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Joël Briand, Maître de conférences en mathématiques – IUFM d’Aquitaine

Joël Briand

Les programmes de mathématiques 2002 de l’école primaire sont-ils difficiles ?

Les programmes 2002 et les documents qui les accompagnent sont périodiquement accusés de tous les maux : trop détaillés pour certains, pas assez pour d’autres(1). J’ai déjà dit en quoi ces programmes, dans leur écriture constituaient une première : des documents d’accompagnement éclairent les points des programmes et constituent pour les enseignants des outils d’autoformation, montrant ainsi que tout ne se règle pas à coup de jugulaires. En cela, ils constituent un progrès dans les rapports qui s’exercent entre un ministère (l’éducation nationale) et les actants de l’enseignement primaire. Pour autant leur lecture est elle facile d’accès pour l’enseignant qui débute dans la profession ? Pour l’avoir maintes fois constaté en formation initiale (voire continue), leur lecture suppose une familiarisation avec le milieu éducatif (la logique des cycles entre autre), avec une culture de l’école primaire, une connaissance des débats actuels sur l’enseignement et l’éducation. Autant de « niches » que tout jeune collègue ne maîtrise pas complètement.

Le cahier des charges des groupes d’experts installés pour « mettre les programmes en conformité avec le socle commun » demande que des repères annuels permettent aux élèves de situer leur progression dans l’acquisition du socle. Je ne prononcerai pas ici sur les contenus du socle(2). Mais, pour ma part, ce sont des repères annuels pour le professeur des écoles qui me paraîtraient être des outils à mieux développer. Certes, les documents d’accompagnement des programmes traitent, par listage de compétences, de l’avancée, année par année, dans tel ou tel domaine. Mais il reste un travail de  » mise en ligne  » qui n’est pas immédiat pour qui a bien voulu un jour s’atteler à cette tâche à partir des programmes et des documents d’accompagnement. Il ne s’agit pas d’une critique : on voudrait trop quelque fois que les programmes et les documents d’accompagnement règlent tout. Je suggère donc que les documents d’accompagnement des programmes puissent être déclinés en plans de travail, au moins dans des domaines cruciaux : je prendrai l’exemple du numérique. Il me semble qu’une vue d’ensemble, pour des grands thèmes, est nécessaire pour qui veut se constituer des repères utiles afin que des équipes d’écoles puissent travailler plus efficacement. C’est en cela que je suggère que l’on développe des outils comme celui que je propose plus bas sous forme de tableau. Dans cet exemple, je n’y ai développé que les thèmes des nombres et du calcul. Cette planification, sans remettre en cause la construction progressive des procédés de calcul par un processus de mathématisation progressif. Elle en montre les étapes importantes que toute équipe d’enseignants dans une école souhaite avoir « sous le coude » pour préparer son travail.

Vue d’ensemble des programmes 2002, par année, pour le thème des nombres et du calcul afin d’en faciliter la lecture : ouvrir dans une nouvelle fenêtre
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Jusqu’où les documents d’accompagnement peuvent-ils aller dans les recommandations ?

Une étude des programmes « à travers les âges » montre que les premiers programmes de mathématiques étaient constitués de quelques lignes. Ceux de 2002 sont plus conséquents ! A un moment, les programmes et les documents d’accompagnement doivent « passer la main » aux documents de travail (il existe en France des périodiques d’excellente qualité qui sont trop souvent méconnus : je pense à Grand N de l’IREM de Grenoble par exemple), aux manuels scolaires qui, dans le meilleur des cas, souvent par le biais des « livres du maître » préciseront leurs options didactiques par rapports aux programmes.

