents libérés de cette contrainte ont trouvé l'idée très bonne. Nos collègues des autres écoles du quartier ont mis plus de temps à se défaire de cette action mais ils ont fini par faire le même constat que nous.

Nous nous sommes à la suite de cette expérience égarés sur une autre mauvaise piste que cette fois nous avions inventé tout seul. Avec toujours cette idée fixe « de la participation des parents » nous avons mis en place des activités autour du livre, animées, par parents et enseignants. Elles se déroulaient une fois par semaine dans chacune des trois classes de l'école et nécessitaient la présence régulière de trois ou quatre parents. Divers ateliers étaient proposés aux élèves : prêt de livres, coin écoute, présentation d'albums, jeux autour du livre etc.. Nous avons déployé une énergie folle pour la mise en place de cette expérience. Nous avons, dans un premier temps, enrôlé un nombre non négligeable de parents (à l'époque nous n'avions pas mesuré le nombre conséquent de parents qui restaient sur le bord du chemin). Toutefois, cet investissement lourd que nous réclamions aux parents n’a fini par être assumés que par un tout petit nombre d'entre eux. Cet état de fait a entraîné un climat de tension entre les parents qui s'investissaient et ceux « qui se désintéressaient ». Nous avons eu la lucidité de ne pas nous entêter trop longtemps et d'abandonner cette action. Ce n'est qu'après coup que nous avons pris conscience que cette action ne pouvait bien évidemment atteindre que les parents qui avaient du temps disponible mais également une certaine facilité autour du livre. Ce qui au regard du public nous accueillons n'est absolument pas la norme. Cette proposition nous faisait plus reculer qu'avancer, elle repoussait en dehors de l'école les parents qu'on voulait y faire entrer.

C'est à cette même époque que sont arrivés les aides éducateurs qui ont été des adultes supplémentaires nous permettant de travailler de façon différente et ainsi nous offrir la possibilité de scinder notre groupe classe. (Même si je n'oublie pas que c'était des jeunes sans formation avec un statut très précaire et si pour certains leur passage à l'éducation nationale a été un tremplin pour d'autres ce ne fut absolument pas le cas).

Cette expérience qui s'est révélée infructueuse nous a permis de mieux comprendre les parents, mais aussi toutes les maladresses que nous avons commises. Notre volonté aveugle de faire participer tout le monde butait contre cette impossibilité « que tout le monde » avait de participer du fait de soucis matériels pour les uns et plus personnels pour les autres.

À partir de là, les actions menées en direction des parents avaient pour objectif central « il faut que nous leur montrions comment fonctionne l'école, comment nous tentons de faire que les enfants apprennent ».

Ce fut la mise en place du classeur « je grandis » recueil des pièces témoins de l'apprentissage des enfants qui devaient remplir deux conditions être lisibles pour les enfants et leurs parents.

Le temps d'accueil dans la classe qui est bien sûr un temps de transition nécessaire à l'école maternelle a également été mis à profit pour que les parents y voient leurs enfants grandir, que ceux-ci leur montrent ce qu'ils apprennent à l'école mais aussi que l'enseignant(e) explique aux parents ce qui se passe dans la classe, comment elle aide les élèves etc.

Avant l'injonction ministérielle de Ségolène Royale qui a tenté d'instaurer la semaine des parents à l'école nous avons institué une semaine « portes ouvertes ». Le propos de cette action était d'accueillir les parents par petits groupes dans la classe de leur enfant pour qu'il puisse vivre une matinée ou un après-midi de classe ordinaire. L'ouverture de cet espace a rencontré un vif succès à ces débuts et a suscité de réels échanges qui ont contribués à l'instauration d'une véritable relation de confiance entre parents et enseignants. Ce dispositif qui perdure toujours ne fait « plus autant recette » les anciens parents ont le sentiment de ne plus avoir grand-chose à découvrir. Toutefois près de 60 à 70 % des parents y participent encore.

Une autre action que nous menons depuis quelques années est le rendez-vous individuel annuel. D'une façon très formelle et systématique, nous proposons à tous les parents de prendre un temps d'échange sur la scolarité des enfants et ceci une fois par an. Ce quart d'heure que nous prenons avec chaque parent pour parler de son enfant est un temps fort apprécié par la majorité d'entre eux et le tableau d'inscription aux rendez-vous est rapidement renseigné. Je crois qu'à la différence d’une réunion de parents ou le discours tenu par l'enseignant reste forcément très généraliste parfois un peu jargonnant (même si on s'en défend) l'intérêt n'est pas comparable. En effet, prendre un quart d'heure pour parler en tête-à-tête avec l'enseignant de la scolarité de « l’élève » mais aussi de l'enfant à la maison et ceci en dehors de toute convocation permet un échange riche. S’apercevoir que nous poursuivrons les mêmes objectifs, comprendre que c'est notre action commune et si possible complémentaire qui sera le plus bénéfique pour aider l'enfant à grandir est primordial pour que nos actions se conjuguent efficacement.

