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24 octobre 2005 : Enjeux sociaux et politiques de la culture à l’école

Que faut-il apprendre à l’école ? Comment ? La définition d’une culture scolaire n’est pas une nouvelle question. François Dubet (sociologue de l’éducation et directeur d’études à l’EHESS ) le rappelle. En revanche, il lui semble urgent d’y répondre car il voit dans la scolarisation des enfants aujourd’hui des failles : certains élèves, faute de motivation, démissionnent de l’école ou-bien n’y viennent que parce qu’ils y sont obligés… « Eduquer les enfants c’est les faire entrer dans un monde, celui qui est là. Il faut leur permettre de trouver du travail ». Raisonner en termes de compétences de base permet de prendre en compte un futur que l’on ne peut connaître et pour lequel, par conséquent, on ne peut pas former des élèves. Les questions sont innombrables.

Le problème de la culture fonctionne par antagonismes ; il impose donc des choix

  • « Eduquer est-ce – ou est-ce encore ?- construire la nation ? Est-ce permettre l’insertion dans le monde ? Où en est le modèle de l’école républicaine ? Aujourd’hui, l’Education reste Nationale, mais notre nation est très différente notamment dans la place qu’elle occupe dans le monde. L’enseignement de l’anglais est révélateur : langue de culture ou langue outil ?
  • « Eduquer est-ce donner une culture cultivée ou une culture sociale ? Avec la massification, on ne peut pas, on ne peut plus laisser à la porte de l’école cette culture sociale… Très longtemps l’école a eu le monopole de la culture, mais elle ne l’a plus : les médias, la télévision entrent largement dans les foyers. Les cultures juvéniles et médiatiques sont entrées dans l’école.

Qui doit faire ces choix ?

Voici quelques unes des antinomies abordées par François Dubet avant de s’interroger sur qui doit définir cette culture à l’école. Il y a deux façons d’envisager la construction de la programmation à l’école : commandée par l’aval ou par l’amont. La France à choisi l’aval : tout élève entrant en grande section de maternelle a droit à entrer à l’Ecole polytechnique. Que faut-il pour entrer à Polytechnique. Donc, que faut-il programmer en aval pour que ce soit envisageable. Notre système est lié à l’idée que Chacun a droit à l’excellence. Mais la démarche opposée peut être tout aussi catastrophique : définir le programme par la base (lire, écrire compter suffit pour les pauvres). Une des conséquences observée est  » faut-il faire du soutien aux élèves forts ou aux élèves faibles ? « . C’est donc entre les deux qu’il faudrait trouver un chemin. C’est pourquoi, il faut définir une culture commune : on doit pouvoir juger de l’école en terme d’égalité des chances.  » A quoi sert d’avoir 20% d’ouvriers à Polytechnique si les autres sont ignorants, battus… ?  » Si on pose la question en terme de  » Qu’est-ce que l’école doit aux enfants  » ?  » Qu’est-ce qui est prioritaire pour eux ?  » alors on a des réponses qui sont certainement plus du domaine du cognitif que du côté des connaissances. Afin que la définition de cette culture commune ne relève pas de la défense corporatiste et soit une réponse à ces questions, il faut en confier la définition non à des enseignants mais aux politiques… et il faudrait aussi avoir la modestie d’admettre que l’école ne peut pas tout faire, qu’il y a d’autres façons d’apprendre, d’autres lieux…

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Daniel Truong-Loï (professeur agrégé de l’université, professeur de chaire supérieure, lettres supérieures 1re et 2e année, lycée de Périgueux) à gauche et François Dubet (sociologue de l’éducation et directeur d’études à l’EHESS ) à droite.

