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De quelques différences entre les IDD et le B2i ou comment introduire les TIC dans les pratiques d’enseignement ?

Par Bruno Devauchelle

Si l’on compare la mise en place des itinéraires de découvertes (IDD) avec celle du Brevet informatique et Internet (B2i) on peut observer quelques éléments qui éclairent mieux la question de l’introduction des TIC dans le système éducatif et qui permettent d’éclairer les IDD sous un angle particulier. A partir de l’analyse de quelques points signifiants de comparaison, nous essaierons de mettre en perspective la place que prennent les TIC et de comprendre dans quelle mesure les IDD sont une forme pédagogique qui articule au plus serré des préoccupations pédagogiques et des contraintes disciplinaires, mettant en quelque sorte, et c’est une bonne chose selon nous, les TIC entre parenthèses.

1 – Une tentative de comparaison IDD – B2i

Pour être vraiment précis, ce n’est pas la comparaison IDD et B2i qui convient, mais celle entre les parcours pédagogiques diversifiés (PPD), les travaux croisés (TC) et le B2i. En effet si l’on regarde le calendrier et les logiques des dispositifs on peut constater que la proposition des travaux croisés était très proche du B2i dans leur aspect technique : pas d’obligation, intégration du dispositif aux disciplines sur la base du volontariat et des projets, calendrier progressif (même si pour le B2i c’est le terrain qui fait le calendrier et pas le texte officiel, sauf en primaire).

L’arrivée des IDD, très proches dans le projet des travaux croisés, introduit deux éléments clés qui vont les différencier nettement des autres dispositifs : obligation et moyens en heures. En effet en mettant clairement la mention obligatoire et en l’assortissant d’un cadrage horaire précis on peut se demander si le ministère n’a pas voulu éviter l’effet B2i : si ce n’est pas (écrit) obligatoire alors on ne le fait pas.

Si l’on se penche sur le fond des deux dispositifs il faut remarquer que, d’un côté, il s’agit de développer une pratique technique (les TIC) intégrée au sein des disciplines, de l’autre il faut développer une pratique pédagogique et didactique (la trans ou l’interdisciplinarité, la pédagogie de projet).

Dans le cas du B2i on note le fait que ce n’est pas un contenu disciplinaire spécifique qui est enseigné, mais la mise en œuvre de savoirs et de savoir-faire au sein de pratiques didactiques et pédagogiques ordinaires. Ce parti pris des initiateurs du B2i est révélateur d’une prise de position originale par rapport aux traditions disciplinaires et plus largement par rapport à l’organisation du collège. A ce choix didactique (pas d’enseignement spécifique), s’ajoute un parti pris pédagogique centré sur la notion de référentiel de compétences (cf. les feuilles de positionnement) et sur l’auto évaluation (cf. la colonne concernant le positionnement de l’élève dans les feuilles de positionnement).

Dans le cas des IDD, le fait central est la pensée complexe. En effet il faut revenir aux textes de MM. Dubet, Morin, Meirieu, publiés en 1998 pour comprendre l’enjeu qui est derrière ces nouveaux dispositifs : le découpage disciplinaire n’est pas le seul mode possible d’accès à la connaissance au collège. Ce découpage est même préjudiciable à la compréhension des faits et à la connaissance si l’on en juge par les propos tenus par les chercheurs interrogés par Edgar Morin au cour de l’année 1998 (Relier les Savoirs). Sur le plan pédagogique, il s’agit aussi d’engager plus largement les enseignants sur la démarche de projet (qui rappelons-le était pratiquée au travers des PPD et des TC) qui permet de développer sur la base d’une pédagogie plutôt constructiviste un autre mode d’accès au sens des apprentissages disciplinaires.

Comme on le voit il n’y a pas a priori de rapprochement entre ces deux dispositifs, mais plutôt deux logiques concourantes : une logique d’intégration disciplinaire, une logique d’apprentissage et d’évaluation de ceux-ci au travers de l’action de l’apprenant. En fait, il faut bien reconnaître qu’il y a une réelle articulation de base entre ces deux démarches, même si sur le terrain l’un comme l’autre des dispositifs est plutôt discuté (explicitement dans le cadre des IDD – implicitement pour le B2i : cf. le nombre d’établissements ayant réellement mis en œuvre le B2i tel qu’il est proposé).

2 – De la place des TIC en éducation : regard au travers des IDD

Il suffit de lire ces quelques lignes extraites du document remis en décembre dernier aux établissements pour préparer la journée de travail sur les IDD pour comprendre que les TIC peuvent être invoqués selon les choix des équipes : « La démarche de projet, dans laquelle doivent s’inscrire les itinéraires de découverte, conduit les élèves à travailler seuls ou en petits groupes. (…) Les itinéraires de découverte donneront lieu à une production, réalisée individuellement ou collectivement : création d’un objet particulier, d’une maquette, d’un cédérom, d’un journal, d’un film, présentation d’un exposé, d’un spectacle, élaboration d’un texte…». Comme on peut le constater, il y a des possibilités d’intégration des TIC, mais comme nous l’avons indiqué dans notre première partie, l’enjeu est ailleurs. Cependant on peut lire au travers de ce qui suit que l’on est dans une démarche assez proche de celle proposée dans le B2i : (voir particulièrement le texte sur le niveau 3 distribué aux recteurs) «appropriation de savoir-faire (mise en œuvre de techniques de réalisation, efficacité des moyens par rapport à l’intention, stratégies de traitement et d’appropriation de l’information, mise en œuvre des techniques de l’exposé écrit et oral…)».