Bien d'autres actions parents enseignants sont proposées au sein de l'école et de nouveaux projets sont en perspective.

Si nous avons le sentiment que ce travail entrepris en direction des parents a un effet très positif sur le climat de l'école, au niveau des résultats scolaires il apparaît sans effet. C'est à présent dans cette direction que nous comptons nous mobiliser et nous sommes à la recherche d'un partenariat pour aménager notre dispositif, le modifier, l'améliorer voir identifier les effets contradictoires qu’il pourrait produire.

Pour finir, depuis quatre années notre école a été transformée en école d'application nous avons de ce fait côtoyé un autre public que celui de notre quartier défavorisé, lors de visites de stagiaires ou de rencontres avec nos autres collègues formateurs.

Sortir de notre zone d'éducation prioritaire a été parfois violent. Violent quand on constate l'énorme écart au niveau de la maîtrise de la langue entre deux bambins du même âge qui habitent dans deux quartiers différents distend parfois d’à peine 1 km mais issus de milieu social très éloigné. Cette inégalité de départ semble être une réelle difficulté.

On pourrait s'en arrêter à ce constat et se résigner. Le quotidien de notre travail en ZEP aujourd'hui RAR (réseau ambition réussite) nous a permis de constater que certains de nos élèves prioritaires dépasser leurs difficultés et nous permet donc de persister.

Nous nous heurtons toujours à la dure réalité les évaluations institutionnelles indiquent inlassablement, qu’en moyenne, nos élèves ont des résultats nettement inférieurs à la moyenne nationale. S'il est certain que l'école ne peut pas tout car parfois la réalité quotidienne de certains enfants est difficilement compatible avec les apprentissages nous somme persuadés qu'elle doit et peut avoir un rôle efficace pour les aider. Le travail avec les parents d'élèves est très certainement un levier dont il faut savoir se servir bien que nous n’y sommes pas toujours très bien formés.

Mais là aussi la prise de conscience semble réelle même si la réforme de la formation des enseignants n'est pas là pour nous rassurer.

YVES SCANU



Ostiane Mathon

Une classe « difficile » qu’est-ce que c’est ?

Handicap, maladie orpheline, hyperactivité, phobies sociales, situations familiales conflictuelles, alcoolisme parental, chômage, souffrances psychiques et physique, etc. Un grand nombre d’enfants rencontre d’insupportables difficultés. Et pourtant ils supportent ! Ils sont bien obligés puisque telle est leur vie. Alors l’école…face à cela…qu’est-ce que cela peut bien représenter pour eux ?

Certaines classes ont tout du laboratoire humain où l'on aurait concentré toute l'hétérogénéité des profils dits "hors norme" face à l'institution. Ces enfants ne sont âgés que de 4 ou 10 ans et leur chemin pour la majorité d’entre eux semble déjà tracé vers ...l'échec! Qu'il est difficile de rendre compte de cette réalité hors des murs. Qu'il est difficile de tordre le cou à cette réalité intramuros! Mais une chose est sûr, il nous est interdit à nous enseignants, de désespérer. Désespérer, ce serait leur dire « vous êtes foutus ». Désespérer, ce serait institutionnaliser l’échec.

Que peut donc bien signifier le terme d’enseignant innovant face à tant de souffrances? Que signifie nouveau ou ancien "programme" lorsqu'il s'agit avant tout de donner un semblant d'estime de soi à chacun d'entre eux et un minimum de cohésion humaine au groupe? Un groupe qui à tout moment peut basculer, explose, à cause d'un regard mal interprété, d'un simple mot ou d'un silence de trop.

Comment gérer…Comment faire face ? Les ateliers de soutien à eux seuls n’y pourront rien. C’est en effet au sein du groupe que se joue l’éducation, la compréhension, le respect de chacun. C’est au sein de la classe qu’il faut déployer les stratégies différenciées.

Quelques pistes peut-être...

1/ Comprendre...Prendre le TEMPS de l'observation et de l’écoute; se distancer pour mieux se raccrocher à eux. Impossible d'entrer dard dard dans les apprentissages. Un travail de préparation semble primordial pour « Etre » là, ensemble et chacun à sa place. C'est essentiel.

2/ Saisir toutes les opportunités pour travailler avec le corps autant qu'avec la tête : écoute active, respiration, images mentales, perceptions en tous genres permettent de relier le corps et l’esprit. D'ailleurs, la tête, c'est bien une partie du corps non? Si on travaille avec le corps, on travaille avec la tête aussi. Un exemple : un matin, grâce à un élève qui maniait le langage des signes chez lui, nous avons appris à dire notre poésie avec les mots certes mais également avec les mains, les yeux, le visage! C'était bien autre chose que de réciter! Du coup, certains regards se sont allumés...

