Mais que viennent-ils faire dans cette
galère ?
La
question les suprend ou les amuse, mais ne les laisse pas indifférents.
C’est le premier congrès, pour plusieurs dizaines de jeunes enseignants
(ou travailleurs sociaux, ou employés de structures privées de
formation…), et ils ouvrent les yeux en grand. Certes, croiser quelques
mythes vivants qu’ils ne connaissent que par lecture interposée peut
intimider, voir mettre à distance. Mais ils ne regrettent pas le
voyage, manisfestement.
Clément
fait partie d’une petite équipe qui reprend le flambeau d’un groupe
départemental. Un peu par hasard, il y a d’abord trouvé un lieu qui lui
permettait de poser ses questions de débutants. Malgré la distance
qu’il éprouvait pour les textes d’invitation qu’on lui avait proposés
(« une langue tellement compliquée, avec des expressions baroques comme
« auto-socio-construction des savoirs »…), il s’est jeté à l’eau et
s’est mis à participer aux stages proposés par le GFEN dans son
département : « J’ai été surpris qu’on écoute mes doutes, mes
inquiétudes ». Dans un milieu professionnel où on travaille beaucoup
seul, il a surtout apprécié les démarches de formation qui lui ont
permis de se confronter « à son niveau d’adulte » aux savoirs scolaires
: « Quand tu vis pour la première fois la démarche sur la numération ou
le participe passé , c’est comme un choc. Les difficultés des élèves
sont éclairées comme jamais, tu découvres un univers inconnu. Et ton
pouvoir d’agir d’enseignant est multiplié, c’est comme un flash ». En
quelques mois, il a franchi des étapes. Aujourd’hui, il cherche le
moyen de renforcer les activités du groupe départemental. Mais il se
pose des questions sur son engagement. « Quand je vois tout ce que
savent les militants chevronnés, je m’interroge sur ma capacité à
conjuguer ça avec une vie normale… ». En effet, pas question de
renoncer à sa priorité : sa vie de couple, ses jeunes enfants.
Christine, militante
chevronnée assise en face de lui à la cantine du centre bisontin qui
accueille le congrès, admet qu’il n’a pas tort : « c’est vrai
que notre génération avait sans doute un rapport différent au
militantisme. Plus global, plus « grand soir »… Ça crée de la force et
de la faiblesse. Je pense que c’est le défi de tous les mouvements pour
demain : savoir inventer de nouvelles manières de s’investir « à temps
partiel », tout en sachant faire un tout, faire passer les fils de
l’histoire aux nouvelles générations. Un vrai défi pour le mouvement ».
Caroline, trois ans de
métier en zone sensible, serait plutôt du profil de la militante «
entière ». Si elle trouve sa vie au GFEN, c’est aussi parce qu’elle y
voit un moyen de « faire réseau ». Elle se passionne pour les
collectifs informels qui se créent dans les quartiers urbains. Sa
participation à un récent forum local lui donne envie de chercher des
solutions pour faire venir les parents dans l’école ou imaginer de
nouveaux réseaux d’échanges de savoir qui feraient vivre aux exclus de
la culture des moments de partage autour de démarches d’écriture. Mais
elle sait que les jeunes militants qu’elle y a rencontrés se méfient
des « récupérations » par les mouvements plus organisés. Pourtant, sans
s’organiser, sans l’expérience des associations ou groupes constitués,
comment faire bouger sans « griller » son énergie ?
Dès la rentrée, elle et son
jeune collègue vont donc reprendre le collier, avec une double ambition
: construire leur propre vie, et travailler avec d’autres à se donner
un pouvoir d’agir. En ces temps de doute, tout un programme.