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Table-ronde européenne : « La régulation locale des systèmes éducatifs en Europe »

Christian Maroy, Université de Louvain

Ce qu’on appelle  » régulation  » est évidemment politique et institutionnel, mais est aussi le produit des négociations et règles du jeu mises en place par les acteurs locaux au cours de l’action. Il y a donc plusieurs sources non-coordonnnées (élus, syndicats, entreprises, administration, usagers, consultants, recherche…) qui se confrontent dans l’espace social.

Nous avons comparé six espaces scolaires dans cinq pays pour essayer de comparer l’évolution des entités de régulation intermédiaires.
En Angleterre, les niveaux intermédiaires ont été réduits à cause du double mouvement de renforcement du pouvoir de l’Etat et autonomie des établissements (voir intervention de Nathalie Mons)
En Belgique, les  » réseaux d’enseignements  » privés ont une grande importance dans la régulation.
En France et au Portugal, les lois de 82 et 99 renforcent l’autonomie locale, dans des mesures variables.
En Hongrie, la régulation territoriale des départements diminue au profit des municipalités.
Nous constatons donc la centralisation des systèmes territorialisés, et la décentralisation des systèmes centralisés, la multiplication des entités de régulations intermédiaires.

Contrairement au discours optimiste actuel sur la  » gouvernance  » mutuelle, on se trouve devant des multi-régulations relativement fragmentées, peu coordonnées entre elles, ce qui peut poser un double problème :

  • – les établissements perdent le sens de la cohérence des pouvoirs publics, renforçant les comportements opportunistes des établissements
  • – cela peut favoriser des concurrences entre établissements, les règles concernant les inscriptions et les exclusions d’élèves étant peu coordonnées. On assiste à des compétitions entre écoles

Ivan Bajomi (Hongrie)

La décentralisation qui vient d’arriver en Hongrie n’a pas fait l’objet d’un consensus national. Chaque changement de gouvernement apporte son lot de réforme. Le système socialiste, très centralisé, n’avait cependant pas d’inspecteurs locaux, et était contrôlé par les pouvoirs locaux. Le changement de régime a provoqué une grande modification, les écoles primaires devenant propriétés des municipalités et les écoles secondaires administrées par les départements.

Dans le quartier ouvrier de Budapest que j’ai étudié, confronté au chômage, les 17 écoles sont gérées par la municipalité, le rôle du privé étant marginal.
J’ai constaté une forte segmentation sociale de la population, les élèves favorisés ou défavorisés étant séparés. On peut faire trois catégories :

  • – des établissements qui proposent des filières d’élite qui écartent les élèves défavorisés (classes transplantées coûteuses dès le primaire, épreuves de sélection tolérées par l’administration locale)
  • – des établissements mixtes, mais qui séparent en leur sein les élèves d’origines sociales différentes
  • – des écoles qui scolarisent les élèves défavorisés du quartier (tziganes, par exemple).

Le financement forfaitaire proposé par l’Etat incite les municipalités à rentabiliser le fonctionnement des établissements, renforçant la compétition entre écoles. Si la municipalité met beaucoup d’argent pour des aides orthophonistes dans les quartiers populaires, elle ne s’intéresse que peu à la ségrégation sociale, notamment envers les Tziganes. Elle concentre son intervention sur les problèmes d’organisation, recourant à des cabinets de conseil à compétences aléatoires pour le management de l’organisation pédagogique. Les évaluations scolaires sont peu coordonnées, rendant difficile la mesure de l’efficacité des écoles. Les écoles rurales des alentours travaillent dans des conditions précaires, du fait du manque de moyens des petites communes et du manque de péréquation financière entre communes riches et pauvres : disparition des cantines, réduction des horaires.

Joao Pinhal, Portugal

Au Portugal, les orientations générales favorisent l’intervention locale, sans que ce soit réellement mis en œuvre par des décrets. Les enseignants sont très réticents à l’intervention des collectivités locales dans les écoles, et les collectivités locales cherchent encore à définir leurs politiques.

Le ministère de l’Education a été déconcentré en 1987 en directions territoriales. L’autonomie des écoles, décidée en 1989, n’a jamais été réglementée, et reste peu utilisée par les écoles, malgré l’existence de contrats possibles entre écoles, ministère et communes : le projet éducatif n’a que peu de conséquence de l’organisation scolaire, contrairement au règlement. Nombre de mairies restent dans une position d’observateurs. La créativité des écoles est moins forte qu’il y a vingt ans, tant la centration sur les règlements est prégnante.

Les associations entre écoles sont favorisées, pour développer la collaboration, la gestion des ressources et les possibilités de formation continue mutuelles. Mais les logiques de formation continue pour combattre l’échec scolaire restent marginales, voir centrées sur la promotion de carrière des enseignants. Les dynamiques locales restent faibles, tant les regroupements ont été créées par l’institution

La participation des mairies s’est formalisée par la création de Conseils Municipaux d’Education. Mais les mairies hésitent, craignent de s’affronter aux enseignants majoritairement hostiles. Cependant, certaines ne se contentent pas de leurs fonctions budgétaires ou sociales : elles mettent en place des projets ou de la formation d’enseignant, surtout pour le premier cycle des enseignants de base, dans des disciplines comme la musique, l’EPS, les arts… Une tradition lourde, un manque de définition claire des objectifs du système laissent craindre des difficultés persistantes pour une longue période.

M. Tondellier : l’exemple de Lille

Le recteur Fortier avait demandé une  » modernisation  » du système public, en cherchant à diffuser chez les enseignants de nouvelles manières de faire (travail à partir d’évaluations, travail collectif…). Ce discours se diffuse dans les IA, les bassins, les districts, dans le but d’irriguer le discours administratif. Des  » missionnés  » (IPR ou IEN) sur des crédits académiques viennent bousculer le pouvoir traditionnel de la hiérarchie, créant parfois des logiques antagonistes entre contrôle et animation pédagogique.

Cette organisation  » post-bureaucratique  » a un caractère composite, en mouvement, procédant par essai-erreur, est traversée par plusieurs logiques selon les endroits : parfois libéral, parfois démocratique. La fascination de certains cadres pour le management privé est patente, jusqu’à ce qu’une régulation ne vienne chercher à réguler les concurrences entre établissements, et à une recentralisation du pouvoir vers les rectorats. La création des bassins, censée réguler l’offre scolaire, limite la concurrence et l’opacité des politiques de guichet mise en œuvre par certains établissements.

Les budgets d’établissements sont liés à l’évaluation des projets d’établissements. La supervision du travail des enseignants s’accroît, l’incitation à participer à des projets, des formations… On développe le pilotage par projet, par contrat, par chantier, avec des collectifs multi-catégoriels. Chaque chantier mobilise un groupe de pilotage, parfois trop fourni pour les ZEP par exemple. Les demandes de bilan de contrat s’exercent sur les responsables de projets, dont les compétences et la légitimité sont souvent à interroger, tant elle est hétérogène. Ces fonctions sont occupées de manière provisoire, sans reconnaissance particulière.

Les effets de tous ces dispositifs sur la réussite des élèves sont difficiles à mesurer, selon les résultats de nos travaux.

Notes : P. Picard

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