3/ Lutter contre l’échec, c’est aussi cela…rallumer les regards, redonner du sens, croire en l’avenir, reconnaître que l’enfant porte en lui autre chose que ce qu’il produit ou ne produit pas, et que cette autre chose bien souvent demeure invisible faute de pouvoir l’exprimer.

4/ Travailler avant tout l'oral. Les mots donnent de la profondeur à l'existence. Ces enfants ne manquent pas de profondeur, mais un grand nombre d'entre eux manquent cruellement de mots pour la dire, l'exprimer et en prendre conscience. Contes, chants, récits épiques, histoires à dire, à sentir, à éprouver. Quelques liens en fin de texte.

5/ Mettre en place un atelier théâtre. Vivre l’Histoire avec notre corps autant qu’avec notre tête. Pas facile pour certains élèves qui souffrent d’autisme par exemple. Mais avec le TEMPS, la bienveillance et l’exigence, il est possible de faire de petits pas. Les petites rivières font les grands fleuves, dit-on, et bien je pense pour ma part que les petits pas tracent les grands chemins!

6/ Enfin, ne pas négliger les échanges avec les collègues et les parents. Ils permettent également d'avancer... Pour venir à bout d’une paroi escarpée, une équipe bien encordée est un des éléments essentiels. On a beau avoir des compétences, le matériel de dernier cri, si on avance seul, on risque à tout moment de décrocher.

Lutter contre l’échec, c’est lutter contre la solitude, celle des élèves, celles des familles, celle des enseignants.

Ostiane Mathon

BLOG BLEU PRIMAIRE

http://lewebpedagogique.com/ostiane/

Ci-joint deux lectures d'un même auteur, Christian MONTELLE. Des pistes, qui me semble-t-il valent le détour...

http://www.meirieu.com/ECHANGES/Oral%20et%20langue.pdf

http://www.meirieu.com/ECHANGES/montelle_echec.pdf



Jeanne-Claire Fumet

Refuser l'échec scolaire?


Peut-on refuser l'échec scolaire? Fait-on jamais autre chose? L'échec scolaire est vécu comme un drame par les élèves qui le subissent, mais aussi par les enseignants qui y voient le naufrage de tous leurs efforts, par les parents qu'il culpabilise et par l'institution qu'il remet en cause. La collectivité en dénonce le scandale, les pouvoirs publics se déploient en réformes antidotes : le front du refus est unanime, mais l'échec perdure.

En quoi consiste-t-il? Disons : en l'inadéquation entre des individus et le processus de formation auquel ils sont soumis. D'un côté, l'infinie diversité des êtres contre l'uniformité d'une machine à formater; de l'autre, l'impératif d'un bagage suffisant pour prendre part au monde contre l'indiscipline des passions individuelles, dira-t-on.

Le « système » scolaire favorise, il est vrai,  un petit nombre de performances mentales (héritées de traditions culturelles et de modes d'organisation techniques) dont le privilège semble parfois aberrant. Mais la diversité et la multiplication de ses usagers en fait craquer les jointures : comment ignorer la formidable créativité - le sens de l'adaptation protéiforme - qui se fait jour à tous les niveaux de l'enseignement ?

On ramènera volontiers le problème à la question de l'évaluation : ne pas évaluer pour ne pas juger et hiérarchiser;  afin d'effacer la notion d'échec; évaluer pour mesurer l'efficacité des pratiques et l'acquisition des compétences, pour lutter contre les effets d'abandon. Ne pas évaluer pour respecter la diversité des personnalités et des talents, mais aussi évaluer pour permettre les comparaisons générales et les validations négociables en société. Ces exigences non négociables sont incompatibles.

A moins que l'alternative ne dissimule un autre enjeu.        

La tradition de la conscription militaire nous a légué la catégorie de « classe d'âge ». La corrélation entre âge et niveau d'acquisition scolaire fascine comme une mesure objective du degré de performance : parents, enseignants, autorités et évaluateurs du système ont beau n'être pas dupes,  le critère obsède et chacun renvoie à l'autre la responsabilité du décalage entre la norme et le réel. Échec scolaire et retard scolaire valent comme synonymes.

Or, quelle horloge suprême établit la mesure de ce retard? L'hétérogénéité du développement mental est admise. On reconnaît la nécessité de diversifier parcours et méthodes, on encourage l'invention de nouvelles manières d'enseigner, mais le couperet tombe pour tous à la même heure. Pas de retard. Comment ne pas y voir le signe discret mais récurrent de la compétition et de la rivalité, si présentes à nos modèles sociaux?