Ainsi le texte ne préjuge en rien des moyens utilisés, mais se préoccupe surtout de développer certaines compétences qu s’appuient sur des savoirs et des savoir-faire bien spécifiques et non réductibles à une seule discipline.

Les professeurs de technologie et les professeurs documentalistes ont rapidement compris la place que pouvaient prendre les TIC dans ces IDD. Cependant des dérives possibles (cf. l’analyse M. J.M. Zakhartchouk, dans l’interview de ce dossier) pourraient donner aux TIC une place inappropriée. D’une part le risque de la production pour la production (dérive CD-ROM ou site Internet) d’autre part le risque de l’Internet comme source de tous les savoirs (je vais chercher tout ce qu’il y a sur Internet avant de réfléchir et de choisir les moyens appropriés d’investigation) sont deux des dérives essentielles dont certaines ont été constatées dans le cadre des TPE.

Il est donc nécessaire que la place donnée aux TIC soit évaluée en terme de pertinence de moyen et non pas de fin. On comprend là une logique sous jacente à l’intégration des TIC en éducation : comme tout moyen au service de l’activité sociale ou professionnelle, il convient dans le monde scolaire et dans le cadre des finalités de l’école, de ne pas laisser les jeunes s’emparer d’un outil pour son caractère séduisant, mais d’être capable d’en faire un instrument au service d’un apprentissage dans le cadre scolaire, d’une activité sociale ou professionnelle plus tard.

3 – Des IDD, entre changement et réalité de terrain

En ne parlant que de façon très évasive des TIC dans les textes consacrés aux IDD, on peut penser qu’il s’agit d’un pragmatisme des décideurs, plutôt que d’un parti pris contre les TIC. En effet, connaissant la lente progression de la place prise par les TIC dans les pratiques pédagogiques depuis plus de quinze ans, il était plutôt prudent de ne pas embrouiller le message en surajoutant à un dispositif nouveau un autre dispositif lui-même déjà déroutant. De plus connaissant la disparité des moyens entre tous les établissements il était plutôt risqué d’imposer des ordinateurs pour les IDD, car déjà les moyens habituels en locaux et en personnes ont posé de gros problèmes dans certains établissements. Enfin connaissant la culture et les pratiques des enseignants, il est bien plus favorable d’encourager toutes les pratiques de projet existantes (et elles sont nombreuses) que d’en privilégier une seule fut-elle d’actualité (les TIC ont été pendant cinq ans au devant de la scène, même si aujourd’hui il y a un repli dans les propos des autorités).

Les IDD pourraient être un espace de promotion de toutes les innovations pédagogiques du moment, et donc des TIC au travers du B2i. Saluons le fait ne pas avoir cédé à cette dérive comme un signe encourageant du sens pris dans cette réflexion sur l’école et les TIC. Reconnaissons aussi l’habileté de ne pas mélanger tous les dispositifs dans les textes car cela peut «fâcher» et nuire davantage qu’apporter un changement. Soulignons cependant que cette prudence officielle ne doit pas cacher la cohérence interne de cette évolution du collège initiée depuis plusieurs années.

Conclusion

Les enseignants qui ont déjà des pratiques de projet que ce soit avec ou sans TIC ne seront pas trop en difficulté par rapport au projet global des IDD. Les enseignants de technologie et les professeurs documentalistes auront là une occasion renouvelée de montrer combien ils sont intégrés à l’établissement et pas seulement en tant que service documentaire ou d’aide à l’orientation vers le technique (détection des aptitudes…) mais en tant que partie prenante des apprentissages disciplinaires au même titre que toutes les autres disciplines. L’intégration des TIC dans les IDD sera aussi l’occasion de montrer aux jeunes que les celles-ci doivent devenir des instruments au service des projets d’apprentissage avant de devenir des instruments dans la vie courante, en évitant d’en faire des gadgets destinés à mieux briller lors de la présentation finale.

Bruno Devauchelle
Cepec

  1. Pourquoi les Itinéraires de découverte ?
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    Itinéraires de découverte : « les réformes sont toujours des paris », entretien avec Jean-Michel Zakhartchouk et Florence Castincaud.
  2. IDD et TIC :
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  3. Une communauté éducative témoigne : Les IDD au collège J. Monod du Havre : Caractéristiques de L’Etablissement; Point de vue général; Le point de vue du documentaliste; « Du jeune sportif au jeune citoyen »: un IDD impliquant l’EPS; « A B C pour les IDD »: L’Abécédaire de Cécilia Anthor; Présentation des IDD au collège Jacques Monod
  4. Points de vue disciplinaires
    Le casse-tête du chef d’établissement
    « Ils ont changé leur regard sur les professeurs »
    Les soucis du documentaliste
    En Histoire-Géographie
    Le débat en langues anciennes
  5. Les IDD en pratique
    Pïloter son activité par tableau de bord
    Evaluer l’itinéraire, une phase bizarre
  6. Des liens pour les IDD

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