Culture à l’école, une culture transmise par des savoirs

Daniel Truong-Loï (professeur agrégé de l’université) part du principe qu’il existe à l’école un pluralisme culturel et que les savoirs transmis par l’école sont des savoirs culturels. Si les enseignants ne nient pas la culture adolescente, la culture à l’école n’est pas la culture de l’école. La mission de l’école est de faire en sorte qu’elle devienne une culture légitime, i.e. une culture partagée par tous les êtres du même âge qui permet ainsi de construire une unité nationale. En cela, les enseignants sont aidés par leur fonction : le fait d’être un enseignant donne une légitimité. Le professeur de lettres transmet une culture classique. Evidemment, cela implique qu’elle a un coût social. A l’école la culture n’est pas une marchandise, elle se coupe du monde du travail et pour l’acquérir il faut du temps, de l’énergie. Une alternative pourrait être : Peut-on acquérir cette culture hors de l’école ? Certes, mais l’enseignement permet de gagner du temps grâce au rôle de l’enseignant devant sa classe. La culture est loin d’être statique, figée ; elle est dynamique. Elle doit permettre à chacun d’être capable de se tenir à la marge, décalé. Sa mise en pratique permet de donner du goût au savoir.

La question de la culture scientifique technique et industrielle

Si François Dubet a soulevé l’importance et la nécessité de développer une culture scientifique et surtout le peu de cas qui en est fait à l’école, Bernard Favre (Directeur de Cap Science : structure qui accueillait les rencontres ce lundi 24 octobre), en a parlé avec motivation et passion à travers deux questions :

  • « Comment un opérateur extérieur à l’école regarde la question de la science à l’école
  • « Comment les opérateurs culturels en CSTI (Culture scientifique technique et industrielle) se posent la question : La culture et l’éducation : la culture du partage, thème de leur dernier congrès.
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Structure du Centre de Culture Scientifique Technique & Industrielle « CAP Science », Hangar 20, Bordeaux.
http://www.cap-sciences.net/site.asp?site=capsciences

Pour ce qui est de la CSTI à l’école, déjà faudrait-t-il parler de la place du Technique et Industriel à l’école : cette culture est quasi inexistante. Cette absence caractérise notre pays. La Culture scientifique technique et industrielle devrait permettre aux jeunes de poser leurs questions sur la connaissance scientifique et les objets industriels. L’approche des CCSTI (Centre de Culture Scientifique Technique et Industrielle) est toujours transdisciplinaire. Les questions sont abordées par des petits bouts de programme éventuellement, petits bouts qui permettent de s’y raccrocher. Et en ce sens la démarche est proche de celle des enseignants documentalistes dans les établissements scolaires.

Pour apporter cette culture plurielle il faut mettre le public en situation : il ne doit pas être spectateur, mais acteur. Tous ses  » capteurs  » doivent être utilisés car l’objectif à atteindre n’est pas forcément que le visiteur retienne quelque chose mais qu’il ait ressenti avec tout son être. Il y a une proximité avec le monde du spectacle. Ensuite, il doit y avoir interactivité, rencontre humaine. Il est important que les enfants rencontrent, échangent, discutent, questionnent des scientifiques sur place. Un chercheur peut être quelqu’un à qui on peut parler, pas forcément un vieux monsieur dans la télévision qu’on ne rencontrera jamais et qui fait partie d’une élite souvent inaccessible ! Ces animateurs, sont une image réelle du scientifique. Enfin, la démarche expérimentale est aussi une dimension importante : elle est développée par des ateliers. Par la combinaison de tous ces facteurs, les CCSTI représentent des instants de rencontre avec la culture, l’objet scientifique, technique et industriel.

Comment partager la tâche de développer la culture scientifique, technique et industrielle à l’école ?

La question se pose à trois niveaux : celui de la programmation, du style et la mise en œuvre. On le comprend, si la programmation est proche des préoccupations de l’école et des programmes, alors les visiteurs scolaires seront au rendez-vous. S’éloigner des programmes, c’est prendre un risque que les enfants viennent moins. Quant au style des expositions, l’oscillation reste entre une approche très pédagogue (proche de l’école) ou une approche par l’émotion, la sensation qui ne laissera parfois que des traces floues dans leurs souvenirs… Les questions pratiques peuvent aussi venir à l’encontre de la diffusion de la CSTI : complexification des tâches administratives, budgets, assurances, … Pour faciliter les contacts et les démarches, documentalistes et infirmières scolaires constituent en général un lien solide.

Notes de B. Raoul-Réa non relues par les intervenants.

Blandine Raoul-Réa