Plutôt que rejeter la norme (sans cesse révisée et corrigée) ou rejeter « l'anormal » (embarrassant épiphénomène), ne pourrait-on s'interroger sur la modalité de leur mise en relation? Si l'on admet que la norme pédagogique est appréciative et non déterminante, qu'elle pose le modèle d'un champ de compétence et non les critères d'une expertise technique; si l'on accepte de voir l'école comme une pratique de réalisation et non comme un outil de production, ne peut-on pas convenir qu'elle n'est pas l'affaire d'une classe d'âge mais le souci de toute une vie? Et si l'on considère, à l'inverse, qu'elle relève d'une logique productive efficace, comment s'indigner qu'elle rejette à la marge le résidu récalcitrant de son efficacité?

La question ne serait pas alors de refuser l'échec scolaire, mais de repenser collectivement la place et la fonction de l'institution scolaire tout au long de la vie des citoyens, et pas seulement dans les années réglementaires de leur formation initiale. 

Jeanne-Claire Fumet



Jacques Fraschini

Promouvoir l’estime de soi : le rôle de l’école ?

 

Les  nouveaux programmes 2008 nous engagent à « promouvoir l’estime de soi et le respect des autres » car « Le véritable moteur de la motivation des élèves réside dans l’estime de soi que donnent l’apprentissage maîtrisé et l’exercice réussi ».

De plus, l’estime de soi est sans doute une des clés de l'acquisition de la compétence 7 du socle commun des connaissances et des compétences (décret de juillet 2006) : la compétence d'autonomie et d'initiative – et notamment la conduite dans un groupe, la justification de son point de vue et l'engagement dans un projet. 

 

Les questions qui se posent 

 

Promouvoir l’estime de soi : est-ce bien là le rôle de l’école ?

 

Des arguments militent en faveur de ce rôle pour l’école :

  • Un enfant sur trois n’a pas acquis une sécurité affective suffisante pour réussir à l’école : « Pour eux, la connaissance n’a pas de sens, ils ont peur de l’école. » n’hésite pas à affirmer le neuropsychiatre Boris CYRULNIK dans une interview[1] accordée à la revue Famille et Education. Il poursuit  « Dans les études de population, on constate que deux enfants sur trois, quels que soient leur culture ou leur milieu, ont acquis inconsciemment une sécurité affective, une confiance primitive, une manière d’aimer, leur permettant de se sentir aimables à leur tour. Quand ils arrivent à l’école, ils peuvent se faire accepter par les autres et vivre l’école comme un lieu leur apportant des connaissances et leur permettant d’explorer l’inconnu [2]».
  • l’école étant de plus en plus amenée à assumer un rôle éducatif, la promotion de l’estime de soi est un élément essentiel de la problématique éducative d’un futur citoyen libre, autonome et capable de se construire un système de valeurs respectueux des autres.

 

Pour promouvoir l’estime de soi, l’école doit répondre à 2 défis :   

  • Comment éviter que l’école ne produise une sous-estime de soi chez certains enfants ?
  • L’école peut-elle aider durablement un enfant à développer une estime de soi alors qu’elle n’a pas la capacité d’intervenir sur les facteurs extrascolaires qui sont à l’origine de cette estime de soi insuffisante ?

 

La promotion de l’estime de soi peut-elle être un acte éducatif efficace compte tenu des moyens dont dispose l’école ?  

 

Si l’école ne peut résoudre les facteurs extrascolaires qui ont entraîné une estime de soi insuffisante chez un enfant, elle peut par contre aider l’enfant à changer de regard sur lui-même.  C’est là une action essentielle,  légitime et l’école en a les moyens car elle peut agir en profondeur et sur le temps.

 

La dévalorisation de soi est parfois si ancrée dans l’inconscient de l’enfant qu’il peut lui être difficile d’y renoncer. Le contexte spécifique de l’école  va pouvoir aider l’enfant à se construire  une image positive de lui-même dans ce contexte précis. Ce qui, dans un premier temps, n’entrera pas en conflit  avec ses certitudes et ne le mettra pas dans l’obligation de renoncer à cette image dévalorisante qu’il peut avoir de lui-même.