Cette frontière entre les programmes, les documents d’accompagnements, les directives ministérielles est de plus en plus floue. On assiste actuellement à une abondance d’informations officielles d’un côté sur la façon dont les élèves abordent tel ou tel domaine (lecture, calcul), d’un autre côté sur la façon dont les enseignants doivent s’assurer de l’acquisition de telle ou telle compétence. Mais, étonnamment, peu d’écrits officiels sur : comment construit-on de « bonnes situations d’apprentissage », comment lie-t-on ces situations à des situations d’entraînement, de consolidation, de réinvestissement, de contrôle de connaissances ? De cela, il est dit qu’il faut le faire… mais comment ? Les milieux où se travaille la construction de situations d’apprentissage sont ceux de la recherche en didactique des mathématiques, (historiquement très active à l’école primaire et qui est actuellement plus centrée sur les questions du collège et du lycée), ceux de la formation (relayés par des ouvrages), et les manuels scolaires. Il est frappant de voir que les instances officielles ne se donnent pas actuellement les moyens de faire diffuser les résultats de certaines de ces recherches. Par choix ? Par ignorance ?

Or, les enseignants sont demandeurs de telles informations et je constate des vides d’informations professionnelles persistants. Je prendrai un exemple : celui de la numération. Pour avoir longtemps travaillé dans ce qui s’appelle maintenant l’ASH (adaptation scolaire et scolarisation des handicapés) je peux attester que la construction de la numération au CP est un sujet pour lequel les enseignants ne disposent pas toujours d’informations professionnelles suffisantes leur permettant de construire des situations d’apprentissage adaptées. Or, la numération constitue un socle (le mot est utilisé à dessein ici) nécessaire pour que la construction raisonnée des opérations afin de passer des calculs réfléchis aux calculs automatisés puisse s’effectuer sans abandonner une construction mathématique convenable. Je repère au moins deux points importants :
— Dès le cours préparatoire, les élèves sont confrontés aux différences fondamentales de fonctionnement des deux systèmes de numération : lire le groupe de signes « 18 », en disant « dix-huit » et comprendre que 18 est construit à partir de 10 et de 8 par une addition (10 + 8). Or, il n’est pas rare d’observer des élèves qui lisent « 18 » en énonçant « dix-huit » et simultanément considèrent que 18 c’est 8 et 1 (donc c’est 9 !) sans voir l’incompatibilité de ces deux points de vue. Quelles situations d’évaluation diagnostique propose-t-on pour aider les enseignants ? Quelles situations d’apprentissage mettre en route ?
— Autre point : penser qu’il faut enseigner la numération puis les opérations. La numération a besoin d’une première conception de l’addition (sinon comment comprendre que 19 c’est 10 et 9 (10+9), d’une première conception de la multiplication : 34 c’est 3 fois 10 et 4. Ces concepts s’épaulent pour être construits de façon dialectique. Là encore, quelles situations de classe proposer ?

Ces constats effectués il s’agit donc de construire des situations qui vont permettre des apprentissages de qualité et durables. N’y a t il pas, de la part des décideurs à impulser la diffusion de résultats de recherches avérées dans ce domaine comme dans d’autres afin de faciliter le travail de l’enseignant ?

Quelles informations complémentaires diffuse-t-on auprès des enseignants pour qu’ils puissent exercer leur métier au mieux ?

Le relais nécessaire de la formation (sous toutes ses formes) appuyée par les décideurs
Les recherches sur l’enseignement des mathématiques en France, sont largement reconnues hors frontières. Elles ne se limitent pas uniquement à la recherche sur les mécanismes cérébraux du calcul, même si les résultats obtenus dans ce domaine sont utiles. Les questions sont : comment se sont organisés les savoirs que l’on enseigne actuellement ? Comment élaborer des situations d’apprentissage convenables afin que les savoirs soient construits par la confrontation des élèves avec des scénarios de leçons adéquates ? De cela, il n’est pas fait grande publicité.