 

Or ce changement intime ne sera pas remis en cause par les facteurs à l’origine du manque d’estime de soi chez l’enfant. Car même dans le cas où cette revalorisation de soi n’est pas vécue, voire même contrariée en dehors de l’école, l’enfant gardera toujours cette vision positive au fond de lui-même qui lui permettra  de se construire. Dans un texte « Les enseignants , tuteurs potentiel de résilience »[3], Jacques LECOMTE, Docteur en psychologie, Chargé de cours à  l’Université Paris X, Membre du "Comité scientifique sur la résilience" au sein de la Fondation pour l’Enfance  présente un ouvrage "Mémoires de maîtres, paroles d’élèves", qui rassemble de nombreuses lettres d’anciens élèves qui content leur vécu à l’école. Il en conclut : « Il semble que dans la majorité des cas, l’étincelle allumée poursuit sa course durant de longues années. En effet, par le lien qu’il établit avec l’élève, l’enseignant permet à l’enfant de créer du sens, il permet à celui-ci de se projeter dans l’avenir, de donner une direction et une signification à son travail scolaire, voire à son existence.[4] ». Il y a fort à parier que cette « étincelle » sera d’autant plus durable si elle est non seulement allumée par un enseignant mais si elle est aussi ensuite entretenue tout au long de la scolarité de l’enfant.

 

Des propositions

 

Dépasser le tabou de l’affectivité à l’école

 

« Mais j’entends déjà certains esprits chagrins se récrier, à double titre :

 d’une part, laisser entrer l’affectivité dans la salle de classe, c’est courir le risque de tous les débordements imaginables, le moindre étant le phénomène du « chouchou » ; quant au pire…

 d’autre part, si l’enfant n’apprend pas à travailler pour lui-même mais seulement pour son enseignant, il risque fort de ne plus s’investir l’année suivante si une telle relation ne s’instaure pas avec l’enseignant suivant.

 

De fait, le thème de l’affectivité est un sujet tabou dans l’Education Nationale. Comme le souligne Allen Larès : « Ce déni de l’affectivité se comprend à la lumière de la peur qui l’origine : la peur des « débordements » de l’affectivité. Autant cette peur est légitime, compréhensible, autant ses effets peuvent être destructeurs en ce sens que le déni de la part affective (tant dans l’acte d’apprendre que dans l’obéissance aux lois et règles) peut fermer la porte à la résilience. » Mais cette crainte du pire doit elle interdire toute manifestation d’affection ? Ce serait certainement un effet pervers bien regrettable.

 

Quant au risque d’un désinvestissement de l’élève lorsqu’il changera d’enseignant, il est certes réel, mais probablement minoritaire. »[5]

 

Mais peut-on se contenter de ce « probablement minoritaire » ? La formation des enseignants et la cohérence pédagogique au sein de l’équipe enseignante prennent là toute leur importance. Une équipe pédagogique consciente de l’importance de la relation affective entre l’enseignant et chaque élève, formée pour la mettre en place sans prendre le risque de débordements, pourra construire et conforter cette relation dans le cadre privilégié de l’aide personnalisée bien sûr mais aussi dans le cadre habituel de la classe.

 

 

Former des enseignants à la promotion de l’estime de soi : sensibilisation et/ou formation professionnelle ? 

 

Une sensibilisation se propose :

  • d’exposer un point de vue ou de faire une synthèse de recherches, d’articles ;
  • de susciter un intérêt, de provoquer la réflexion ;
  • d’engager un débat quand le cadre s’y prête.

 

Une formation professionnelle se doit d’apporter :

  • Un choix de propositions permettant à chacun d’enrichir ses pratiques de classe ;
  • Des supports ou des démarches pour agir ;
  • Des protocoles pour évaluer les effets des actions mises en place.

 

Toute action de formation peut se définir par l’articulation et l’importance relative accordée à ces deux objectifs :   

  • Au début de leur formation initiale, les futurs enseignants devraient pouvoir bénéficier d’une sensibilisation suivie, plus tard dans leur cursus, d’une formation professionnelle qui pourrait alors s’appuyer sur les observations faites en stages et sur une meilleure connaissance de la réalité de la classe.
  • Dans le cadre de leur formation continue, les enseignants bénéficient de conférences pédagogiques d’une durée de trois heures : dans ce cadre, la priorité devrait être donnée à une formation professionnelle ciblée sur deux ou trois propositions  permettant à chacun d’enrichir  ses pratiques de classe et sur des supports ou démarches concrètes pour agir.

 

L’enseignant pour aider à se construire une estime de soi

 

Dans le texte « Les enseignants, tuteurs potentiel de résilience »[6], Jacques LECOMTE présente les récits d’anciens élèves qui témoignent des qualités de ces enseignants qui ont été pour eux tuteurs de résilience. Des enseignants :

·         qui avaient l’art de valoriser les réussites ;

·         qui avaient donné sens à leurs efforts ;

·         qui savaient aussi regarder les erreurs avec humour.

Certains disent qu’ils n’ont jamais aussi bien travaillé que l’année passée avec cet instituteur, et que c’était avant tout pour lui faire plaisir qu’ils s’investissaient autant.

 

Mais comme il l’a été dit plus haut, l’enseignant, tuteur potentiel de résilience, peut légitimement craindre des « débordements » de l’affectivité. Car chacun peut sans doute citer une parole, une phrase qui lui ont été dites par un enseignant (ou  par une relation), et qui l’ont marqué pour très longtemps. Sans que cet enseignant ou cette relation en ait eu conscience…

 

Il faut donc aussi prendre en compte la pression et de la culpabilité possible que peuvent entraîner la crainte d’une parole (ou d’un refus momentané d’écoute), d’une attitude (ou d’une absence de réaction) qui sans être déplacés, peuvent provoquer chez l’enfant qui surinvestit affectivement chez son maître une réaction de déception, d’incompréhension, de rejet …

 

Ce risque doit être assumé par l’enseignant. Mais il peut être minimisé si la fonction de tuteur de résilience est assumée par l’ensemble de l’équipe enseignante et si elle se conforte par les interactions avec le groupe-classe (en s’appuyant sur la reconnaissance par l’ensemble du groupe-classe de sa propre valeur et de ses compétences) et les parents.  

 

Le groupe classe pour aider à se construire une estime de soi

 

Pour aider l’enfant à ne pas trop se fragiliser en se construisant dans une relation exclusive avec le maître (autrement dit pour qu’il ne mette pas tous ses œufs dans le même panier…), le maître peut créer une « diversion » en s’appuyant sur le groupe-classe : Quand un enfant réalise un progrès remarquable, la validation par la classe est essentielle.

 

V. est un enfant qui termine rarement sont travail dans le cahier du jour et qui de plus ne soigne absolument pas la présentation. Après plusieurs semaines de soutien d’un « parrain » (qu’il a lui-même choisi), des progrès visibles commencent à apparaître : V. termine dans les temps, parfois même avant d’autres élèves, et la présentation de son travail devient tout-à-fait correcte. Son « parrain » ayant pour consigne  de lui dire à chaque fois qu’il fait des progrès, V. commence à manifester de l’intérêt pour ce qu’il fait. Il vient voir le maître plusieurs fois dans la séance pour lui montrer comme « c’est bien ». Pour faire évoluer la situation, le maître propose d’abord à V. de passer dans la classe et de montrer aux élèves qui veulent voir comment était son cahier avant et comment il est maintenant. Les séances suivantes, V. a toujours besoin de venir plusieurs fois pour montrer son travail au maître. Le maître demande alors à tous les élèves de la classe de lever le doigt s’ils pensent que V. a fait de gros progrès. Il suffit de voir se transformer l’expression du visage de V. lorsqu’il dévisage un à un tous les élèves qui ont levé le doigt pour comprendre que la reconnaissance par les autres élèves est d’une autre nature que celle accordée par le maître.

Dans des circonstances similaires, mais concernant une autre élève, il est même arrivé de voir une larme couler sur la joue d’une enfant particulièrement en manque de confiance en soi et peu soutenue à la maison.

 

 

L’on peut aussi inverser les rôles : c’est l’élève d’habitude en difficulté et qui a donc besoin du soutien des  « plus forts », qui va devenir à son tour personne-ressource et/ou qui va être mis en valeur devant les autres élèves.

 

 

Jacques   FRASCHINI

 


 

Quelques exemples mis en place dans une classe de CE1 dans le cadre de l’aide personnalisée.

 

Support

Activités d’apprentissage lors de l’aide individualisée

Réinvestissement dans la classe

Fichier photocopiable « Inspecteur Lafouine ».

·      Lecture/compréhension  de l’enquête

·      Entraînement à la lecture orale des passages dialogués

·      Le texte de l’enquête est distribué aux élèves de la classe mais les passages dialogués sont effacés.

·      Ce sont les élèves bénéficiant de l’APE  qui vont jouer les suspects et lire à la classe les passages dialogués.

Fichier photocopiable « Animalier CE1 ».

·      Lecture/compréhension du texte

·      On écrit au tableau les mots difficiles

·      Recherche des   paragraphes où se trouvent  les réponses aux questions.

·      Les élèves bénéficiant de l’APE expliquent à l’oral de manière collective le sens des mots difficiles écrits au tableau

·      Les élèves bénéficiant de l’APE vont pouvoir aider ceux qui le demandent en leur disant dans quel paragraphe se trouve la réponse à une question.

Répertoire de poésies à apprendre en CE1.

·      Lecture à haute voix par le maître.   

·      Activités de compréhension globale et fine

·      Chacun lit oralement sa poésie devant les 2 autres enfants.

·      Débat : ce qui est bien – comment améliorer ce qui pêche.

·      Les élèves bénéficiant de l’APE vont lire chacun leur poésie devant la classe.

·      Chaque élève de la classe choisira ensuite la poésie qu’il va apprendre.

Fiches d’entraînement à la lecture de consignes.

·      Activités de lecture compréhension des consignes

·      Repérage des mots-consignes

·      Réalisation des tâches demandées.  