Je prendrai volontairement un exemple très ancien afin de montrer que la recherche sur l’enseignement des maths n’est pas bien écoutée et que cela ne date pas d’aujourd’hui. En 1973, époque balbutiante de la recherche en didactique des mathématiques, une expérience(3) conduite sur 500 élèves avait montré que le simple fait de proposer une autre façon d’effectuer une multiplication de taille 8 (somme du nombre de chiffres du multiplicateur et du multiplicande) permettait de passer d’un taux de réussite de 48% à 88% pour les élèves de l’échantillon. Ce résultat encourageant aurait mérité que l’on y regarde de près. A l’époque les chercheurs ne s’intéressaient même pas à cette performance, mais plutôt au fait que ce procédé, non répandu socialement certes, était pourtant plus facilement intégrable dans un processus d’apprentissage faisant sens, et que cette modification de réussite était prévisible par la seule analyse ergonomique du procédé de calcul. Le premier résultat, pourtant directement utile, ne retint pas l’attention des décideurs. Il aurait fallu expliquer à une société (les parents) qu’un autre procédé de calcul, inhabituel, pouvait être enseigné. Certains manuels scolaires ont tenté de faire cet essai. Cela a duré le temps d’un manuel.

Beaucoup de travaux plus récents restent confidentiels, peu relayés par les décideurs. On assiste même à une prise de position qui laisse croire que des situations d’apprentissage certes plus complexes à mettre en œuvre seraient destinées uniquement à de bons élèves. Rien n’est plus faux. La complexité de la mise en œuvre de la situation n’implique pas la complexité de la situation vécue par l’élève. Mais cela nécessite de la formation, de l’information, et pour le moins un encouragement de la part des instances de décision.

Conclusion :
Il est peu contestable que les mathématiques s’apprennent en se construisant. C’est dans une recherche active plutôt que dans les « visitées guidées » des savoirs « déjà là » que les élèves progressent. Or, il est possible de concilier un apprentissage progressif dans lequel, par exemple, le calcul réfléchi conçu prépare activement et rapidement l’acquisition des automatismes.

Les programmes de 2002, par leurs documents d’accompagnement, offrent de bonnes pistes en prenant en compte « l’élève », ce que les programmes du XX siècle ne faisaient pas. Toutefois les décisions qu’un enseignant doit prendre (planification sur l’année) supposent pour lui un travail lourd que les programmes laissent à sa charge. C’est pour cela que je propose de faciliter la lecture des programmes. Le tableau que j’ai proposé est une façon de travailler, mais il y en a d’autres, par exemple, l’utilisation de CD-ROM qui permettent de passer des programmes, à des exemples de situations, à des planifications(4).

Une dernière remarque : il serait apaisant que les décideurs cessent de changer les programmes trop souvent : cela a un effet pervers : les enseignants ne « suivent plus ». La parole officielle est, de fait, discréditée. Les professeurs ne peuvent se repérer qu’à l’aide des manuels et non plus en s’appuyant sur des programmes devenus éphémères. Or les nouveaux professeurs des écoles ont suivi un parcours universitaire. Il faut cesser de prendre ces jeunes collègues comme des « amateurs éclairés ». Ils savent comprendre et intégrer des préoccupations professionnelles, lire, analyser des documents de recherche, des documents d’accompagnement, travailler sur des évolutions de programmes et non subir des « changements de programmes ». Donnons leur des outils pour en être des utilisateurs avertis.

Joël Briand
Maître de conférences en mathématiques
IUFM d’Aquitaine


  1. On leur demande même parfois de statuer sur des configurations de doigts à l’école maternelle ! (Voir « fenêtre sur cours » p.32).
  2. On sait les débats sur l’instrumental à tout prix au détriment de la construction des apprentissages. Je fais partie de ceux qui ont passé une grande partie de leurs recherches à vouloir montrer avec bien d’autres que ces deux objectifs étaient loin d’être inconciliables
  3. Cahier 13 IREM de Bordeaux : « Peut-on améliorer le calcul des produits de deux entiers naturels ? » 1973
  4. Ce qu’une équipe de Bordeaux a réalisé sur l’enseignement des mathématiques à l’école maternelle.
  5. Page publiée le 27-11-2006