·      Les élèves bénéficiant de l’APE vont être personnes ressources  pour les élèves de la classe.

·      Ils peuvent circuler librement dans la classe.

·      Ils ne donnent pas les réponses, ils indiquent simplement si c’est juste ou faux.

Les manuels, fichiers, photocopies qui seront utilisés dans la journée.

·      Repérage des mots-consignes

·      Lecture/compréhension des consignes

Ce sont les élèves bénéficiant de l’APE qui vont gérer la lecture des consignes suivant les objectifs du maître :

·      Valider ou non le mot- consigne trouvé par les élèves ;

·      Afficher au tableau le pictogramme du mot consigne ;

·      Faire reformuler la consigne par un élève ;

·      Lister le matériel dont on aura besoin ; etc.

Liste de mots-consignes préparée par la classe.

 

Fiche avec des pictogrammes.

·       Appariement pictogramme/ mots- consignes.

 

·      Les élèves bénéficiant de l’APE vont être personnes ressources  pour les élèves de la classe les plus autonomes.

·      Le maître prendra en charge les enfants les moins autonomes. 

 

 

 



[1] CYRULNIK Boris .- Les blessures de l’enfance se réparent .-   Famille et Education N° 442.   Article consultable sur http://www.apel.asso.fr/unapel/bases/entretiens.nsf/8f69d7b1d5c46fecc125680f005e2b9d/9281b12710265f7280256ce00054256b?OpenDocument

 

[2] Ibid.

[3] LECOMTE Jacques. Article consultable sur http://www.interactions-tpts.net/spip.php?article59

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

Olivier Dupuy

Je citerai seulement une anecdote qui pour moi suffit à me convaincre que j'avais gagné ma journée. Et même peut-être, mais c’est sans doute prétentieux… quoique, j’ai raison de faire mon métier comme je le fais.

C'est l'histoire d'une petite fille appelée R… qui à l'âge de 9 ans ne sait pas toujours bien lire.


Par exemple, m...ma...( le mot à lire est manger ) .

-Que se passe-t-il R...?

-Je n'arrive pas à lire le mot maître.

-Tu peux épeler le mot?

-m-a-n-g-e-r.

-a et n ça fait?

- euh an?

- et avec un "m" devant?

- man?

-première syllabe man et le reste?

- euh ge...ger?

-voilà avec le début?

- manger

- voilà manger

Je pense que ça donne une idée des difficultés de cette élève au mois de février du CE2.

Plus tard, je retourne la voir seul à seule et je lui confie : « en fait c’est très bien parce que tu m’as dit devant tout le monde que tu n’arrivais pas à lire le mot. T’as pas eu peur de me dire que tu ne savais pas. Et puis en fait , t’as vu, tu savais toute seule. Je pense que tu te disais, comme c’est trop souvent le cas peut-être que tu ne sais pas ou ne sauras pas.

Continue à te lancer, à l’école tu peux, c’est fait pour ça. Tu verras à force, tu pourras sans problème, yen a plein des élèves comme toi. Puis y a un déclic et hop ça roule mieux. En fait autant en difficulté dans la vie ET à l’école à la fois, j’en avais vu qu’en ZEP !

Quelques jours passent…

Lors d’une séance d'aide personnalisée, R...est conviée à prendre en responsabilité un poste pour elle toute seule. Mais à ses côtés, un élève ne s'en sort pas des onglets du géoportail, de lire ce qu'il faut dessus, il est perdu dans la page qu'affiche l'écran. Qu'à celà ne tienne, R...lève la main silencieusement et me fait signe qu'il ne s'en sort pas discrètement.

Moi: - Si on veut , on peut se faire aider par le voisin ou la voisine...

Tiens , T ... demande à R... si tu veux elle a finit de trouver Villenave d'Ornon.

T… regarde R ... qui se penche pour lui dire :

« Regarde, un onglet c'est un truc comme ça. Le maître avait dit le vert, c'est facile yen a qu'un. Tu vois quand tu passes dessus, il change de couleur, ya écrit géoportail service. Après tu vois y’en a des bleus. Il faut chercher ou y’a écrit voir ».T… écoute poliment, mais n’étant pas plus à l’aise que R… dans la lecture « à la volée ». R… continue : voir ça commence par un « v »… Tu le vois ce mot ? Regarde bien, y’a que 5 onglets bleus.

Il n’y a en fait qu’un seul onglet bleu avec un mot commençant par un « v ».

T… trouve effectivement de suite. R… se retourne vers moi, tout sourire, un peu comme Pépinot dans les choristes, genre maître regarde, t’as vu ? L’émotion monte pour elle et honnêtement, ma gorge se sert. Putain ! C’est pour ça que j’ai fait ce métier. R… a rendu service, plus encore…elle a appris quelque chose à quelqu’un ! L’école serait donc un lieu où son existence a du sens ?

Faut-il préciser que pour R… le soutien familial, l’encadrement ou tout autre aide que l’on pourrait imaginer pour une môme dans de telles difficultés sont inexistants.

C’est juste une petite valorisation, mais là rien que d’en reparler, ça me replonge dans l’émotion du moment.

Bon sang que j’ai de la chance de faire ce métier, ça vaut bien tous les salaires du monde. J’y suis pas vraiment pour quelque chose…enfin j’espère un peu quand même !

Olivier Dupuy



Bernard Corvaisier

L’échec scolaire : nous le rencontrons souvent dans nos classes. Il nous arrive d’être désemparé devant des élèves qui ne progressent jamais sur toute une année, voire même sur l’ensemble de leur scolarité au collège.

Parfois, certains élèves désapprennent dans nos classes.

L’échec scolaire interroge nos pratiques, nous oblige à engager un regard critique sur notre façon d’enseigner. A ce titre, il doit être un élément central de toute réflexion pédagogique.

Aussi, lutter contre l’échec scolaire exige de réduire au maximum l’implicite dans nos cours, nos exigences et nos appréciations.

C’est pour cela que depuis deux ans, je réalise un atelier d’apprentissage des leçons. Les élèves ont une heure d’apprentissage des leçons inscrite dans l’emploi du temps.

Je me suis aperçu que l’institution scolaire ne recouvrait pas cette activité. Alors même que bons nombre d’appréciations dans les bulletins scolaires et sur les copies renvoient à l’apprentissage : « apprenez davantage vos leçons » « approfondissez les cours » « Maîtrisez davantage les connaissances » ; « soyez plus rigoureux » Investissez-vous davantage dans le travail à la maison. »

Mais que signifient ces expressions ? Quel sens peuvent-elles avoir pour un élève et ses parents ?

Aussi depuis deux ans, les élèves suivent des cours de révision autour d’un dispositif qui pari que l’apprentissage collectif et collaboratif des leçons au sein de classe est plus efficace qu’un simple apprentissage individuel.

Les élèves, par groupe de trois, élaborent à partir des leçons qu’ils ont à réviser des cartes « heuristiques » ou « topogrammes ». Ces cartes de révision sont ensuite diffusées aux autres élèves de la classe.

La carte « heuristique » ou topogramme permet de hiérarchiser, classer et organiser les connaissances. Ce travail permet aussi d’apprendre à lire un chapitre ou une leçon. A travailler sur l’importance des titres, des mots clés.

Cette forme de révision sous forme de topogramme permet aussi d’intégrer dans la révision des connaissances que possèdent les élèves et qui se rattachent aux cours abordés. Tout élève peut enrichir la carte heuristique d’un savoir qu’il possède – ce nouveau savoir est identifié par une couleur différente –

Cette activité m’a permis de constate que certains élèves sont capables de réviser 4 à 5 leçons sans jamais lire un titre de leçon, sans donc être capable d’ordonner l’information. Que les bons élèves ont deux types de lecture : une première lecture rapide, identifiant les titres, les sous-titres et les paragraphes. Les élèves dits en difficulté ne possédant qu’un type de lecture sans aucune hiérarchie.

Notre obligation en tant qu’enseignant est de prendre en charge cette activité d’apprentissage à la révision. Elaborer des dispositifs pour que les enfants puissent bâtir des outils collectifs permettant d’organiser et hiérarchiser les connaissances.

Notre obligation est de fournir ainsi à l’élève, lorsqu’il rentre chez lui, les outils lui permettant d’apprendre ses leçons et ne plus le laisser seul devant cette activité. Faire que l’apprentissage des leçons et des cours ne participent pas accentuer les inégalités sociales favorisant notamment les élèves qui bénéficient à la maison de la présence de parents ayant un niveau culturel élevé.

Ainsi les rapports entre l’Ecole et la communauté pourraient se tisser avec plus de confiance et moins d’implicite.

Mon désir serait de réduire le nombre d’heures de cours dans la journée – augmenter le temps de présence des élèves dans nos établissements notamment pour réaliser des révisions collectives et collaboratives - intégrer de nouvelles matières comme l’éducation aux médias (images, sons, vidéo, blog……)

Ce qui fait aujourd’hui obstacle à la réussite de l’Ecole > l’absence d’heures de concertation identifiées, reconnues et payées par l’administration pour que les équipes enseignantes puissent travailler, réfléchir et construire ensemble. La rénovation de l’école commencera par là : lorsque les administrateurs voudront bien considérer que les concertations entre enseignants ne sont pas du temps perdu. Exiger cela, c’est demander une réorganisation complète de l’Ecole.

Qui est prêt à le faire ?


Bernard Corvaisier, Collège Jacques Prévert, Chalon sur Sâone


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